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La contre révolution digitale s’organise dans les bureaux

Il n’est peut-être pas très bon d’avancer ou d’être en retard sur son temps. Les salariés l’ont suffisamment bien compris pour se positionner clairement vis-à-vis de la révolution digitale, désormais admise comme un mal nécessaire. Trois familles de stratégies personnelles se dégagent.

 

Le vent numérique impose à chacun de se jeter, avec plus ou moins de bonheur, de prédisposition, de motivation, de succès, de peurs… dans le feu de la révolution qu’il a engendré et qu’il continuera d’alimenter avec un bois qui semble destiné à ne jamais venir à manquer.

Trois postures des uns ou des autres se dessinent dans le monde de l’entreprise et du travail, allant de l’observation prudente, à l’engagement total.

Les spectateurs engagés forment le premier groupe. Ils sont généralement entrés dans le monde du travail il y a quelques temps et ont atteint le rang hiérarchique, le seuil de responsabilité et de rémunération maximum qu’ils peuvent espérer. Très critiques, ils jouent la montre en laissant la mutation digitale aux autres, à leurs collègues plus jeunes ou moins anciens dans l’entreprise. Bien utilisés, ils peuvent apporter un contre-point intéressant au discours ambiant. Même s’ils se gardent souvent de s’exprimer sur la stratégie (digitale) de leur entreprise, trop expérimentés pour commettre une telle imprudence, leurs opinions sont très tranchées lorsqu’on les interroge en aparté.

Plus jeunes que leurs aînés, les enrôlés d’offices, sont obligés de s’intéresser au digital, du fait de leur génération et de la date à laquelle ils sont entrés dans le monde du travail. Ils constituent une population charnière puisqu’ils oscillent entre s’engager littéralement dans la révolution numérique et l’observer attentivement mais plus passivement, avec derrière la tête, de simples intentions opportunistes.

Les intra-preneurs sont souvent les plus jeunes et alignent malgré tout des premières années d’expérience riches. Parfois perçus comme des enfants gâtés par les deux populations décrites précédemment, ils cumulent à la fois les avantages de l’entrepreneuriat et du salariat sans avoir à en subir les conséquences. Le revers de la médaille est que leur position, parfois de mercenaire, les condamne à risquer d’être remercié brutalement, lorsque le groupe qui les emploie décide d’arrêter l’initiative digitale, de la revendre ou de l’internaliser, au risque de la diluer au sein d’une entreprise qui la digèrera sans évoluer à son contact.

Dans la révolution digitale, qui décidément s’éternise, chacun cherche sa place. Les anciens voient ce qu’ils ont à perdre. Les nouveaux entrants fantasment sur ce qu’ils pourraient gagner, écoutant les promesses du raz-de-marée numérique qui annonce faire table rase du passé pour construire, sur ses ruines, un monde meilleur. Tout le jeu consiste à être ni trop ni pas assez révolutionnaire. Mais souvenons-nous que les révolutions comportent toujours des épisodes violents et des tiraillements en leur sein. Si Robespierre fit guillotiner Danton au nom de la révolution, il fut à son tour envoyé à l’échafaud au nom de la même révolution.

 

Article initialement paru dans l’Observatoire de la compétence métier.