La France doit créer un CAP numérique
Et si la France créait un CAP digital plutôt que des «grandes écoles du numérique». De quoi favoriser l’insertion d’une frange de la population dans la vie active qui en est aujourd’hui exclue, préparer la jeunesse aux nouvelles formes de travail qui l’attendent et réaligner la France avec les enjeux de ce que l’on appelle la nouvelle économie. Pourtant, aucun futur ministre de l’Education nationale ne semble y avoir songé. Ce n’est pas faute de commencer à savoir précisément ce qui va advenir dans les prochaines années.
Le travail tel que nous l’avons connu est voué à disparaître, du moins à se conjuguer de plus en plus à celui de machines, à s’effectuer à grand renfort d’algorithmes, sous l’œil bienveillant de l’intelligence artificielle.
L’ancien antagonisme entre les blue collars (cols bleus) et les white collars (cols blancs) pourrait tout bonnement être frappé d’obsolescence, se faire disrupter à son tour, en laissant place à une nouvelle espèce de travailleurs : les web collars.
Les prévisions en ce sens sont des plus alarmantes et nul ne semble être en mesure d’apporter des réponses de nature à préserver nos emplois, à garantir l’avantage compétitif de notre pays dans le nouvel ordre mondial et à préparer nos enfants au futur qui les attend.
Avant de savoir si le digital sera ou non, comme le croyais l’économiste Adam Smith au sujet de l’économie, guidé par une main invisible, il convient d’agir.
1. Créer un CAP numérique
Le système éducatif français a su accompagner l’évolution de son économie en dotant le pays de formations professionnelles.
Qu’attend-t-on pour créer un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle) numérique dont l’objectif serait de former des travailleurs à interagir avec, non plus les machines-outils de l’industrie, mais avec les machines de la révolution digitale ?
Si, comme on nous le prédit, les ordinateurs vont continuer à gagner en intelligence grâce à la concordance de plusieurs facteurs (augmentation de la puissance de calcul, inflation des données produites et exploitables par le monde moderne, progrès de l’intelligence artificielle, combinaisons d’innovations, réductions des coûts…), il faudra bien des hommes quand même pour les surveiller, les paramétrer, les allumer, etc. Un point que même les plus fervents techno-pessimistes ne contestent pas.
2. Créer un BEP numérique
Puisqu’il faut créer un CAP numérique, qui permettrait au passage de réinsérer dans le système éducatif une partie de la population en décrochage scolaire, pourquoi ne pas aller plus loin en imaginant un BEP (Brevet d’Etudes Professionnelles) numérique.
Les premiers enseignements tirés de l’observation de collaborations entre hommes et machines (intelligentes) tendent vers une même conclusion : l’homme progresse et progresse plus rapidement parfois que dans des contextes plus traditionnels, lorsqu’il collabore avec la machine.
Si les apprentis du numériques, leur CAP en poche, parviennent à se faire recruter et à progresser rapidement, la voie vers le BEP leur sera ouverte. Devenant compagnons, ils pourront un jour aspirer à devenir maîtres.
3. Créer un Bac professionnel numérique
Si la révolution digitale nous conjure de créer un CAP numérique et un BEP numérique, la suite est logique.
Le bac professionnel numérique aurait mille et une vertus.
Pour les élèves :
- Etre motivant.
- Augmenter les chances de rejoindre ensuite l’enseignement supérieur et la filière informatique, notamment.
- Etre couplé à une plus grande probabilité de trouver un emploi à la sortie, puisque le secteur numérique est celui qui recrute le plus et recherche notamment des jeunes.
Pour les enseignants :
- Offrir de nouvelles opportunités de mobilité en rejoignant les rangs des futurs enseignants de cette filière.
- Leur donner l’occasion de se former eux-même car, comme chacun sait, le meilleur moyen d’apprendre quelque chose est de l’enseigner.
Pour l’Education nationale :
- Devenir plus attractive auprès de jeunes aspirants à l’enseignement.
- Accélérer l’effort de modernisation pédagogique de l’Education nationale.
- S’inscrire dans son effort d’adaptation aux contraintes budgétaires de plus en plus fortes.
- Aligner ses missions avec la réalité du travail de demain.
- Moderniser son image.
La création de BTS et d’IUT proprement numériques pourra bien sûr suivre. Ces types de diplômes déjà très présents dans la filière informatique ont naturellement intégré la dimension numérique dans leur cursus, mais peinent encore cruellement à couvrir tout un pan des métiers du digital qui forment justement les principaux viviers de recrutement des jeunes : marketing digital, social media management, spécialistes du data…
4. Utiliser le digital pour relancer l’ascenseur social
En France, l’ascenseur social est, comme chacun sait, bloqué. Et les efforts de l’Education nationale pour y remédier ne suffisent plus.
Mais, tout comme la révolution industrielle qui certes détruisit des secteurs entiers, fit disparaître des métiers et eu son lot de conséquences funestes, la révolution numérique pourrait bel est bien créer plus d’emplois à terme qu’elle n’en aura finalement détruits. Les travaux de recherches les plus poussées qui animent les labs des grandes universités Américaines n’ont de cesse de souligner combien la révolution technologique à l’œuvre enrichira certains métiers, en fera naître d’autres et rendra l’homme plus indispensable.
Tout comme les filières telles que le bâtiment ou l’électronique ont permis à nombreuses personnes de créer leur entreprise ou bien de rejoindre des grands groupes après avoir complété leur cursus de BEP ou d’IUT, la révolution digitale pourrait vraisemblablement offrir à leurs cadets la possibilité de :
- Remplir les rangs de celles et ceux qui, en entreprises du secteur tertiaire, assis derrière des machines que l’on appelle des ordinateurs, participent à l’évolution de métiers encore très nouveaux et en plein effervescence : SEO, RTB, social media, programmatique…
- Inventer l’artisanat de demain.
- Venir se joindre aux machines grâce auxquelles les entreprises réaliseront des tâches que nous n’avons pas encore imaginées.
5. Préparer une génération entière au travail du XXIème siècle
Le travail va considérablement évoluer dans les prochaines décennies et à une vitesse inégalée dans le passé.
La globalisation n’a pas attendu la révolution numérique pour devenir une réalité. Mais le digital l’exacerbe.
- Le leadership de la gouvernance du digital est déjà dans la ligne de mire des Etats-Unis et impactera mécaniquement l’emploi des pays gagnants et des pays perdants.
- La compétition pour devenir la capitale mondiale de la Fintech révèle le crédit accordé aux nouvelles formes de financements de la nouvelle économie et concentrera des développements d’entreprises, de projets, de technologies, eux-mêmes consommateurs d’une nouvelle main d’œuvre mieux préparée au digital.
- Les nouveaux enjeux mondiaux comme celui de la cyber-sécurité, confinant les Etats entre l’avance considérable du géant chinois dans ce domaine et le caractère hyper imprévisible du hacking, nécessitera peut être des légions de travailleurs venues renforcer les rangs des services publics qui nous protégeront ou des sociétés privées qui se seront créées dans ce sillon.
- La pression concurrentielle sur les entreprises françaises provient de sociétés américaines comme Amazon.com tout comme leur uberisation et affecte naturellement l’emploi local.
6. Contribuer à endiguer le chômage grâce au digital
Le chômage est la grande maladie des sociétés développées de la fin du vingtième siècle.
S’il détruit ou menace des emplois, le digital en crée de nouveaux, mais surtout, oblige à repenser la notion même de travail sous tous les angles : juridique, économique, sociétal…
Le digital a également une préférence marquée pour une population de jeunes sortis de l’école, de profils débutants, de juniors, de stagiaires, qu’une nouvelle génération de récents diplômés de CAP numériques, de BEP numériques ou de bac professionnels numériques pourrait venir remplir.
Le digital a vu également naître de nouveaux métiers comme celui des conducteurs pour le compte d’Uber, de préparateurs de repas pour des livraisons de déjeuners en entreprises, de livreurs en tous genres, de préparateurs de commandes en entrepôts logistiques… autant de métiers qui soit s’accordent avec le niveau de qualification qu’offrent les diplômes de la filière professionnelle, soit pourraient donner le jour à une nouvelle forme d’artisanat comme le firent, et le font encore, les filières du bâtiment, de l’électricité, de la plomberie, etc.
Enfin, les espoirs politiques mis dans le développement de l’aide à la personne plaident également pour la création d’une filière professionnelle numérique, puisque les sociétés qui émergeront dans ce domaine seront de toute évidence le résultat d’une imbrication entre les compétences de machines devenues intelligentes (algorithmes, intelligence artificielle…) et d’humains pour intervenir lorsque les machines ou les services qu’elles rendront ne suffiront plus.
7. Voir le verre à moitié plein du digital
La création d’une filière professionnelle numérique, composée d’un CAP numérique, d’un BEP numérique et d’un bac professionnel numérique, à la laquelle nous appelons, est vraisemblablement possible pour un certain nombre de raisons :
- La France est largement rompue à l’exercice de création de filière professionnelle.
- La filière professionnelle a connu des succès.
- La jeune génération des dirigeants politiques et des élus pourrait être ouverte à un tel projet.
- De nouvelles infrastructures en tous genres, comme les incubateurs qui sortent de terre à vitesse grand V, pourraient héberger ces formations.
- Les fédérations, syndicats ou associations professionnelles pourraient y trouver leur compte.
Cerise sur le gâteau, la réaction publique que les enseignants ne manqueraient pas d’avoir et qui les ferait descendre dans la rue comme à chaque réforme de l’Education nationale, pourrait avoir lieu davantage sur les réseaux sociaux et s’avérer par la même occasion plus pacifiste, moins coûteuse et moins perturbatrice de la bonne marche de la société.