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Si Toutankhamon était PDG, recruterait-il un Chief Happiness Officer ?

Les esclaves qui ont construit les pyramides d’Egypte étaient parfois mieux traités, et même plus heureux, que certains salariés aujourd’hui. Que s’est-il donc passé pendant tout ce temps ?

 

Si le père de l’histoire : Hérodote (484 420 av. J.-C.) a longtemps permis à l’idée selon laquelle les pharaons faisaient fouetter leurs esclaves de perdurer dans les esprits, la vérité a été rétablie depuis.

 

La grande civilisation égyptienne a certes dominé militairement les peuples qui l’entouraient, les a asservis, mais en prenant soin de capturer les hommes vivants afin de les mettre au travail, de protéger les femmes afin qu’elles enfantent de futurs esclaves, de bien nourrir les enfants afin qu’ils deviennent à leur tour de bon travailleurs. Point de Spartacus pour organiser une révolte des esclaves comme ce fut le cas au sein de l’Empire Romain. Tout au contraire, les Égyptiens prendront soin de leurs esclaves, les nourriront, les soigneront…

 

Près de 3000 ans se sont écoulés depuis la mort de Toutankhamon et les chiffres alarmant sur la souffrance des travailleurs prolifèrent :

  • De 30 000 à… 3 millions de personnes touchées par le burn-out (épuisement professionnel) selon l’Institut de veille sanitaire (InVS) ;
  • 7 salariés sur 10 déclarent avoir un travail nerveusement fatigant ;
  • 24% des salariés français sont en situation d’hyperstress, considérée comme dangereuse pour leur santé.
  • Sans parler de la hausse régulière du stress, la dégradation du sommeil et le développement de la consommation de médicaments liée à la pénibilité du travail…

 

Karl Marx, que l’on a trop facilement associé exclusivement à une idéologie politique, n’en était pas moins également philosophe (Hegel, son adversaire sur la question de la philosophie de l’histoire, en sait quelque chose), économiste et sociologue. Ses contributions à la science économique sont largement exposées dans les manuels consacrés à l’histoire de la pensée économique et occupent une place aussi importante que celle d’autres grandes figures de la discipline tels Jean Baptiste Say, David Ricardo, Adam Smith, John Maynard Keynes, Joseph Schumpeter, Milton Friedman…

 

De sa pensée économique, nous retiendrons ici la notion d’aliénation qu’il définissait en ces termes : « l’aliénation est le processus par lequel un sujet (un individu, un produit ou une relation sociale) se transforme en un autre, voire en quelque chose d’hostile à lui-même ».

 

De nouveaux phénomènes fertilisant chaque jour davantage le sol dans lequel cette aliénation prend racine s’enchaînent et s’entremêlent comme pour mieux se fondre dans la complexité grandissante : globalisation du monde, financiarisation de l’économie, complexification des organisations où l’homme n’est parfois plus qu’un pion, désincarnation de la propriété même de l’entreprise au profit d’un capitalisme d’actionnaires en lieu et place d’un capitalisme familial, invasions technologiques avec de nouvelles machines s’invitant encore plus dans le processus productif (exemple : les ordinateurs devenus incontournables, incroyables en termes de puissance de calcul, servis par de l’intelligence artificielle, venant elle-même joyeusement puiser dans la marée du big data, elle-même alimentée par Internet.

 

En somme, l’individu aurait encore plus perdu le lien direct qui le reliait à son propre travail, à sa finalité, à sa raison d’être. Cinq postures individuelles émergent en réponse à ce nouveau monde qui se profile :

 

La résilience conventionnelle – L’individu accepte les choses comme elles sont, se fond dans la masse, parce que les conventions le veulent. Il marche d’un pas rapide entre le RER et la tour de son entreprise, sur l’esplanade de la Défense, parmi le flot des milliers d’autres créatures qui, comme lui, acceptent.

 

La perte de soi – Elle consiste à s’oublier soi-même au point de trop s’investir dans son travail, par ambition, par excès de zèle, par négligence, par idéalisme. Le livre Sortie de rails de Léon Cornec (Robert Laffont, 2019), constitue à ce titre un poignant témoignage au cœur du monde trop méconnu des cheminots.

 

La rébellion corporate – C’est typiquement la posture de Béatrice Rousset, qui cherche à cracker enfin le code des organisations pour les remettre dans le mouvement, avec son livre Stratégie Modèle Mental. Cracker enfin le code des organisations pour les remettre dans le mouvement, Béatrice Rousset, Editions Diateino, 2019.

 

L’activisme créatif– Une posture parfaitement bien incarnée par Charlottre Appietto, fondatrice de ‘Pose ta Dem’, un véritable mouvement porté par une communauté de démissionnaires ayant osé mettre fin à leur contrat de travail pour mieux se reconvertir, changer de vie, faire enfin le métier qu’ils aiment. Découvrez ici l’interview qu’elle a bien voulu nous accorder.

 

Le pragmatisme lucide – Une attitude dont fait preuve Marielle Barbe, l’auteure de l’ouvrage Profession Slasheur (Marabout, 2019) dans lequel elle nous apprend que cumuler les jobs est un métier d’avenir et qu’il doit s’apprendre.

 

 

Pendant ce temps, les entreprises s’évertuent à ré-humaniser leurs organisations. Ce qui sous-entend qu’elles ont un jour été humaines avant de cesser de l’être. Mais de mémoire de Pharaon, ce jour est difficile à situer. 

 

Article initialement paru dans le Journal du Net.