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Comment Alibaba a fait d’Alipay un tiers de confiance

En s’appuyant sur le fait qu’en Chine les clients déclenchent eux-mêmes le paiement de leurs commandes, à réception, Alibaba a permis à la logistique de son pays de faire un pas de géant dont profite tout un écosystème.

Alors que l’e-commerce en Chine commençait à montrer des signes de développement très encourageants, les clients, comme les marchands ou même les salariés de Taobao, ont bien vite été obligés de se rendre à l’évidence : la logistique chinoise était loin d’être à la hauteur.

Un pays très en retard dans la logistique

Tandis que l’économie chinoise se modernisait et se libéralisait, de nouvelles industries sont sorties de nulle part, à toute allure, laissant derrière elles les infrastructures commerciales et logistiques, pourtant nécessaires à leur développement. La logistique en général et le secteur du transport n’ont pas fait exception à la règle.

Bien que le service postal national de la Chine couvre le pays tout entier, il s’avère bien trop lent, même encore aujourd’hui, pour permettre au e-commerce de fonctionner. Les transporteurs internationaux tels que FedEx et DHL savaient expédier des colis à destination et en provenance de Chine, mais pas de manière significative à l’intérieur du pays lui-même. Pendant près de deux décennies donc, les entreprises chinoises n’ont eu que peu de choix en matière d’expédition de biens de consommation.

À partir de la fin des années 1990, plusieurs entrepreneurs du comté de Tonglu, dans la province du Zhejiang au sud-ouest de Hangzhou, ont commencé à proposer aux entreprises et aux particuliers un service de transport suivant un axe commercial bien connu, situé dans le delta du fleuve Shanghai. Les entreprises de la région ont alors connu une expansion rapide dans tout le pays, en répondant à un besoin naissant de livraison rapide et abordable. C’est dans ce contexte qu’elles ont également pris la vague du e-commerce.

Lorsque Taobao a été fondée en 2003, l’entreprise s’est involontairement immiscée au sein d’une industrie du transport en Chine, à la fois concentrée géographiquement et en pleine mutation.

  • La mafia Tonglu, également du comté du Zhejiang, était à l’origine des quatre plus gros transporteurs historiques du pays.
  • SF Express, un service de livraison express haut de gamme, fondé à l’origine pour gérer les livraisons entre la province de Guangdong et Hong Kong, s’est invité dans la partie et a proliféré dans le haut du marché.
  • Une douzaine d’autres acteurs plus petits, sont apparus, s’adaptant aux spécificités régionales, tout en visant une domination nationale.

Comment un marché du e-commerce, en pleine croissance et en recherche d’une consolidation de sa propre chaîne de valeur, pouvait-il opérer au sein d’un écosystème si compliqué : comptant des entreprises opérant à des échelles géographiques très variées, apportant des niveaux d’expertise peu homogènes et caressant des ambitions très différentes ?

En 2006, après une phase de maturation, la direction de Taobao comprend que la complexité du système logistique chinois est génératrice de difficultés tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. En raison des différences régionales marquées à travers la Chine et d’un système alambiqué de franchisage au sein de la filière, les prix et la qualité du service varient considérablement d’une région géographique à l’autre. Les marchands opérant sur Taobao doivent faire appel à leurs propres partenaires logistiques, non interfacés avec le site Taobao.

 

Une expérience client déplorable

La situation pour les clients n’est guère préférable. Une fois la commande passée, le client doit utiliser des sites Web mal conçus et instables,  créés par les transporteurs, pour pouvoir simplement suivre leurs commandes. Les défaillances technologiques des prestataires logistiques, l’inexpérience relative des transporteurs et l’augmentation considérable du volume des transactions effectuées via Taobao engendre de multiples dysfonctionnements.

Et pour clore le tout, les pirates informatiques exploitent à outrance les failles de sécurité d’Internet pour extorquer aux sociétés de transport des données sur les clients.

Taobao n’avait donc pas d’autre choix que de résoudre ces difficultés, mais que faire ? Imiter Amazon, bien connue dans l’industrie pour le développement de capacités logistiques en interne? Non ! Car les coûts et la difficulté à gérer une infrastructure logistique interne n’étaient pas envisageables compte tenu de la croissance exponentielle du modèle de plateforme de Taobao.

En 2006, Alipay expérimente un service optionnel où les marchands peuvent envoyer des demandes de prix aux entreprises de logistique. L’idée est alors de standardiser et rendre plus transparents les tarifs des transporteurs. Alipay avait également l’intention à l’époque de se réserver le droit d’imposer des amendes aux acteurs du transport ou de la logistique ne tenant pas leurs engagements, y compris de délais de livraison. Le service ne décolle pas. Seuls deux grands fournisseurs et une petite entreprise de Shanghai acceptent à l’époque de travailler avec Taobao, sans doute parce qu’elles sont déjà en perte de vitesse.

La solution trouvée par Taobao

Taobao réagit et adopte alors une approche toute différente, en intégrant les flux logistiques au sein de sa plateforme et, ce faisant, en impliquant des logisticiens et des transporteurs externes dans son écosystème. Le génie de cette idée se comprend lorsque l’on sait que dans le e-commerce chinois, une fois que le consommateur a terminé un achat et qu’il a complété sa commande, l’argent payé est conservé dans le système d’Alipay jusqu’à ce que la transaction soit terminée. L’indicateur de la bonne réalisation de la transaction incombe aux consommateurs, qui confirment qu’ils ont bien reçu leur article comme demandé. Une fois qu’Alipay reçoit cette confirmation – et seulement à ce moment là – le commerçant reçoit le paiement.

En 2006, Taobao améliore son logiciel de transaction désormais développé par une seule équipe intégrant également les parties prenantes. La société impose aussi aux vendeurs de saisir un numéro de suivi de colis dans le système de Taobao, après avoir expédié des marchandises physiques. Sans ce numéro de suivi, le consommateur ne peut pas valider la bonne exécution de la commande et libérer le paiement.

Au démarrage, la grande majorité des entreprises de logistique ne sont pas tellement disposées à partager leurs données avec Taobao. Mais voyant le volume des commandes des logisticiens ayant joué le jeu exploser, le reste de la profession finit par changer son fusil d’épaule. Fin 2008, tous les grands acteurs logistiques chinois sont intégrés à Taobao.

 

Une fois n’est pas coutume, Alibaba a su mettre la technologie au service d’un contexte, et n’a pas cherché à créer une nouvelle configuration des choses à part entière. Très chinoise, cette approche de la stratégie plus immersive, plus progressive, plus implicite, permet au géant de l’e-commerce chinois de consolider sa position de leader en rendant compliqué et coûteux, pour les acteurs impliqués dans son écosystème, d’en sortir un jour.