En route vers une nouvelle révolution agricole
Dans son dernier ouvrage, « Un monde sans faim », Hervé Pillaud, agriculteur vendéen et fervent défenseur de l’innovation agricole, nous propose une vision révolutionnaire de l’agriculture comme clef de voûte pour un futur durable et prospère. Écrit en réponse à la récente crise alimentaire en Europe, ce livre, préfacé par Erik Orsenna, se veut un manifeste pour une nouvelle révolution agricole qui allie rentabilité, respect de l’environnement, et justice sociale. Il a répondu à nos questions.
Bonjour Hervé Pillaud, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?
Hervé Pillaud : La crise qui a bouleversé la France et l’Europe vient nous rappeler le rôle absolument central des agriculteurs. Elle doit nous inciter à nous tourner résolument vers des solutions qui permettent à la fois de préserver notre planète, de nourrir ses 8 milliards d’hommes et de respecter ceux qui produisent cette nourriture. Dans ce livre, j’ai voulu proposer un voyage vers une nouvelle révolution agricole, transmettre ma passion pour l’innovation. Parce que l’innovation ne doit pas être une option mais un engagement ! Je donne des exemples concrets des bénéfices des nouvelles technologies pour l’agriculture. Des robots aux NBT en passant par l’intelligence artificielle et la blockchain, j’ai voulu faire découvrir des startups qui mettent en œuvre ces innovations (Naïo Technologies, UV Boosting, Mycophyto, AIHerd et bien d’autres…) pour arriver à une Agriculture de régénération. Enfin je dessine les pistes d’un contrat environnemental entre l’agriculteur et la société dans lequel chacun doit s’engager à changer ses pratiques.
Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?
H.P. : Croire à un monde sans faim dans un monde sans fin, c’est avant tout avoir une vision de l’avenir, une ambition pour l’agriculture. A l’heure ou tant de questions se posent, nous n’avons d’autre choix que de faire celui de l’optimisme et de regarder en face ou sont les vrais défis. Nous avons besoin de toutes nos agricultures, la pluralité ou plutôt les pluralités sont notre richesse et notre passeport pour l’avenir :
• La pluralité des filières : élevages, grandes cultures, vignes, arboriculture, maraîchage, etc. vont continuer à occuper notre territoire et à évoluer sans qu’il ne soit possible à date de se positionner entre transition et rupture. Si les filières considérées comme classiques vont continuer à exister, de nouvelles vont s’inviter : les insectes – les algues – les espèces oubliées telles que les productions de yacon (édulcorant naturel également appelé poire de terre) ou d’amandiers qui sont désormais présentes sur notre territoire. D’autres productions, voire d’autres filières (sans que nous ne sachions encore lesquelles) vont émerger, venant ainsi enrichir notre patrimoine naturel et culinaire. Dans tous les cas, quelles que soient les productions, trois fondamentaux devront être respectés : souci de rentabilité – respect de l’environnement – vivabilité et équité pour les producteurs.
• La pluralité des modèles d’entreprises avec des scénarios diversifiés qui commencent à apparaître et vont se développer entre transition et rupture. Les nouvelles générations aspirent à contribuer au changement. La diversité des situations va générer ces nouveaux modèles. L’agriculture de demain sera de moins en moins familiale, avec des formules de sociétés et de réseaux adaptés aux besoins. De nouveaux modèles de société, de nouveaux collectifs, de nouvelles alliances vont se développer. Les “fermes”, ne seront plus cantonnées à la campagne même si nous y trouverons encore l’essentiel des activités agricoles. En complément (parce que là aussi, il faudra cultiver les synergies entre villes et campagnes), l’agriculture se développera également en ville. L’agriculture urbaine devient une réalité qui va s’amplifier en faisant cohabiter production – inclusion – andragogie.
• La pluralité des activités sera de plus en plus une réalité. Elle va bousculer les pratiques, décloisonner les ateliers, associer les productions. Quels que soient les modèles et les dimensions, une entreprise agricole de demain devra conjuguer : production alimentaire et non alimentaire – impact environnemental positif et sources de profitabilité – adéquation avec les valeurs sociétales collectives et aspirations personnelles. L’agriculteur de demain sera producteur alimentaire mais devra aussi devenir producteur et gestionnaire de services environnementaux indispensables à assurer la neutralité environnementale de l’agriculture et de toute la chaîne agroalimentaire. Il va falloir repenser les productions mais aussi les pratiques agricoles avec de nouvelles semences et solutions de traitement, déployer des démarches d’autonomie énergétique, stockage de carbone et restauration de la biodiversité…
Nous devons veiller au respect de cette triple pluralité si nous voulons éviter une forme d’ubérisation d’une partie plus ou moins importante de notre agriculture. Dans tous les cas, l’agriculteur, qu’il soit individuel, en société, en réseaux doit être responsable de ses décisions. L’agriculture du 21ème siècle sera une agriculture de plus en plus intensive en connaissances, de plus en plus économe en intrants et sera pratiquée à partir de solutions innovantes qu’il va falloir apprendre à maîtriser pour répondre aux missions nouvelles de l’agriculture en matière de productions alimentaires, de bioproduits, d’impacts environnementaux positifs et de responsabilités sociétales en commençant par la demande de nourriture pour tout un chacun.
Cette agriculture des savoirs ne peut émerger que par l’innovation dans un cadre permis par la loi.
Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?
« Innover pour un monde sans faim dans un monde sans fin », à n’en pas douter, elle est là la véritable innovation. De l’Homo sapiens à l’Agronuméricus, l’homme a toujours eu la préoccupation du monde sans faim garant de son double besoin de liberté et de manger ; l’homme du 21ème siècle doit y rajouter les défis de retrouver un monde sans fin parce qu’il a compris que « sa » planète, elle, n’est pas sans fin. Les défis qui s’annoncent s’ils seront encore technologiques seront aussi environnementaux, c’est l’enjeu d’une agriculture durable mais là rien de bien nouveau, contrairement aux idées reçues, chaque agriculteur qui se respecte a le soucis de préserver sa terre ne serait-ce que pour les récoltes suivantes ; ils seront aussi sociaux et sociétaux pour réinventer la manière de faire société commune et ça c’est assurément plus nouveau !
L’enjeu réel à court terme est de respecter et protéger la minorité silencieuse de femmes et d’hommes qui se lèvent chaque matin pour nous nourrir et qui disparaissent chaque jour. Nous avons délégué la production de notre alimentation à guère plus d’1% des nôtres, les mépriser est une folie ! L’agriculture sera véritablement une histoire sans faim et sans fin si nous protégeons ceux qui la font et si nous savons leurs laisser le champ de liberté suffisant pour innover, produire et finalement nous nourrir.
Si vous deviez prodiguer un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?
H.P. : À mes lecteurs, je veux simplement qu’il s’accapare ces quelques vers posés dès le début du livre :
Va semer, il est temps.
Le temps est aux semailles, il est à l’engagement.
J’ai préparé la terre, j’y ai posé le grain.
C’est le temps de l’espoir, le temps des prévisions. […/…]
Le temps est aux semailles pour qui veut entreprendre.
En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?
H.P. : L’éducation notamment à l’alimentation et la formation sont des sujets qui me passionnent ; mais le sujet de l’eau, de l’équilibre des eaux bleues et des eaux vertes d’une part et le potentiel de l’IA générative d’autre part sont les deux sujets sur lesquels je concentre mes réflexions.
Merci Hervé Pillaud
Merci Bertrand Jouvenot
Le livre : Vers un monde sans faim – L’agriculture, là commence notre futur !, Hervé Pillaud, Diateino, 2024.