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Pour construire les 2030 Glorieuses, la compétition fera place à la coopération

Partout en France, des preuves enthousiasmantes montrent que nous pouvons chacune et chacun renouveler les possibles et contribuer à un avenir durable, solidaire et au service du Vivant. Dans son livre « Mon métier aura du sens », Julien Vidal propose une galerie de portraits et d’avis d’experts tout à la fois boussoles, porte-drapeaux et phares dans la nuit. Interview d’un explorateur des 2030 Glorieuses.

 

Bonjour Julien Vidal, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Julien Vidal : Notre maison brûle et la classe politique au pouvoir se ment à elle-même. Si les Françaises et les Français ont montré ces dernières années leur envie de changer leurs modes de vie pour plus de durabilité et de solidarité, j’ai été marqué de voir à quel point l’écart était grand avec nos dirigeants et dirigeantes politiques lors des élections présidentielles de l’année dernière. Les débats et propositions étaient très loin d’être à la hauteur des enjeux de notre siècle et nous rempilons pour un nouveau quinquennat avec un Président condamné pour inaction climatique. Il y a de quoi être frustré.

Pour autant, j’ai réussi à faire que ma colère se transforme en conviction. Et j’ai l’impression que le monde économique et le niveau intermédiaire nécessaire pour vraiment enclencher un changement d’ampleur. À mon niveau, je reçois depuis ces derniers mois de nombreux appels et témoignages de salariés et dirigeants qui expriment leur détermination. Eux aussi considèrent que le temps est venu pour le monde économique de vivre sa révolution.

Je souhaite donc participer à la bataille des imaginaires qui fait rage sur le plan économique pour montrer qu’il existe des alternatives au néolibéralisme. Et pour étayer mon propos je partage les témoignages de celles et ceux qui ouvrent la voie et montrent l’exemple, partout en France, quels que soient leurs âges, leurs milieux sociaux ou encore les causes qu’ils défendent. Par leurs histoires, on se rend compte qu’il est possible de remettre du sens dans son métier tout en expérimentant des manières concrètes de dépasser la croissance économique qu’on nous présente comme l’Alpha et l’Omega de notre société.

Enfin, ce livre est aussi une réponse à toutes ces étudiantes et tous ces étudiants qui bifurquent. Je voulais leur tendre des perches enthousiasmantes pour qu’ils se rendent compte que non seulement ils font bien de ne pas vouloir travailler à saccager le Vivant mais qu’en plus ils et elles peuvent mettre leur énergie au service d’une activité qui aura un impact vertueux.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

« Et toi, tu fais quoi dans la vie ? » Après bien des péripéties et des malaises, aujourd’hui répondre à cette question ne me fait plus peur. Cela ne signifie pas que la réponse soit simple ou gravée dans le marbre, mais c’est désormais l’envie de raconter à quel point nos vies peuvent être une chance de tous les instants qui guide mon chemin personnel et professionnel. Qu’il s’agisse d’animer des ateliers de formation, d’écrire des livres, des tribunes, des chroniques, des articles de presse, de donner des conférences ou d’interviewer des personnes inspirantes pour le podcast 2030 Glorieuses, les variantes de cette mise en action sont toutes tournées vers ce but premier qui consiste à mettre en lumière l’infini de nos potentiels. Le besoin de témoigner, en nourrissant la réflexion de toutes les rencontres et découvertes racontées dans cet ouvrage, a guidé l’écriture de ce livre. Arrivé au terme de cette nouvelle expédition, je verrai peut-être évoluer la forme de ma mission de défricheur de talents et de médiateur des questions écologiques, soit pour donner des cours, soit pour m’impliquer dans la gouvernance d’une ville, ou que sais-je ? Mais le pourquoi ne changera pas. C’est ce pourquoi, illustré de tant d’avancées multiples, écologiquement honnêtes, qui donne le fil rouge de cet ouvrage.

Révéler les malentendus, dénoncer les idées reçues, contribuer à construire l’horizon différemment et rassembler ceux qui œuvrent déjà̀ pour entraîner les autres qui ne demandent qu’à se désimprégner des addictions nocives de notre économie resteront une ligne de conduite inaltérable. Sans tomber dans le piège de chercher à tout prix le métier parfait, à nous de faire de ce sujet non pas un objectif qui validera notre réussite, mais bien une quête qui nous permettra, au fil des ans, de continuer à nous sentir profondément vivants. C’est à cette condition qu’on peut se tourner vers le bien commun de manière sereine. C’est à cette condition qu’on peut participer proactivement à la construction des 2030 Glorieuses. La compétition fait place à la coopération. Notre société́ pourra ainsi s’enrichir de ses citoyens éveillés, épanouis, créatifs et altruistes.

S’autoriser à espérer le meilleur dans sa vie professionnelle tient donc avant tout d’une éthique personnelle, même si les effets de nos mutations nous dépassent. Notre propension à poursuivre le meilleur individuellement aura obligatoirement un impact collectif. En déployant et en norma- lisant ces métiers souhaitables et désirables, nous désactiverons l’un des leviers de contrôle les plus puissants.

Imaginez à quoi ressemblerait une économie dans laquelle les salariés n’auraient pas à subir l’angoisse du chômage. Terminée, l’armée de réserve du capitalisme, bonjour à l’armée de réserve des mondes de demain.

Une absence de projection dans les formations et les métiers à développer pour accompagner la transformation de notre société́ augmenterait considérablement le nombre de chômeurs dans les années à venir (que va-t-on faire de tous ces jeunes qui sortent d’écoles de marketing, de communication, de commerce ?) et permettrait à l’État et aux entreprises de pouvoir continuer à faire avaler des couleuvres aux salariés qui veulent conserver leur travail plutôt que d’être remplacés par ces milliers de concurrents potentiels tapis dans l’ombre.

En attendant que nos politiques éducatives décident à prendre enfin en compte le long terme, nous avons l’opportunité́ de nous former proactivement dès à présent à des métiers porteurs de plus de solidarité́ et de durabilité́.

Pour créer un appel d’air fantastique, nous, citoyens-travailleurs, avons un rôle essentiel à jouer pour hisser notre économie à la hauteur des enjeux du XXIe siècle.

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Julien Vidal : Je fais justement le travail de révéler plusieurs expérimentations de systèmes économiques qui tentent de répondre en même temps aux enjeux écologiques et sociaux.

Comment passer d’une économie linéaire à un flux circulaire ? Réduire la voilure, assumer la contrainte, ne plus rien perdre, ne plus rien gâcher pour redonner de la valeur à toutes choses. Faire moins bien sûr, mais pour faire mieux surtout ! C’est notamment le message porté par les ambassadeurs du low-tech qui, loin de refuser l’innovation, souhaitent qu’elle soit réellement durable, orientée vers une civilisation techniquement soutenable à long terme.

Comment notre économie peut nous permettre de recréer du lien plutôt que d’accumuler des biens ? Les crises (sanitaires, économiques, écologiques, énergétiques, etc.) s’accumulent et la place accordée à l’ESS dans l’économie générale est même en train de s’inverser, obligeant les entreprises « classiques » à se repositionner pour afficher plus clairement leurs liens à cette contribution au bien commun. L’ESS devient un modèle à suivre et ces entreprises qui dédient leurs ressources aux soins sont en train de modifier la manière dont nous menons notre quotidien, en replaçant l’Autre au centre de celui-ci.

De son côté́, l’environnementaliste et spécialiste de l’économie symbiotique Isabelle Delannoy démontre à quel point rétablir les connexions entre l’humain et le reste du Vivant, tout en tirant parti du meilleur de ce que la nature peut offrir pour le mettre au service du plus grand nombre, est un horizon à portée de main. L’économie pour régénérer le Vivant ? Pour illustrer cette idée, Isabelle Delannoy prend l’exemple des « jardins de pluie », un système alternatif de gestion des eaux de ruissellement urbain. Plus besoin de réseaux de tuyaux, de fossés, de chaussées réservoirs ou encore de puits d’infiltration pour organiser toute la logistique de la circulation de l’eau. « Grâce aux jardins de pluie, on recharge les nappes en respectant leur cycle », explique l’auteur de L’Économie symbiotique : régénérer la planète, l’économie et la société́ (Actes Sud, 2017) au sujet de ces infrastructures vertueuses qui, en plus, permettent « de lutter contre les îlots de chaleur ».

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Julien Vidal : Sur la question de remettre du sens dans notre travail, je pense qu’il faut oser l’expérimentation fertile pour avoir la certitude que votre intérêt pour une nouvelle voie sera durable. Il existe plusieurs moyens, en fonction de votre âge, de votre disponibilité́, de votre expérience, de vos moyens pour élargir votre champ des possibles sans pour autant prendre une décision radicale ! Le sentiment de devoir trouver une nouvelle voie « parfaite » est un vrai obstacle qui empêche de nombreuses personnes de sauter le pas car elles ont peur de venir à regretter leur passage à l’action. Essayer, prendre du recul, questionner, essayer encore…voilà un bon moyen de dépasser l’immobilisme qui est un véritable piège pour notre humanité.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Julien Vidal : La question des utopies pour mettre de la désirabilité dans le changement de société m’intéresse tout particulièrement. Je pense que c’est en créant des espaces et des habitudes pour que les citoyennes et les citoyens fixent les nouvelles abondances qu’ils veulent voir se déployer dans leur vie et dans la société qu’une transformation d’ampleur pourra vraiment s’initier. Comme le dit Patrick Viveret : « Il est urgent de prendre nos rêves pour en faire des stratégies ! »

 

Merci Julien Vidal

Merci Bertrand Jouvenot

 

Le livre : Mon métier aura du sens, Julien Vidal, Vuibert, 2023,