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Illusion de compétence : Quand l’IA nous fait croire que nous sommes experts

Comme l’IA promet de nous transformer en experts instantanés, il est tentant de croire que nous maîtrisons des compétences complexes en un clin d’œil. Mais derrière la façade séduisante de l’efficacité et de la rapidité se cache une réalité troublante : nous sommes moins les maîtres de ces compétences que les captifs d’outils conçus par d’autres. Cette dépendance grandissante à l’IA, tout en élargissant nos horizons, pourrait bien éroder notre véritable expertise et autonomie, nous laissant habiles manipulateurs d’interfaces, mais pauvres en compréhension profonde.

L’illusion de compétence : quand les IA façonnent notre savoir-faire

Steve Jobs, figure emblématique de l’innovation, affirmait : « Vous pouvez faire en dix minutes des choses exceptionnelles, parce que vous l’avez fait pendant dix ans. » Cette citation met en lumière l’idée que l’excellence dans une tâche donnée est souvent le fruit d’une longue pratique plutôt que de simples coups de génie isolés.

Cette approche contraste fortement avec la promesse des technologies modernes, notamment des intelligences artificielles, qui semblent offrir un raccourci vers la compétence. Mais cette compétence est-elle réelle, ou simplement une illusion?

La loi des 10 000 heures expliquée

Anders Ericsson, un psychologue suédois, célèbre pour sa recherche sur la performance de pointe et le développement de l’expertise, a inspiré à Malcolm Gladwell l’énonciation de la la loi des 10 000 heures, dans son ouvrage « Outliers ». Selon cette théorie, pour atteindre un niveau de maîtrise véritable dans n’importe quel domaine, une personne doit s’y consacrer environ 10 000 heures, soit plus de sept ans de travail acharné en supposant que l’on ne fasse que cela. Elle souligne l’importance de l’engagement et de la pratique régulière, bien loin de la maîtrise instantanée promue par l’usage des IA.

L’émergence d’une compétence instantanée

Les outils d’IA, des traducteurs instantanés aux assistants de conception graphique, promettent une efficacité immédiate sans besoin préalable de formation. Cette proposition séduisante porte en elle un paradoxe : elle nous rend compétents en apparence, mais dépendants en réalité. Nous ne maîtrisons pas vraiment ces compétences; nous manipulons des interfaces qui masquent une complexité que seuls les créateurs de l’IA comprennent véritablement.

La maîtrise, un concept redéfini

Dans une société où l’efficacité et la rapidité sont reines, la véritable expertise est souvent reléguée au second plan. Le danger réside dans la confusion entre l’utilisation efficace d’un outil et la maîtrise réelle d’un domaine. Jobs insistait sur le fait que la vraie compétence vient avec le temps et l’expérience, une notion qui se perd dans l’usage des IA.

Vers une autonomie réduite

Cette facilité d’accès à des compétences instantanées influence notre autonomie. Si d’un côté, les IA peuvent démocratiser l’accès à certaines connaissances ou capacités, elles peuvent également nous enfermer dans des écosystèmes contrôlés par ceux qui les développent. Nous devenons des utilisateurs passifs, guidés par des algorithmes dont les fonctionnements nous échappent souvent.

 

Alors que les IA redéfinissent les contours de ce qui est possible, elles remettent également en question la nature de la compétence et de l’autonomie. La réflexion sur ces changements est cruciale pour naviguer consciemment dans ce nouveau paysage technologique. Peut-être est-il temps de se demander non seulement ce que nous pouvons faire avec les IA, mais aussi ce que les IA font de nous.

 

 


Notes et références

  1. Ericsson, Anders, et Robert Pool. Peak: Secrets from the New Science of Expertise. Houghton Mifflin Harcourt, 2016.
  2. Gladwell, M. (2008). Outliers: The Story of Success. Little, Brown and Company.
  3. Harari, Y. N. (2016). Homo Deus: A Brief History of Tomorrow. Harper.
  4. Vinge, V. (1993). The Coming Technological Singularity. Vision-21 Symposium.

 


Article initialement publié dans Le Journal du Net.