Numérique, la chancellerie chancelle
Les relations internationales se sont articulées autour du concept du rapport du fort au faible pendant des siècles, jusqu’au 11 septembre, où le monde vit naître le rapport du fort au fou. Avec la montée en puissance des GAFA et l’arrivée des BATX, un nouveau type de relations internationales pourrait voir le jour.
Les attentats du 11 septembre imposèrent soudainement aux Etats-Unis d’envisager autrement les relations internationales. Pour la première fois, la plus grande puissance militaire, politique et économique du monde se voyait confrontée à un adversaire plus faible qu’à l’ordinaire, ne disposant pas d’une véritable armée, de peu d’armes de guerre et encore moins d’engins de combat, ni d’arme nucléaire, même hypothétique. L’adversaire n’était plus simplement plus faible, mais plus fou. Les vagues de terrorismes qui s’en suivirent un peu partout dans le monde continuent d’imposer ce nouveau rapport du faible au fou à bien des états nations, y compris la France.
Plus spécifiquement et sans comparaison aucune, une nouvelle forme de puissance émerge, incarnée par une poignée d’entreprises devenues économiquement surpuissantes : les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). A titre d’exemple, la firme Apple avait à elle seule, en août 2018, une capitalisation boursière supérieure aux PIB de 91% des pays du monde.
Dans leur sillon, un autre cartel de sociétés géantes émerge : les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) de la Chine. Leurs aspirations hégémoniques obligent les états à considérer ces nouveaux acteurs de l’échiquier international tantôt comme des menaces, tantôt comme des partenaires.
Des menaces, parce qu’ils échappent à la réglementation fiscale, balayent des secteurs économiques entiers de leurs propres pays, renversent des entreprises centenaires, bousculent le droit du travail, collectent des données sensibles, courent plus vite que le législateur…
Des partenaires, car ils sont des alliés potentiels dans le cadre d’une concurrence économique devenue mondiale, de formidables moyens de pénétrer des marchés étrangers, des créateurs d’écosystèmes globaux dont les noyaux restent locaux, des créateurs d’emplois, des futurs alliés dans le cadre de nouvelles guerres technologiques (cyber-terrorisme, cyber sécurité, attaque de monnaies…).
La chancellerie a d’ores et déjà inauguré de nouvelles approches à l’instar du Danemark qui a nommé un ambassadeur auprès des GAFA. Le terme de « techplomatie » commence même à voir le jour. Mais elle peine encore à canaliser des demi-fous tels qu’Elon Musc, dont le talent de visionnaire, qui fait que certains le comparent à Thomas Edison, le conduit à ambitionner de concurrencer la NASA avec sa société SpaceX, de prévenir les attaques terroristes avec Palantir, une autre de ses entreprises considérée comme une pépite du big data, de chambouler le transport avec Hyperloop (permettant de concurrencer le TGV avec un dispositif tubulaire permettant des voyages à 800 km heures), de transformer l’industrie automobile avec ses véhicules autonomes et électriques de la marque Tesla… Et elle ignore sans doute encore les noms des futurs Elon Musc chinois, sans même avoir démarré les discussions avec Jack Ma, le PDG d’Alibaba.
Clé de voûte des relations internationales à l’ère du rapport du fort au faible, déstabilisée et rendue quasi impuissante face au rapport du fort au fou, la diplomatie doit aussi désormais se réinventer pour se préparer à œuvrer dans le cadre d’un rapport du fort au fast (rapide en français).