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S’il vivait encore, Spinoza toucherait-il ses droits d’auteurs en Bitcoins

Quel rapport entre Spinoza et le Bitcoin ? Pierre Ginet répond dans son ouvrage « Bitcoin, l’évangile de la liberté ». Il nous montre comment cette cryptomonnaie s’inscrit dans une longue tradition philosophique, depuis les Lumières jusqu’aux Cyberpunks. Interview.

Bonjour Pierre Ginet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Pierre Ginet : Cet essai fait suite à mes études de philosophie sur Spinoza, le père de la philosophie des Lumières dont j’ai tiré un premier essai intitulé La Religion Vraie de Spinoza.

Grâce à une nouvelle vision copernicienne du monde et de la nature humaine, le spinozisme est d’abord une philosophie spéculative qui nous interroge sur les grandes questions classiques que sont l’existence de Dieu, du mal ou de la liberté… Mais c’est aussi une philosophie pratique dont le but, dit Spinoza, est « d’atteindre la liberté ou les voies qui permettent d’y aboutir ».

Pour Spinoza, l’homme n’est pas libre et, en tant que « mode fini » de la nature, il est naturellement soumis à des servitudes innées ou entretenues. Son propos est de nous faire comprendre que, sous la conduite de la raison, grâce à la démonstration et au raisonnement scientifique inspiré notamment de Galilée, il est possible de lutter contre les illusions qui nous enferment et de s’extraire des servitudes qui nous empêchent de nous épanouir. Qui nous poussent souvent, dit-il, « à voir le meilleur, l’approuver et faire le pire ».

C’est dans le cadre de cette étude du rationalisme que j’ai découvert Bitcoin, cet outil de liberté. Et j’ai ainsi voulu démontrer que si la philosophie politique des Cypherpunks a été influencée par l’école d’économie autrichienne, elle trouve de fait ses origines dans la philosophie des Lumières dont les Autrichiens libéraux sont les héritiers.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Pierre Ginet : À la page 133 de mon essai, j’explique que ce qui m’a le plus intéressé pour commencer à étudier Bitcoin est l’idée que l’homme, dit Spinoza, a une forte propension à dire du mal d’un concept qu’il ne connait pas. Surtout, donc, lorsqu’il fait face à un concept disruptif.

Il y a là une sorte de mécanisme inconscient lié aux servitudes qui nous enferment et s’extraire de cet écueil est illustré dans mon essai par l’exemple de Galilée qui précède Spinoza de quelques années seulement. Pour lui, seul un regard libre et détaché des servitudes liées à l’observation trompeuse permet d’établir une vérité scientifique universelle et c’est sa loi sur la chute des corps dans le vide qui le montre parfaitement. Cette théorie révolutionnaire ne fut prouvée en laboratoire qu’au 20e siècle mais elle établit que la vitesse de chute dans le vide d’un corps n’est pas proportionnelle à sa masse mais au temps passé à chuter. Et que, de ce fait, une bille de plomb ou une plume de canard lancés dans le vide en même temps tomberont toujours à la même vitesse contrairement à ce que l’observation nous fait croire.

Un « pas de côté » intellectuel qui constitue une expérience de pensée défendue par les philosophes de Lumières et ses héritiers… Un « oser penser » dit Emmanuel Kant qui s’inscrit très bien dans cette nouvelle façon de penser qu’est Bitcoin.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Pierre Ginet : La critique faite par les cypherpunks libertariens et la création du protocole Bitcoin qui en est donc l’écho, nous renvoie à l’école d’économie autrichienne d’obédience libérale dont les idées retrouvent aujourd’hui un regain d’intérêt après les échecs avérés du socialisme sous toutes ses formes et la remise en cause des mesures de planification et de création monétaire.

Le fait est que les économistes autrichiens ont vécu la fin de l’Empire austro-hongrois et les tumultes de la Première Guerre mondiale et qu’ils furent tous formés dans l’atmosphère intellectuelle viennoise extrêmement fertile issue de la philosophie des Lumières allemande, anglaise et française. Et c’est dans une vision rationnelle et libérale que leurs compétences d’économistes se sont construites à travers le prisme très large des sciences humaines au point de donner à leurs réflexions une dimension aussi bien pratique et technique que sociale et philosophique.

Dans son essai Socialisme, étude économique et sociologique paru en 1938, Mises démontre ainsi par exemple sans concession que les politiques monétaires socialistes et toutes les théories morales qui s’en inspirent ne conduisent, selon lui, qu’à la ruine. Il y explique notamment, avec humour, que « du fait de la destruction du système des prix, le paradoxe de la planification tient à ce qu’il est impossible d’y faire un plan, faute de calcul économique. Et ce que l’on dénomme économie planifiée n’est pas une économie du tout, c’est tout juste un système de tâtonnements dans le noir ».

Or, après presque un siècle de politiques économiques largement inspirées par le keynésianisme, un tournant a donc eu lieu avec la crise de 2007 et la naissance de Bitcoin en 2008. Un tournant libéral qui semble de plus en plus nécessaire à envisager dans le grave contexte de surendettement des États (et particulièrement en France) et leur capacité funeste à créer de la monnaie à partir de rien.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Pierre Ginet : La lutte contre l’ignorance et la superstition, et l’obscurantisme, ne peut être assurée que par la connaissance. Chacun à son niveau, mais seule la connaissance peut nous sortir des illusions qui nous enferment et nous font vivre dans une forme de nihilisme que Friedrich Nietzsche détaille si bien quand il explique que les hommes se perdent dans des idéaux idéologiques, politiques ou religieux à cause desquels ils nient le réel, s’infantilisent et se rendent malheureux.

Je donnerai ainsi le conseil de (re)lire les Lumières dans le texte ou leurs vulgarisateurs afin de comprendre qu’il s’agit bel et bien d’une philosophie pratique. D’une méthode pour conquérir sa liberté de pensée et comprendre que la liberté n’est pas synonyme de volonté libre mais est plutôt l’expression d’une capacité d’agir.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Pierre Ginet : Mon prochain essai est une étude sur le pire écueil de l’ignorance. Il s’agit de la superstition, autrement dit « l’infame » pour Voltaire qui aboutit toujours à l’obscurantisme et à la violence. Et le fait est que le sentiment superstitieux nous concerne tous et qu’analyser ses causes, essentiellement la crainte, permet de comprendre ses effets et les dépasser afin de ne plus vivre comme des enfants, mais sous la conduite de la raison, comme des adultes.

Merci Pierre Ginet

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : Bitcoin, l’évangile de la liberté, Pierre Ginet, 2024.