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La tolérance : le vilain petit canard soft skills

La tolérance distingue l’homme civilisé du barbare. Cette qualité fondamentale ne figure pourtant pas dans la liste des soft skills, tant à la mode et dont la liste semble vouloir se rallonger chaque jour. Pourtant l’entreprise n’a plus le choix et va devoir apprendre à tolérer des collaborateurs différents. J’ai nommé les digital champions.

 

Les soft skills occupent le devant de la scène. Combinaisons de savoir-être et de savoir-faire dans les domaines de la communication interpersonnelle, de l’intelligence émotionnelle, de traits de personnalité, d’attitudes permettant de mieux naviguer au sein de son environnement professionnel, de capacité à travailler plus efficacement avec les autres et par conséquent de réaliser de meilleures performances et d’atteindre des objectifs plus élevés tout en usant de compétences plus classiques, les soft skills intéressent d’autant plus qu’elles seraient l’arme secrète de certaines entreprises en vogue (Google, etc.).

 

Intolérable tolérance

Pourtant, une qualité qui mériterait largement de figurer au sein de la liste de ces nouvelles qualités, voire compétences indispensables à l’individu à l’ère du digital, est cruellement absente. Nous parlons de la tolérance.

Quel jeune champion du digital, minoritaire au sein de son entreprise, ne s’est pas vu pris à parti, voire recadré par son n+1, si ce n’est reçu par le DRH, pour s’entendre dire : « Oui, oui, oui… bon d’accord, vous faites votre travail. Tout le monde le reconnaît. Mais mettez-vous à la place de vos collègues, ils ne comprennent pas comment vous faites pour aller si vite, pour réaliser simultanément tant de tâches différentes, pour détenir un socle de compétences si large, pour attirer à vous autant les meilleurs éléments de l’entreprise… » ?

L’entreprise est comme un corps vivant qui rejette naturellement ce qui lui est étranger.

 

Stakhanov se retourne dans sa tombe…

Une erreur que l’U.R.S.S., pourtant perçue comme rétrograde, ne commit pas en son temps. Lorsqu’un ouvrier dénommé Alekseï Stakhanov se distingua par les performances largement supérieures à celles des autres ouvriers, les responsables de l’usine s’intéressèrent à ce colosse. Ils apprirent à le connaître et comprirent que son physique exceptionnel abritait également une tête bien faite qui lui avait permis de développer des tours de mains, des techniques et des méthodes augmentant sa productivité. Nul rejet. Nulle convocation. Nul signe d’intolérance. Au contraire, de l’écoute, de l’observation et de l’implication pour décliner sa méthode de telle sorte qu’elle soit utilisable par tous les ouvriers. Le stakhanovisme était né.

 

Pendant que l’on médite chez Google

Plus proche de nous, le singulier destin de Chade-Meng Tan illustre comment certaines firmes savent se montrer tolérantes. Comptant parmi les tout premiers (et brillants) ingénieurs de Google, Meng proposa d’aider ses collègues à développer leur intelligence émotionnelle par la voie de la méditation. Il conçut pour eux un module d’apprentissage destiné à des « cerveaux d’ingénieurs » qui connut un tel succès que Meng intervient désormais au côté du Dalaï-Lama ou d’autres sommités dans le domaine, dans le monde entier. Plus question pour Google de demander à celui qui aida à construire la première version mobile de Google Search et contribua largement à l’amélioration de la qualité des résultats apportés par le moteur de recherche, de se replonger dans son métier d’ingénieur. Il fait désormais partie du Google’s People Development Team (l’équipe qui se consacre au développement personnel des collaborateurs de Google) avec comme job description « enlighten minds, open hearts, create world peace » (illuminer les esprits, ouvrir les cœur et créer la paix dans le monde).

 

 

Aristote disait qu’être capable d’accueillir favorablement une pensée, une idée, une opinion sans pour autant la croire vraie, était le signe d’un esprit éduqué. Un point que l’entreprise devrait peut-être prendre davantage en considération, à moins qu’elle ne préfère méditer à l’histoire de Stakhanov.

 

Article initialement paru dans l’Observatoire de la compétence métier.