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La transformation digitale à coups de marteaux

Tandis que les entreprises de l’ancienne économie envisagent leurs transformations digitales plutôt comme des révolutions de velours, les acteurs de la nouvelle économie n’hésitent pas à recourir à la force : ultimatum lancé au salariés chez Zappos, remerciement brutal des équipes du début chez Netflix, menace de renvoie chez Amazon, destruction par millions de produits de l’ancien monde chez Samsung, séquestration des dirigeants chez Haier… De la Chine aux Etats-Unis, en passant par la Corée, rien n’est interdit pour gagner.

 

 

Le management doit disparaître chez nous, Tony Hsieh, Zappos

 

Zappos est connu pour ses pratiques RH radicales. Depuis ses débuts l’entreprise se targue de proposer systématiquement à toute personne récemment recrutée de choisir entre démarrer son nouveau job ou bien quitter sur le champ l’entreprise avec 2000 $ en liquide offerts par l’entreprise. Un moyen pour Zappos de s’assurer qu’un nouveau collaborateur n’est pas là simplement pour le job mais aussi parce qu’il adhère à la philosophie très particulière de Zappos.

 

En mars 2015, lorsque Tony Hsieh décide, seize ans après la création de Zappos (1999) et six ans après son rachat par Amazon (2009) de basculer vers l’holacratie, il ne s’y prend pas avec des gants. Un choix radical puisqu’il revient à sortir du modèle classique de management des organisations basé sur une hiérarchie et un système dit command and control pour évoluer vers un nouveau mode de gestion où la hiérarchie disparaît et le management supprimé, dans lequel chacun est libre de rejoindre des cercles (réunissant des compétences en fonction des besoins des projets), eux même auto-organisés. Le fondateur de Zappos se contente d’adresser un e-mail au 1 443 salariés de l’entreprise, commençant ainsi : « C’est un e-mail long. S’il vous plaît, prenez 30 minutes pour le lire entièrement ». Après quelques paragraphe, il annonce simplement la disparition du management chez Zappos. Plus loin, il précise que c’est à prendre ou à laissé.

 

Les conséquences ne se font pas attendre. Les premiers mois qui suivent sont particulièrement difficile pour l’entreprise. 14% des collaborateurs quitte la firme. Fin 2015, le turnover s’élève à 30%. Pour la première fois en huit ans, Zappos sort du palmarès des entreprises où il fait bon travailler du magazine Fortune.

 

Tony Hsieh n’en démord pas et maintien sa ligne de conduite, envisageant son entreprise davantage comme une ville qui s’organise que comme une bureaucratie, déclarant même dans une interview donnée au magazine Fortune que le self-management est l’avenir du management.

 

 

Merci pour tout, mais vous êtes virés, Reed Hasting, Nettflix

 

Netflix est sans conteste un des grands noms du digital qui nous ferait presque oublié que l’entreprise a d’abord été une entreprise de location et d’achat de DVD livrés à domicile puis qui a proposé la location moyennant un abonnement mensuel. Son service de vidéo-à-la-demande par abonnement via Internet a seulement commencé en 2007. La suite est connue, l’entreprise s’est lancée depuis dans la distribution d’un grand nombre de films et de séries télévisées à laquelle elle consacre des investissements de plus en plus importants.

En 2005, lorsque le fondateur décide d’entamer une transformation digitale et de passer au tout numérique, il réunit tous les collaborateurs dans le cadre d’une convention d’entreprise. Sur un ton solennel, il demande à tous les salariés qui sont chez Netflix depuis les débuts de se lever. Aux autres, il dit ! « S’il vous plait applaudissez-les. c’est grâce à eux que nous sommes là, que Netflix existe et que l’entreprise va pouvoir entrer dans une nouvelle aire. Remerciez-les aussi pour leur courage car ils sont remerciés de l’entreprise. »

Un scénario que l’on imagine mal pouvoir se produire en Europe et encore moins en France.

 

 

Ceux qui ne suivrons-pas les instructions qui précèdent seront virés, Jeff Bezos, Amazon

 

Avec le temps, Amazon a fatalement vu émerger des silos. Jeff Bezos, le fondateur et PDG d’Amazon, a pris ce problème à bras le corps afin d’introduire de la transparence au sein de sa société, d’instaurer un vocabulaire commun, de déployer des outils et des process homogènes.
Steve Yegge, l’un des dirigeants de la firme de Seatle, à qui Jeff Bezos confia le soin d’apprendre à tous les salariés à communiquer entre eux en utilisant des « services interfaces, autrement dit des interfaces de communication interne, conçues pour être claires, compréhensibles et utilisables par n’importe qui (salariés, fournisseurs ou partenaires externes).
L’idée centrale étant que chaque collègue traite chaque autre, quel-qu’il soit, comme s’il était un client de l’entreprise. La volonté de Jeff Bezos fut parfaitement bien traduite dans ce que les salariés de la société appellent désormais la Yegge Rant (déclaration de Yegge). Si l’idée est séduisante sur le papier et remplie de logique, sa mise en oeuvre fut notamment facilité par l’un des sept principes de ladite déclaration :

Toute les équipes rendront désormais publique toutes leurs données et leurs fonctionnalités à travers les services interfaces

Les équipes doivent communiquer entre elles à travers ces services interfaces

Aucun autre mode de communication entre les équipes n’est désormais autorisé : ni relation directe, ni accès directs aux données d’une autres entités, ni dossiers partagés, ni portes secrètes…

Peu importe la technologie utilisée pour développer les services interface (HTTP, Corba, Pubsub, développements sur mesure… Jeff Bezos s’en moque.

Tous les services interfaces doivent être conçus pour pouvoir être ouverts à termes vers l’extérieur et donc devenir accessibles à n’importe quel développeurs du monde, sans exception.

Quiconque ne suit pas ces règles, sera viré.

Merci et bonne journée.

 

Il en est ressorti le besoin d’aligner tout ce petit monde autour de mêmes protocoles, faisant d’Amazon un vaste espace de données accessibles à tous au sein de l’entreprise. C’est l’intuition d’un autre dirigeant d’Amazon, Andrew Jassy, qui conduisit Amazon à ouvrir cet environnement à l’externe et qui constitua le point de départ d’un des plus beaux succès d’Amazon : Amazon Web Service, l’offre cloud de la firme. Un espace de stockage de données largement plus important que celui de ses concurrents réunis.

 

 

Brûlez-moi sur le champs tous ces téléphones, Lee Kun Hee, Samsung.

 

En 1993, alors qu’il est président de Samsung, Lee Kun Hee effectue un tour du monde pour visiter toutes ses filiales. Arrivé à Francfort, il est horrifié de voir comment les téléviseurs Samsung ne sont pas mise par les chaînes de distribution en magasin. Il ne lui en faut pas plus pour adresser un e-mail au 200 dirigeants de l’entreprise pour les sommer de le retrouver, sous 24 heures, dans une salle du Falkenstein Kempinski Hotel. Une fois réunis, il enferme littéralement ses collaborateurs pendant trois jours afin de brainstormer sur la stratégie à adopter. Les pauses sont rares. Les nuits courtes. Le discours de Lee Kun Hee est sans ambiguïté. Ses messages sont clairs : le business est une crise permanente, il n’est pas plus possible de négliger la qualité.

 

En 1995, dans le même esprit, en voyant des téléphones ne répondant pas aux exigences du marché, Lee Kun Hee exige que quelques 150 000 téléphones soient entassées devant une usine de Gumi avant de demander aux ouvriers d’y mettre le feu. ce qui sera fait. L’équivalent de 50 millions de dollars de matériel s’évaporera en fumé, dans une fumée noirâtre accompagnée d’une odeur nauséabonde, sous les yeux souvent remplis de larmes des salariés de l’usine.

 

De cet épisode il en ressortira ce que Samsung a retenu comme la Déclaration de Francfort restée gravée dans les mémoire de l’entreprise. Depuis, la salle du Falkenstein Kempinski Hotel où se teint le discours de Lee Kun Hee a été reconstituée au siège de Samsung. Tous les dirigeants et les cadres s’y retrouvent une fois par an pour se ré imprégner du message historique. Quant à l’entreprise Samsung elle est considérée comme la plus innovante dans l’industrie des s smartphones et des télévisions.

 

 

Détruisez-moi ces réfrigérateurs à coups de marteaux, Zhang Ruimin, Haier

 

Lorsqu’il repris Haier, l’entreprise d’électro-ménager fondée par son grand père, Zhang Ruimin trouva une société en piteuse état. Résolu à en faire le leader se son marché, je jeune Zhang Ruimin me ménagea pas sa peine. L’un de ses faits d’armes se situe en 1984. L’histoire raconte qu’un client furieux se présenta à l’usine avec un réfrigérateur défectueux. Zhang Ruimin qui était justement là s’empressa de se rendre dans les stocks avec le client pour lui remplacer son produit. A cette occasion, il découvrit que 20% des réfrigérateurs sur le point d’être expédiés en magasins pour être vendus aux clients finaux, étaient défectueux.

 

Furieus, Zhang Ruimin fit aligner 76 réfrigérateurs défectueux devant l’usine et ordonna aux salariés de les détruire à coup de marteaux en leur criant qu’essayer de vendre ces produits, même en soldes, ne serait que contribuer à accélérer la précipitation d’Haier vers la faillite. Voyant ses ouvriers et ses chefs d’ateliers hésiter, Zhang Ruimin donna personnellement les premiers coups de marteaux. Quelques heures plus tard, avec le concours de toute l’usine, les 76 réfrigérateurs étaient en pièces.

 

En 2015, Haier était l’une des plus grandes entreprises du monde et l’une des plus florissante. Quant à Zhang Ruimin il figurait dans le classement des 50 meilleurs PDG dressé chaque année par le Financial Times.

 

 

Menaces, ultimatums, renvoies massifs, incendies, destructions de stock, rien n’arrête les champions actuels de la nouvelle économie qui ont bien failli rester dans l’ancienne économie pour de bon. Des pratiques impensables chez nous, peut-être trop enclin à ressasser un passé agréable et prospère, encore suffisamment récent pour occulter que les grandes choses ne se font pas sans casse. Combien d’esclaves sont morts pour bâtir les pyramides d’Egypte ?