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Metaverse, les produits de luxe virtuels sont-ils encore des articles de luxe ?

Les produits virtuels que les marques de luxe vendent dans le Metaverse méritent-ils tout à fait cette appellation ? Un examen minutieux des critères permettant de distinguer un produit ordinaire d’un article de mode, puis d’un produit de luxe, permet d’en douter. Devenus virtuels, les produits de luxe peinent à le rester, même s’ils parviennent à conserver le statut d’articles de mode.

 

 

Pas moins de quatorze critères permettent d’établir une distinction entre un produit ordinaire, un produit de mode, et un produit de luxe.

 

L’origine, parfois naturelle, du produit

Un produit de luxe peut être complètement naturel et ne subir qu’une très faible intervention humaine. La truffe que l’on ramasse, une perle trouvée au fond de l’océan, et du caviar sont des exemples. Il a parfois besoin de la main de l’homme pour acquérir un surcroît de valeur, tel un diamant qu’il faut tailler ou de l’or qu’il faut fondre avant de lui donner la forme d’un lingot. Ce critère n’est aucunement essentiel pour être un produit de luxe ou de mode ; autrement, la majorité des articles proposés par l’industrie du luxe ou de la mode (vêtements, montres, sacs, parfums, bijoux, chaussures…) en seraient exclus. Mais il peut conférer le statut de produit de luxe à des éléments naturels rares. Un produit de luxe virtuel, proposé dans le Metaverse, ne répond aucunement aux exigences de ce critère : il n’est pas naturel mais on ne peut plus artificiel, il n’est pas une matière puisque virtuel, il n’est pas rare puisque reproductible à l’infini grâce à la magie des technologies.

 

La présence d’une marque

Certains produits de luxe ou de mode ne se voient pas nécessairement affublés d’une marque. Un diamant, le platine, ou le fufu n’ont pas de marque. Les vêtements de la marque Comme des Garçons n’ont pas d’étiquette et ne portent aucune marque. La marque MUJI a également longtemps opté pour cette stratégie. Cependant, la plupart des produits de luxe ou de mode ont une marque que leurs maisons gèrent avec le plus grand soin afin d’en préserver et d’en consolider l’image. Dans le Metaverse, les marques des produits de luxe sont bien visibles tandis que leur style évoque à lui seul la marque dont ils émanent, sans parler de la promotion dont ils ont fait l’objet. Sur ce point, les produits de luxe virtuels résistent encore et conservent leur statut de produits d’exception.

Le nombre de bénéficiaires

Par son prix simplement, le produit de luxe est historiquement réservé à un petit nombre de clients. Les robes Chanel ne sont pas portées par le plus grand nombre. Reste les produits accessibles à des bourses moins remplies et qui portent des marques de luxe, comme les parfums. Quelle femme élégante et chic ne s’est pas trouvée gênée de constater que la caissière du supermarché portait le même parfum qu’elle ? Si un produit de luxe doit être possédé par un petit nombre, alors le produit de luxe virtuel répond tantôt à cet impératif, tantôt il s’en écarte. Puisque l’on trouve dans le Metaverse des sacs de grandes marques, proposés en série limitée, destinés à n’être possédés que par celles et ceux qui auront dépensé plusieurs milliers de dollars pour les acquérir. Et aussi des produits comme des vêtements, siglés du logo de grandes marques, à moins de 100 dollars.

 

Le prix

Un prix élevé est, a priori, le plus évident des attributs d’un produit de luxe. Longtemps, les belles maisons se sont d’ailleurs interdit d’afficher le prix des articles dans les vitrines de leurs magasins, arguant qu’il ne constituait pas une préoccupation pour leur clientèle. L’industrie du luxe s’est alors considérablement développée en proposant des produits plus accessibles, comme les accessoires, le parfum, la beauté… Des marques de haute couture comme Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent ont adopté cette stratégie tandis que des marques de maroquinerie de luxe comme Prada ou Gucci ont fait de même. Le marché est aujourd’hui inondé de produits portant des marques de luxe, mais n’ayant plus le prix d’articles exceptionnels. Dans le Metaverse, les maisons de luxe ont d’emblée proposé simultanément des séries limitées de sacs, par exemple, à des prix très élevés, pouvant dépasser plusieurs milliers d’euros, et des vêtements vendus à des prix inférieurs à ce que l’on trouve chez Zara, au plus grand nombre.

La diffusion

La mode étant ce qui est porté par le plus grand nombre à un moment donné, elle a besoin d’une diffusion de masse et de figurer dans toutes les vitrines de magasins et sur toutes les pages d’accueil des sites de vente en ligne. La diffusion est aussi une stratégie cruciale dans l’univers du luxe, avec notamment des stratégies de distribution sélective. Traditionnellement, la diffusion sélective a permis aux marques de contrôler l’accès à leurs produits, préservant ainsi leur exclusivité. Dans le Metaverse, cette stratégie se traduit par une disponibilité virtuellement contrôlée, où la portée transcende les limitations physiques, offrant à la fois des opportunités d’exclusivité mais soufflant sur les braises de la tentation d’une surexposition.

 

La quantité de travail nécessaire

La quantité de travail nécessaire à l’élaboration d’un article de luxe a toujours été un facteur distinctif des produits de luxe. Un sac fait main ou une voiture de luxe demandent davantage de temps que leurs équivalents de gamme inférieure. Les produits de mode sont industriels et nécessitent moins de temps en utilisant des matériaux plus communs. Les produits virtuels du Metaverse requièrent également une conception minutieuse, mais leur processus de création diffère, suscitant des questions sur l’estimation du travail impliqué dans le monde numérique. Si dans le luxe, un bijou demande autant de temps pour chaque pièce, la création d’un collier virtuel n’intervient qu’une seule et unique fois.

 

La durée de vie

Si la mode se démode et que ses produits sont voués à ne pas rester à la mode, la durée de vie est une caractéristique significative des produits de luxe, visant à traverser le temps, à durer, à s’émanciper de la mode. Quant à la nature éphémère des produits virtuels du Metaverse, intrinsèquement liée aux évolutions technologiques et au dynamisme du marché, nous oblige à revoir la notion de durabilité dans un contexte virtuel.

 

Les savoir-faire requis

Les savoir-faire constituent le fondement artisanal, voire artistique, du luxe traditionnel. La mode requiert elle aussi son lot de savoir-faire spécifiques (stylisme, modélisme…). Dans le Metaverse, les compétences se déplacent vers la conception numérique et la programmation, reflétant ainsi un paysage de savoir-faire propres aux mondes virtuels, moins artistique, moins artisanal.

 

L’obsolescence

L’obsolescence est un enjeu crucial. Les articles de mode sont par nature dotés d’une obsolescence annoncée. Alors que les produits de luxe visent à prévenir ce vieillissement, par leur caractère exceptionnel. Les produits virtuels sont sujets à une obsolescence technologique rapide, les confinant dans la catégorie des produits de mode et non de luxe.

 

La qualité

La qualité intrinsèque reste une caractéristique fondamentale du luxe et compte dans la mode. Dans le Metaverse, la qualité émerge de l’interaction entre design, interactivité, et expérience utilisateur, remettant en question les critères d’évaluation traditionnels.

 

La valorisation dans le temps

La valorisation avec le temps est une dynamique familière aux produits de luxe. De belles voitures deviennent des voitures de collection, les vins gagnent à vieillir en cave, le cuir des chaussures s’orne d’une patine… Cependant, dans le contexte des produits virtuels du Metaverse, cette appréciation de la valeur reste encore à explorer.

 

La rareté des matériaux

La rareté des matériaux a été un attribut essentiel du luxe. Dans le Metaverse, la rareté est transformée en une réalité virtuelle gérée par des mécanismes numériques, donnant naissance à des concepts uniques d’une rareté purement artificielle.

 

La contrefaçon

La contrefaçon s’arrête là où le véritable luxe commence. Impossible d’imiter l’éclat d’un véritable diamant ou de l’or. Impossible de reproduire à l’identique une robe de haute couture nécessitant des matériaux et des savoir-faire exceptionnels. Dans le Metaverse, la contrefaçon virtuelle s’annonce plus aisée, même si des stratagèmes techniques œuvrent déjà pour la contrer.

 

Le sur-mesure

Le sur-mesure est une expression du luxe, offrant des expériences personnalisées. Dans le Metaverse, cette personnalisation émerge à travers la création d’avatars uniques et d’expériences virtuelles sur mesure, élargissant les horizons de la personnalisation. Mais en nous encourageant à habiller notre avatar, ne sommes-nous pas finalement invités à « jouer à la Barbie » avec nous-mêmes ?

 

Du luxe à l’art, il n’y a qu’un pas

C’est donc un artiste qu’il convient d’écouter pour nous aiguiller en définitive. L’œuvre de Bertrand Lavier vise à faire ressortir la différence entre une chose et son image. L’artiste appose donc sur les objets du quotidien (voiture, réfrigérateur, télévision…) une couche de peinture de la même couleur que celle qu’elle recouvre. L’épaisseur de la peinture et les traces volontairement grossières et visibles du pinceau qui y restent sont là pour montrer combien ce que nous regardons n’est pas l’objet lui-même, mais seulement son image. Dans le Metaverse, il s’agit bien de l’image, et uniquement de l’image, de produits de luxe qui nous est proposée à la vente. Tandis qu’aucune galerie d’art ne vend pour l’instant d’œuvres virtuelles de Bertrand Lavier. Allez donc comprendre pourquoi.