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Pourquoi consommer plus de citron réduira le chômage des seniors en France

Le marché de l’emploi français, comme celui de nombreux autres pays développés, est actuellement confronté à un paradoxe intrigant. En dépit d’un vivier de travailleurs seniors hautement expérimentés et qualifiés, un nombre important de ces personnes se retrouvent au chômage. L’explication de ce paradoxe se trouve dans une théorie économique qui, à première vue, peut sembler sans rapport : Le « marché des citrons » de George Akerlof.

 

Dans la théorie du prix Nobel d’économie George Akerlof(1), un « citron » désigne une voiture d’occasion présentant des défauts cachés, tandis qu’une « pêche » est une voiture d’occasion de qualité. Les vendeurs connaissent l’état réel de leur voiture, mais pas les acheteurs. Si les acheteurs ne peuvent pas faire la distinction entre un « citron » et une « pêche » (c’est-à-dire qu’ils ne savent pas si une voiture a des défauts cachés ou non), ils seront prêts à payer un prix qui reflète la qualité moyenne des voitures d’occasion sur le marché. Mais c’est là que les choses se compliquent.

Les vendeurs, qui savent si leurs voitures sont des citrons ou des pêches, ne seront disposés à vendre leurs voitures que si le prix qu’ils obtiennent est supérieur à la valeur réelle de leurs voitures. Étant donné que le prix que les acheteurs sont prêts à payer est basé sur la qualité moyenne, les vendeurs de « pêches » ne voudront pas vendre leurs voitures à ce prix. Il est trop bas pour eux. Seuls les vendeurs de « citrons » voudront vendre à ce prix.

Il en résulte une « sélection défavorable » : seules les voitures de mauvaise qualité, les « citrons », restent sur le marché. Cela peut, à son tour, faire baisser le prix moyen que les acheteurs sont prêts à payer, ce qui a pour effet d’exclure encore plus de « pêches » du marché. En fin de compte, le marché pourrait s’effondrer complètement, avec seulement des « citrons » achetés et vendus, ou avec des transactions qui cessent complètement.

La théorie d’Akerlof, qui s’articule autour des concepts d' »asymétrie d’information » et de « sélection défavorable », est principalement utilisée pour expliquer les situations sur les marchés des voitures d’occasion. Mais ses principes s’appliquent de manière tout à fait convaincante au scénario actuel du marché de l’emploi. Appliqués au marché du travail, les « citrons » et les « pêches » peuvent être considérés comme des travailleurs moins compétents et très compétents, respectivement. Dans un marché du travail parfaitement transparent, les employeurs connaîtraient la « qualité » de chaque candidat et pourraient adapter leurs offres salariales en conséquence. Mais dans la réalité, ce n’est pas le cas. Les employeurs ont souvent du mal à évaluer avec précision le potentiel des candidats, en particulier lorsqu’il s’agit de candidats seniors expérimentés.

Les employés seniors, avec leur grande expérience, sont généralement les « pêches » sur le marché de l’emploi. Cependant, ils ont également des attentes salariales plus élevées qui reflètent leur qualité. Les entreprises, incertaines de la valeur réelle que ces employés peuvent apporter, sont réticentes à répondre à ces attentes salariales et proposent plutôt un salaire « moyen ». Ce salaire moyen est souvent trop bas pour ces « pêches », ce qui les rend réticentes à accepter les offres d’emploi et les laisse au chômage. Au fil du temps, le marché commence à voir une plus grande proportion de « citrons », ce qui peut amener les entreprises à réduire encore davantage leurs offres salariales. Ce processus aboutit à ce que les économistes appellent la « sélection adverse », qui laisse au chômage des travailleurs de qualité, en l’occurrence des cadres supérieurs.

Cette dynamique explique sans doute en partie pourquoi le marché du travail français connaît des taux de chômage élevés chez les seniors. Pour résoudre ce problème, il faut des stratégies innovantes visant à réduire l’asymétrie de l’information. Les employeurs ont besoin de moyens plus précis pour évaluer la valeur des travailleurs expérimentés, et les professionnels seniors doivent communiquer efficacement sur leur valeur.

En outre, une intervention politique peut s’avérer nécessaire pour corriger cette défaillance du marché, par exemple en offrant des incitations aux entreprises pour qu’elles embauchent des travailleurs seniors ou en mettant en place des plates-formes où les travailleurs seniors peuvent démontrer leurs compétences.

D’ici là, espérons que les employeurs déjà pressés comme des citrons auront réappris à faire leur marché.

(1) George Akerlof est un économiste américain renommé pour son travail sur les asymétries d’information et le marché des biens d’occasion, ou « le marché des citrons ». En 2001, il a reçu le prix Nobel d’économie pour son article de 1970, « The Market for ‘Lemons' », qui explique comment l’information inégale peut mener à un effondrement du marché. Il a également contribué à la théorie des contrats, à l’économie comportementale et à la macroéconomie. Akerlof a enseigné à l’Université de Californie à Berkeley pendant la majeure partie de sa carrière.