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Maître corbeau tenait dans son bec un fromage… de la marque Président

Et si la marque de fabrique du président des français était justement d’avoir fait le lui une marque ? Et si la lessive Macron devait innover pour ne pas être… lessivée face au savon noir Le Pen ? Voyons comment l’homme a imprimé sa marque en écoutant l’auteur du livre La lessive Macron : Comment les responsables politiques deviennent des marques. Interview de Raphaël Llorca.

Bonjour Raphaël Llorca, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Raphaël Llorca : On déplore souvent l’incapacité des hommes et des femmes politiques à porter une vision dans l’espace public. Or, il se trouve que les marques se caractérisent par une très forte aptitude à porter des valeurs et des idées au travers d’un récit et de signes. C’est cette construction symbolique des marques qu’il m’a semblé intéressant de mobiliser pour repenser le système de représentation politique.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

R.L. : La notion de marque politique n’est certes pas inédite: elle est même régulièrement convoquée dans le débat public, mais sous une forme tellement caricaturale qu’elle est victime d’un grand malentendu qu’il est temps de lever. En effet, qu’entend-on habituellement par « marque politique»? D’abord et avant tout une violente critique: celle de la marchandisation du politique. Perçue comme la pointe avancée du néolibéralisme, dénoncée comme le symbole des pires dérives de la société de consommation, la marque politique signerait la dénaturation et même l’effondrement du politique. Parler de marque politique, ce serait cautionner qu’une logique de marché régisse les enjeux de la Cité. Cette interprétation, si elle exprime des inquiétudes légitimes, résulte en réalité d’une profonde méconnaissance de la marque, que l’on confond systématiquement avec le marketing. Ne nous y trompons pas: le marketing est une redoutable technique de domination des marchés qui a pour principe de placer les attentes du consommateur au cœur de la construction d’une offre de biens ou de services. Parler de « marketing poli- tique », c’est donc concevoir le politique comme un vaste marché concurrentiel au sein duquel chaque candidat déploie des trésors de séduction pour flatter les attentes du citoyen, lequel déterminerait son vote en fonction d’un système multicritères – assimilant ainsi tout vote à un processus de choix très proche d’un banal acte d’achat.
Mais tout autre est la marque. Tout le travail du philosophe et théoricien de la marque Benoît Heilbrunn (2017) a été de montrer que la marque, loin de se réduire à une stricte fonction mercantile, était avant tout un système sémiotique1 très puissant, c’est-à-dire un système de signes doté d’une très forte aptitude à produire du sens. Soyons clair: dans ces pages, c’est à la marque en tant que structure que l’on s’intéressera, pas à la marque en tant qu’entité commerciale. C’est sa capacité originale à articuler des éléments de nature immatérielle (un projet, une vision, des convictions) et matérielle (une esthétique, des codes visuels) que l’on mobilisera, pas sa capacité à faire vendre. Ici, on tâchera de comprendre la marque comme un authentique dispositif de représentation du pouvoir: car si le marketing appartient à l’univers du produit, du positionne- ment et de la concurrence, la marque, quant à elle, a trait aux croyances, au symbolique et à l’imaginaire. Sortant la marque hors de sa stricte sphère marchande, cet essai a pour ambition de prendre au sérieux les potentialités de la marque pour penser le champ politique, ce que peu de politologues se sont aventurés à faire jusqu’à présent.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

R.L. : Je crois que nous tournons la page du storytelling politique, cette « machine à fabriquer les images et à formater les esprits » (pour reprendre l’expression de Christian Salmon) devenue l’alpha et l’oméga de la mise en récit du politique depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Le storytelling avait deux caractéristiques : la mise en valeur de l’intime et la sur-valorisation des émotions suscitées. Nous revenons à une construction de récit plus proche du mythe, à savoir des récits qui tout à la fois formulent et résolvent les points de tensions qui travaillent la société.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

R.L. : Pour comprendre le politique, l’approche journalistique et biographique ne suffisent pas : réhabilitons l’utilité des sciences sociales (autres que la seule science politique) !

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

R.L. : Je suis en train de plonger dans le système de représentation symbolique de l’extrême droite, qui est en pleine mutation. Pour le combattre, rien de tel que de le déconstruire !

Merci Raphaël

 

Merci Bertrand

 


Le livre : La lessive Macron : Comment les responsables politiques deviennent des marques, Raphaël Llorca, Serge Safran Editeur.