57 pionniers du web social en marche pour la souveraineté numérique et l’inclusion
Le web social a bouleversé nos vies. 57 pionniers se proposent d’en explorer les conséquences sur notre société avec en ligne de mire une ambition : identifier sept pistes pour un futur numérique sain, responsable et pourquoi pas libéré de la domination des géants de l’Internet comme les GAFA ou les BATX. Interview de Fadhila Brahimi et David Fayon.
Bonjour Fadhila Brahimi et David Fayon, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?
Fadhila Brahimi et David Fayon : L’idée de départ était de marquer l’anniversaire de l’avènement du web social (appelé Web 2.0) avec les pionniers-évangélisateurs des premières heures (2004-2007). C’est-à-dire les blogueurs, premiers inscrits aux réseaux sociaux qui avaient organisé les premiers événements dits collaboratifs et les premiers écrits (manuscrit, e-book) sur le social media. Mais ce ne fût qu’un prétexte à des intentions plus grandes.
En effet, en lisant de nombreux articles américains appelant au “reset d’Internet”, Fadhila Brahimi s’est aperçue que de nombreux pionniers francophones s’étaient soit déconnectés des médias sociaux soit mis en retrait. Parmi ceux qui continuaient à prendre la parole, on entendait souvent des alertes sur les dérives du web social : monopole des GAFAM, fake news, hyperconnexion, précarité des travailleurs du clic, enjeux de l’identité numérique et des données personnelles, infobésité, manipulations, etc.
En scrutant tous les articles et les e-books, Fadhila Brahimi, a contacté les quelques 150 personnes du petit village francophone des premières années du Web 2.0 afin de leur proposer de phosphorer et de produire quelque chose ensemble sur la base des valeurs qui nous avaient motivées au départ.
L’une des idées phares fut de produire un livre inédit retraçant les grandes évolutions de ces 15 dernières années et de se projeter pour les 15 prochaines années avec une approche multidisciplinaire.
Savoir d’où l’on vient
pour comprendre le présent et,
envisager le futur des possibles.
C’est ainsi que David Fayon et Fadhila Brahimi ont démarré la coordination d’un ouvrage répondant à la question suivante :
“15 ans de web social : de l’utopie à une réalité contrastée, un réenchantement est-il possible ? “
Au regard, de l’accélération des usages numériques depuis la crise du Coronavirus, de la guerre froide entre les géants du net sur l’échiquier mondial (USA vs Chine), du sursaut pour une souveraineté numérique nationale et européenne…. ce livre apporte une culture générale et des clefs de compréhension aux agents et acteurs de la transformation numérique.
Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?
FB et DF : Comment sera le Web dans 15 ans ? La carte n’est pas le territoire
Les frontières du monde physique ne sont pas celles du monde numérique avec des nuances. Ainsi, Internet dépend d’infrastructures matérielles (par exemple serveurs, réseaux) qui sont situées dans des espaces nationaux. Les câbles sous-marins, qui assurent environ 99 % du trafic intercontinental des données, sont situés en partie dans des eaux continentales. Les infrastructures matérielles reposent sur des territoires, lesquels dépendant pour la plupart de la souveraineté d’États. Ceux-ci peuvent contrôler les frontières du cyberterritoire correspondant à leur territoire physique. Les données d’un utilisateur dans un pays peuvent être stockées dans le cloud dans un serveur situé dans un autre État, ce qui complexifie l’analyse. Pour autant, il existe de nombreuses solutions de contournement ainsi qu’un arsenal législatif comme le CLOUD Act américain qui permet aux forces de l’ordre américaines de contraindre les acteurs américains comme les GAFA à fournir les données demandées quel que soit leur lieu de stockage dans le monde, ce qui porte atteinte à la vie privée des citoyens.
Au-delà de la souveraineté des États, des géants du numérique par leur nombre d’utilisateurs et leur pouvoir défient les États. Et on assiste à l’émergence de blocs numériques, les États-Unis et la Chine principalement. Alors que l’on imaginait une Chine isolée, l’Empire du milieu s’ouvre, innove et s’exporte (Alibaba, etc.). Des pôles d’innovation dans le monde se sont constitués au-delà des États-Unis et de la Silicon Valley en particulier, de la Chine et de l’Europe : Israël, autres nations asiatiques, en Inde et à Bengalore en particulier, etc. L’Europe essaye d’exister en ordre dispersé avec peu de champions et de licornes. On a assisté à un déclin de la France (par exemple Dailymotion créé en 2005 vs YouTube, Viadeo en 2004 vs Linkedin en 2003). Aussi la question du sursaut numérique est vitale pour prétendre peser sur la scène internationale dans 15 ans. Nous allons également assister à une émergence progressive du continent africain, qui avec son innovation frugale et d’autres modèles économiques, va se faire une place sur la scène internationale.
Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?
FB et DF : Citons trois tendances principales évoquées dans l’ouvrage :
Au niveau des personnes, la crise du Covid-19 l’a particulièrement mis en valeur : la recherche des 3 S (Sens, Sérénité et Sagesse) dans le vivre en ligne et, dans la gestion de la relation à soi, aux autres et à l’environnement – même à distance.
Nous pouvons qualifier cette tendance de quêtes philosophique et écologique au service d’une société connectée plus inclusive, moins polluante et plus soucieuse du bien-être.
Au niveau technologique, la blockchain est celle qui a le plus de potentiel de disruption de nombreux pans de la société et au-delà du seul usage des crypto-monnaies dont les médias font largement écho avec le bitcoin. Elle permet de redonner un pouvoir d’égal-à-égal sur le réseau ce qui était le cas au début d’Internet même si le réseau des réseaux a évolué vers un pouvoir centralisé par quelques acteurs oligopolistiques comme les GAFAM. Pour autant, l’une des clés de réussite est le développement de blockchains qui soient compatibles avec la sobriété énergétique. Et pour cela, ce ne peut être des techniques de preuves de travail mais a contrario de preuves d’enjeu qui seront à rechercher.
Au niveau géo-éco-politique, la souveraineté numérique que nous avons détaillée dans le chapitre 15 a aussi pris une importance accrue avec la crise du Covid-19 qui s’est matérialisée par la recherche de la production locale dans tous les secteurs. Elle a également montré notre extrême dépendance numérique aux acteurs américains, les GAFAM en tête mais aussi sur l’ensemble de la chaîne de valeur numérique (matériel, système d’exploitation et logiciel, données) à des acteurs non européens, Etats-Unis et Chine en tête. Pour les Etats-Unis, on songe aussi à des acteurs “sous le capot et moins visibles” comme Intel, Cisco, aux noms de domaine gérés par l’ICANN, etc.
Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?
FB et DF : Le Web 2.0 et les médias sociaux, au cœur d’Internet, multiplient le champ des possibles. Nous devons tous comprendre les codes, la culture du réseau, les enjeux, apprendre à discerner les informations véhiculées, savoir les principes des algorithmes utilisés par les principaux acteurs et la façon dont ils sont orientés, bref ne pas perdre notre jugement critique mais au contraire l’avoir aiguisé. Et tout ceci sans tomber dans le travers du tout digital. La clé est de pouvoir avoir les éléments pour se repérer dans le monde numérique tout en étant dans le monde physique. Les deux mondes ne s’opposent pas et sont complémentaires. C’est aussi ce que nous avons montré dans deux des chapitres du livre et qui a d’ailleurs été pointé lors du confinement avec le risque d’une virtualisation extrême du monde le rendant moins chaleureux et humain. Nous aurons par exemple toujours besoin de l’homme et du reste l’intelligence artificielle ne sait résoudre que très brillamment des problèmes partiels.
En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?
FB et DF : Cela tient en deux mots 😉 souveraineté numérique et inclusion.
Notre objectif est de faire vivre le blog qui prolonge le livre, susciter des débats pour une prise de conscience des citoyens dans leur vie tant personnelle que professionnelle. Dans l’immédiat, il s’agit de diffuser le plus largement possible le livre pour partager les idées développées par le collectif des 57 contributeurs pionniers. Et par la même occasion générer des droits d’auteur entièrement reversés à parts égales à deux associations qui oeuvrent pour la réduction de la fracture numérique en France, Emmaüs Connect pour tous et Start-up for kids pour les enfants et les adolescents dans l’apprentissage du code car comme le disait le juriste américain « Code is law ». Nous entamons d’autre part les jeudis de 12 h à 12 h 30 une série de webinaires qui font écho à nos 7 pistes pour réenchanter Internet https://www.reenchanter-internet.com/. Leur caractère participatif permettra de nourrir plus encore les échanges car chacun apporte sa pierre à cette aventure qu’est le Web 2.0.
Merci Fadhila et David
Merci Bertrand
Le livre : WEB 2.0 15 ans déjà et après ? 7 pistes pour réenchanter Internet ! Un livre de Fadhila Brahimi, David Fayon & Al. Préface Claudie Haigneré. Avec la contribution de 54 pionniers du web social. Editions Kawa, 2020.