Ce ne sont pas tant les outils qui vont tout bouleverser, mais la façon de penser la formation
Le livre La boîte à outils du digital learning, signé par Christophe Coupeaux et publié chez Dunod, propose un guide concret et structuré pour reprendre la main sur les projets de formation digitale. Loin de la surenchère technologique, l’auteur y partage une vision méthodique et systémique, fondée sur l’expérience du terrain.
Bonjour Christophe Coupeaux, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?
Christophe Coupeaux : Tout a commencé lors d’une formation de formateurs que j’animais pendant la crise sanitaire. Cette formation portait sur l’hybridation de la formation. À la pause, l’un d’eux m’a lancé :
« On a accès à des dizaines d’outils aujourd’hui, c’est génial… mais on ne sait plus par où commencer, ni même lesquels choisir. »
Et cette remarque, je l’ai entendue à différents niveaux, dans des entreprises, des écoles, des organismes de formation…
C’est vrai : le digital learning n’a jamais été aussi accessible.
Les outils se sont multipliés, les plateformes se sont démocratisées, les coûts ont baissé, et le marché s’est structuré. En apparence, tout est là pour créer des expériences d’apprentissage innovantes.
Mais dans les faits, on observe souvent l’inverse : des équipes dépassées par l’offre, une veille difficile à tenir, des projets qui patinent faute d’une méthode claire. Une atomisation des pratiques. Trop d’outils, pas assez de repères.
C’est exactement pour ça que j’ai écrit La boîte à outils du digital learning.
Pas pour faire la promotion du dernier outil « techno-pédagogique » à la mode, mais pour donner des clés de lecture, des méthodes, des modèles, qui permettent de faire des choix éclairés, de structurer sa démarche, et de reprendre la main sur ses projets.
En somme, un guide de navigation pour celles et ceux qui conçoivent, pilotent ou déploient la formation digitale au quotidien, et qui veulent le faire avec lucidité, méthode… et un peu de sérénité.
Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?
C.C. : L’outil n°3 « L’approche systémique des risques » présenté dans le début du livre est caractéristique de l’angle que j’ai adopté dans cette boîte à outils.
En effet, la réussite d’un projet de formation multimodal est multifactorielle. Ce type de projet étant un assemblage mêlant différentes modalités pour favoriser le transfert de compétences, il plonge leurs initiateurs dans une certaine complexité. La citation d’Héraclite « On ne se baigne jamais dans le même fleuve » illustre parfaitement mon propos. On ne fait jamais deux fois la même formation car tout évolue en permanence : les contextes, le rapport à la compétence, les organisations, les usages digitaux, les publics…
Cette approche systémique de la formation digitale me paraît essentielle. Aborder isolement les facettes d’un projet conduit à des dérives ou des écueils.
Le déploiement de la formation, le système de communication, les pratiques RH et managériales sont autant d’éléments à investiguer, à clarifier, à expliciter pour construire un projet de formation multimodale qui atteint sa cible.
Avec cette « Approche systémique des risques », j’ai voulu mettre en avant le caractère multifactoriel d’un projet d’hybridation de la formation. C’est à la fois un complément et un pas de côté par rapport aux outils méthodologiques plus répandus tels que l’ADDIE ou le SAM, également présentés dans le livre.
Quelles sont les tendances émergentes en digital learning qui vous semblent les plus prometteuses ?
C.C. : Certaines tendances de fond sont encore à peine perceptibles, mais elles redessinent déjà la manière dont on conçoit et vit la formation. J’en identifie trois majeures.
La première, c’est l’invisibilisation de la formation dans les flux de travail.
La formation ne sera plus un moment distinct, mais une aide contextuelle, déclenchée automatiquement ou à la demande, directement dans les outils métiers.
C’est le principe du learning in the flow of work, amplifié par l’intégration croissante de l’IA générative.
La deuxième, c’est justement l’essor de l’IA générative… mais pas comme on le croit.
Ce n’est pas l’IA qui va remplacer les formateurs, c’est l’IA qui va redéfinir ce qu’on attend d’eux. La vraie rupture sera l’IA conversationnelle intégrée à la formation, capable de jouer un rôle de tuteur ou de coach virtuel.
Cela suppose de nouvelles compétences : learning engineering, prompt design, scénarisation adaptative…
La troisième, c’est le shift vers les compétences « réelles », mesurables.
On passe d’une logique de contenu à une logique de preuve : que sait faire l’apprenant ? C’est la montée du skills-based learning.
Cela implique de penser la formation comme un levier opérationnel, non plus seulement un capital de savoirs.
Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?
C.C. : Ne commencez pas un projet de formation digitale par le choix des outils.
Commencez par structurer votre démarche, développer une vue d’ensemble, échanger avec les parties prenantes, notamment les stagiaires.
Les outils sont accessibles, puissants… mais ce n’est pas le sujet. Ce qui manque le plus souvent, ce sont des repères, une méthode, une vision claire.
Les projets qui échouent ne manquent pas de technologie. Ils manquent de clarté.
Alors mon conseil : ancrez vos projets dans une approche rigoureuse, pensée globalement. Les outils viennent ensuite.
En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?
C.C. : L’IA, clairement. Mais pas seulement sous l’angle des « cols blancs ».
Je m’intéresse de près à la manière dont l’IA peut soutenir les publics peu qualifiés, pour lesquels les formats traditionnels de formation digitale montrent leurs limites – à commencer par la barrière de la langue.
Il y a un vrai enjeu à explorer comment l’IA peut leur apporter de l’aide : pour comprendre une consigne, dialoguer, apprendre, s’insérer dans la vie professionnelle…
À mon sens, c’est un axe de transformation majeur, encore trop peu investi.
Merci Christophe Coupeaux
Merci Bertrand Jouvenot
Le livre : La boîte à outils du digital learning, Christophe Coupeaux, Dunod, 2025.