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Il faut plus de force à un homme pour rester nuancé, qu’il ne lui en faut pour débattre

Au moment où sur tous les écrans le débat tourne au catch et semble pousser à l’affrontement incessant, où de nouvelles idéologies se bousculent, nuancer semble essentiel pour sauver l’art de la conversation et l’héritage des Lumières. Un projet auquel Didier Pourquery s’attèle de mille façons. Nous l’avons interviewé à l’occasion de la parution de son livre Sauvons le débat.

 

 

Bonjour Didier Pourquery, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Didier Pourquery : En tant que journaliste, je suis frappé depuis quelque temps par l’appauvrissement du débat public et par l’envahissement des « fight », « clash » et autres « punch-lines » qui sont censées représenter ce débat. L’appel à l’émotion se généralise, l’économie de l’attention, construite sur l’émotion, tourne en rond… les débats ne produisent plus grand-chose.

 

Or, aujourd’hui nous avons besoin de retrouver une véritable pratique de la conversation, fondée sur la nuance, pour recréer des dialogues constructifs.
J’en suis tellement persuadé qu’avec quelques amis nous avons en 2015 lancé la version française du site de partage de savoir The Conversation. Ce réseau mondial de médias associatifs, lancé en 2011 en Australie, s’est donné comme mission de nourrir le débat citoyen avec des analyses produites par des chercheurs (85.000 auteurs actuellement dans le monde). Sur notre site en français, plus de 8000 chercheurs francophones écrivent ou participent à des podcasts. C’est ainsi que nous participons à la conversation citoyenne.

 

Au-delà, réapprendre à converser, à discuter, à débattre me semble essentiel pour la vie en société. Outre que c’est une excellente manière d’apprendre des choses, converser est un vrai plaisir. Montaigne l’explique très bien dans son chapitre sur « l’art de conférer ».

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

D.P. : Dans l’introduction de mon essai, j’explique « d’où je parle » en tentant d’être le plus honnête possible. J’écris notamment (p.25) :
Pour moi, cet engagement s’inscrit dans une ligne que j’ai toujours défendue : s’appuyer sur l’esprit critique et le doute fécond plutôt que sur le cynisme et la défiance généralisée ; rechercher des solutions appli- cables plutôt que hurler des slogans dogmatiques ; écouter l’autre plutôt que l’écraser de son mépris ; rester ouvert et curieux plutôt que se satisfaire de dogmes dans l’air du temps. Le journalisme moderne est pour moi un journalisme modeste, qui sait faire son travail de dévoilement, de questionnement et de partage, à sa place, souvent dans l’ombre, sans idéologie ni pédantisme. Le journaliste n’est pas là pour donner des leçons, mais pour transmettre des informations éclairantes et utiles.

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

D.P. : Le slow… face à la dictature de l’accélération et de l’urgence, il faut ralentir. De la même façon qu’on a découvert le slow-food à la fin du XXe siècle, de plus en plus de personnes recherchent des slow-médias, ou « médias doux » qui prennent le temps de l’enquête, l’analyse et la narration qui a du sens. Dans le domaine du dialogue et de la conversation je suis partisan du « slow-talk », de l’échange qui prend le temps de l’écoute véritable et de la nuance, de la recherche du mot juste. Ralentir pour mieux penser. C’est un signal faible pour l’heure, mais cela grandit.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

D.P. : Rester curieux, garder vivante la curiosité que l’on avait enfant et continuer à la mettre en œuvre. Rester curieux, c’est ne pas s’enfermer dans ses certitudes ou ses opinions. Rester curieux, c’est vouloir débattre avec les autres pour en apprendre quelque chose. C’est aller voir de l’autre côté pour changer de point de vue, aller voir derrière, ne pas se satisfaire des apparences. C’est rester en alerte sur des idées qui germent ici ou là ; à l’affut des signaux faibles. C’est accepter d’être remis en question par des plus jeunes, des plus vieux ou des personnes très différentes de nous. C’est fuir les idées toutes faites, les clichés et préjugés. C’est enfin, rester ouvert au doute, sans le confondre avec la défiance.

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

D.P. : La recherche de l’utilité, sous toutes ses formes ; et dans mon domaine, l’information utile d’intérêt collectif : des informations qui vont au-delà de la narration de pure actualité pour chercher à fois le sens et l’utilité. Il s’agit d’un très beau chantier. Avec quelques amis de divers pays, nous avons lancé un projet autour de « l’information pour le monde suivant » ( imsprojet.org ) qui porte un plaidoyer, et bientôt une plateforme de partage qui fera vivre cette idée d’utilité. Une idée très forte.

 

Merci Didier Pourquery

 

Merci Bertrand Jouvenot

 


Le livre : Sauvons le débat, Didier Pourquery, La Cité, 2021.