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Amazon envoie ses collaborateurs en prison

Dans une réflexion sur la nature des organisations, Gareth Morgan* dans son ouvrage « Images of Organization » propose sept métaphores pour décrire une entreprise. L’une d’elles, la « prison mentale », trouve une résonance particulière dans le choix d’Amazon Web Services (AWS) d’établir ses bureaux dans une ancienne prison aux Pays-Bas. Ce choix soulève des questions intéressantes sur la perception des environnements de travail et la culture d’entreprise.

 

La ville de Haarlem, banlieue d’Amsterdam, a réaménagé sa prison De Koepel, fermée en 2016 et classée au patrimoine national, en un espace de bureaux. Amazon, une entreprise souvent au cœur des débats sur les conditions de travail, a choisi d’installer une de ses divisions au troisième étage de ce bâtiment historique. Ce choix audacieux a été mis en lumière par une employée d’Amazon, Laura J. Hyatt, qui a partagé une visite des lieux sur TikTok, suscitant une grande attention sur les réseaux sociaux.

 

Cette situation est particulièrement ironique, compte tenu de la réputation d’Amazon concernant la surveillance et la collecte de données, des pratiques qui rappellent le concept du panoptique de Jeremy Bentham**. Ce modèle architectural, conçu pour une surveillance optimale sans que les observés en soient conscients, évoque des parallèles avec les pratiques de surveillance en milieu de travail et la collecte de données privées par des entreprises comme Amazon.

 

En outre, la présence d’autres entreprises, d’un café, et d’espaces pour étudiants dans la même enceinte illustre la diversité des usages d’un tel lieu et souligne le potentiel de transformation des espaces historiques en environnements de travail modernes.

 

Ce cas particulier d’Amazon à Haarlem invite à une réflexion plus large sur la nature des environnements de travail et la culture d’entreprise. Il souligne la manière dont les choix spatiaux et architecturaux d’une entreprise peuvent refléter et influencer sa culture interne. En transformant une ancienne prison en un espace de travail moderne, AWS suscite des questionnements sur la façon dont les lieux chargés d’histoire peuvent acquérir de nouvelles significations dans un contexte contemporain. Les collaborateurs d’Amazon s’évaderont-ils un jour grâce à des hélicoptères venus du cloud ?

 

 


Notes :

*Gareth Morgan est un théoricien de l’organisation reconnu pour ses contributions significatives dans le domaine de la métaphore organisationnelle. Voici quelques-unes de ses œuvres les plus notables :

« Images of Organization » : C’est probablement le travail le plus connu de Morgan. Publié pour la première fois en 1986, ce livre propose une approche innovante de la compréhension des organisations en utilisant diverses métaphores, telles que les organisations en tant que machines, organismes, cerveaux, cultures, systèmes politiques, prisons psychologiques et flux et transformations. Cette œuvre est largement utilisée dans les cours de management et de théorie des organisations.

« Riding the Waves of Change: Developing Managerial Competencies for a Turbulent World » : Dans cet ouvrage, Morgan explore les compétences nécessaires aux managers pour naviguer dans des environnements d’affaires en constante évolution.

« Imaginization: New Mindsets for Seeing, Organizing, and Managing » : Publié en 1997, ce livre développe davantage les idées présentées dans « Images of Organization » et propose des méthodes pour appliquer la pensée métaphorique à la gestion et à la résolution de problèmes en entreprise.

« Creative Organization Theory: A Resourcebook » : Ce livre, sorti en 1989, est une compilation de textes et d’études de cas qui explorent différents aspects de la théorie organisationnelle.

« Beyond Method: Strategies for Social Research » : Cet ouvrage de 1983 est une collection d’essais sur diverses approches et stratégies en matière de recherche sociale.

Ces livres sont des références clés pour ceux qui s’intéressent à la théorie des organisations et à la gestion. Ils offrent un aperçu approfondi des diverses façons de percevoir et de comprendre les organisations.

**Jeremy Bentham, un philosophe, juriste et réformateur social anglais du XVIIIe siècle, est surtout connu pour sa contribution à la philosophie utilitariste. Voici quelques-unes de ses œuvres les plus influentes et des références importantes :

« An Introduction to the Principles of Morals and Legislation » (1789) : Cet ouvrage est considéré comme l’un des textes fondateurs de la philosophie utilitariste. Bentham y expose ses idées sur la manière dont les principes moraux et législatifs devraient être formulés pour promouvoir le plus grand bonheur pour le plus grand nombre.

« The Panopticon Writings » : Bien que Bentham n’ait jamais publié un livre spécifiquement sur le panoptique, ses écrits sur cette structure architecturale ont été compilés et publiés après sa mort. Le panoptique est une conception de prison qui permet une surveillance maximale des détenus avec un effort minimal, une idée qui a influencé les théories modernes de surveillance et de contrôle social.

« The Theory of Legislation » : Dans cet ouvrage, Bentham développe ses idées sur la manière dont la législation peut et doit être utilisée pour maximiser le bien-être social.

« Constitutional Code » : Il s’agit d’une de ses dernières œuvres majeures, dans laquelle Bentham propose des idées pour la création d’un code constitutionnel, visant à établir un cadre pour un gouvernement efficace et éthique.

« Fragment on Government » (1776) : Cet ouvrage est une critique de la théorie du droit naturel et du contrat social, telle qu’exposée par William Blackstone, et constitue une partie importante de l’œuvre philosophique de Bentham.

« Offences Against One’s Self: Paederasty » : Ce texte, qui n’a été publié qu’après la mort de Bentham, est l’une des premières analyses philosophiques connues argumentant contre la criminalisation de l’homosexualité.