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Quand les entreprises deviendront des logiciels

Il y a 10 ans, Marc Andreessen affirmait dans un article retentissant que chaque grande industrie serait « dévorées » par des logiciels. Une décennie plus tard, cette prophétie est encore plus profonde avec des entreprises non seulement cuisinées par des logiciels, mais devenant elles-mêmes des logiciels.

 

L’informatique, autrefois perçue comme un simple outil, est devenue le pilier l’entreprise moderne. L’évolution de l’informatique en entreprise a traversé plusieurs étapes majeures. Initialement, dans les années 1960 et 1970, elle servait d’outil spécialisé avec des ordinateurs mainframe dédiés à des tâches précises. Puis, dans les années 1980, l’avènement des ordinateurs personnels a démocratisé son usage en entreprise. La révolution d’Internet dans les années 1990 a ensuite accentué la digitalisation des processus d’affaires. Au 21ème siècle, l’essor des technologies mobiles et du cloud a renforcé l’importance de l’informatique. Enfin, la dernière décennie a vu une explosion des données, propulsant l’analyse avancée, l’intelligence artificielle et le Big Data au cœur de la stratégie des entreprises. Aujourd’hui, avec l’arrivée de la GenAI et d’autres technologies transformatrices, les entreprises semblent évoluer pour ressembler, fonctionnellement, à des systèmes logiciels élaborés. Une métamorphose est observable, où les frontières entre les processus principaux d’une entreprise et son infrastructure logicielle se brouillent. Cette transformation a été élégamment désignée sous le terme de « softwarisation de l’entreprise »*.

 

Cinq tendances à l’oeuvre derrière la « softwarisation de l’entreprise »

 

Fluidité et Adaptabilité : L’introduction de la GenAI dans les entreprises symbolise une ère où la rapidité de traitement des informations éclipse tout ce qui était auparavant imaginable. Inspirées par la manière dont les mises à jour logicielles peuvent rapidement améliorer et changer un produit, les entreprises, grâce à la GenAI, peuvent maintenant prendre des décisions éclairées en temps réel et s’adapter aux fluctuations du marché avec une agilité remarquable. Les structures traditionnelles, souvent perçues comme rigides et réticentes au changement, sont désormais en mutation, laissant place à des organisations plus dynamiques et malléables, aptes à naviguer dans un environnement commercial en constante évolution.

Automatisation et éfficacité : Dans le monde moderne des affaires, l’efficacité est essentielle. Les processus pilotés par des logiciels, enrichis par la puissance de l’intelligence artificielle, ont le potentiel de transformer radicalement les opérations commerciales. En minimisant, voire en éliminant l’intervention humaine dans de nombreux processus, non seulement la rapidité et l’efficacité sont augmentées, mais les marges d’erreur sont également réduites. Cette évolution promet une meilleure utilisation des ressources, des gains de productivité et une rentabilité accrue.

La data comme nouvelle monnaie : Si l’information a toujours été puissante, elle est maintenant au cœur de la stratégie d’entreprise. Dans un monde piloté par le logiciel, la capacité à acquérir, analyser et actionner des données est devenue une compétence inestimable. Les entreprises prospères ne sont plus uniquement celles qui possèdent les meilleurs produits, mais celles qui peuvent exploiter efficacement les données pour anticiper les besoins, adapter leur offre et innover constamment.

Des écosystèmes centrés sur l’utilisateur : L’ère du logiciel a apporté une prise de conscience renouvelée de l’importance de l’utilisateur final. Plutôt que de simplement vendre un produit ou un service, les entreprises modernes cherchent à créer des expériences. En plaçant l’utilisateur au centre de leur stratégie, elles développent des écosystèmes où chaque interaction, chaque point de contact, est soigneusement conçu pour répondre aux besoins et aux désirs du consommateur.

La scalabilité globale : Dans le passé, l’expansion globale d’une entreprise était un défi colossal, nécessitant d’énormes investissements en temps et en ressources. Aujourd’hui, grâce à une fondation logicielle solide, les entreprises peuvent se déployer dans de nouveaux marchés avec une agilité inégalée, s’adaptant aux spécificités locales tout en maintenant une présence globale cohérente. Cette scalabilité signifie que même les start-ups peuvent rêver d’une présence mondiale dès leur création.

 

Des enjeux auxquels les parties-prenantes de l’entreprise ne sont pas nécessairement préparés

 

Pour les investisseurs, la « softwarisation » des entreprises est synonyme d’opportunités sans précédent. Cette transformation signifie que les entreprises peuvent opérer à une échelle et une vitesse jamais vues, promettant potentiellement de plus grands rendements sur investissement. Cependant, elle s’accompagne également de risques. Les cycles d’innovation et de disruption sont plus rapides, ce qui rend les marchés plus volatils. Les entreprises traditionnelles peuvent être rapidement dépassées par de nouveaux venus plus agiles et axés sur la technologie. Ainsi, pour les actionnaires, la capacité à anticiper et à s’adapter aux tendances technologiques devient essentielle pour protéger et augmenter la valeur de leurs investissements.

Côté clients, la transition vers une entreprise axée sur le logiciel est avantageuse pour les clients. Ils bénéficieront de produits et services plus adaptés à leurs besoins individuels, grâce à l’analyse de données et à l’intelligence artificielle. Les processus d’achat et de service après-vente pourraient devenir plus fluides, automatisés et efficaces. Cependant, cette personnalisation poussée pourrait susciter des inquiétudes en matière de confidentialité et de protection des données. Il est essentiel que les entreprises gagnent la confiance de leurs clients en garantissant la sécurité et la confidentialité des informations personnelles collectées.

Pour les collaborateurs, la tendance à la softwarisation transforme le paysage professionnel. Pour les partenaires et collaborateurs, cela signifie qu’une adaptation constante est nécessaire. Les compétences traditionnelles doivent être complétées ou remplacées par une compréhension des systèmes numériques et des processus basés sur l’IA. Les collaborations deviendront plus fluides grâce aux plateformes digitales, mais les collaborateurs devront également faire preuve de polyvalence. Les organisations devraient investir dans la formation continue pour garantir que leur personnel reste à jour. Il est crucial de reconnaître que la softwarisation ne rend pas les humains obsolètes, mais redéfinit plutôt leurs rôles au sein de l’entreprise.

Quant aux autres parties prenantes, la « softwarisation » ne concerne pas seulement les entreprises et leurs clients directs. Elle a des répercussions sur la société dans son ensemble. L’automatisation poussée signifie que de nombreux emplois traditionnels pourraient disparaître, créant des défis socio-économiques. Les gouvernements et les institutions éducatives doivent anticiper ces changements en proposant des programmes de reconversion et en mettant l’accent sur l’éducation numérique. Parallèlement, il existe également des opportunités pour la société, comme l’utilisation de la technologie pour résoudre des problèmes sociaux complexes ou pour améliorer la qualité de vie.

 

La « softwarisation de l’entreprise » en cours est un changement majeur dans la manière dont les entreprises opèrent et se définissent. C’est une ère où les frontières sont floues. La manière dont les parties prenantes naviguent au sein de cette transformation définira l’avenir du commerce, de l’innovation et de la société en général.

Notes :

* Andreessen, M. (2011). Why Software is Eating the World. Wall Street Journal.

* Progicialisation en français.

* Gartner. (2022). The Future of Business: Software-Defined Enterprises.

* McKinsey & Company. (2022). Harnessing the Power of GenAI: Transforming Operations and Strategy.

* Boston Consulting Group (BCG). (2023). The Era of Softwarised Companies: Risks and Rewards.