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Quand les réseaux sociaux nous paralysent

La loi de l’évitement, conceptualisée par Manson, définit une tendance humaine fondamentale à se tenir à l’écart des expériences susceptibles de menacer notre identité (1). Avec la prolifération des médias sociaux, cet évitement s’est intensifié, nos personnalités numériques devenant inextricablement liées à la perception que nous avons de nous-mêmes. Paradoxalement, cela inhibe notre volonté de relever de nouveaux défis, de sortir de notre zone de confort et de prendre les risques nécessaires à notre épanouissement personnel.

La formation d’une identité numérique sur des plateformes telles que Facebook, X et Instagram est devenue un rite de passage moderne. Ces plateformes, tout en offrant des possibilités inégalées de connexion et d’expression personnelle, favorisent également une culture de la comparaison et du conformisme. La peur de compromettre l’image soigneusement élaborée que nous présentons en ligne conduit à un phénomène connu sous le nom de « paralysie des médias sociaux ». Cette paralysie n’est pas seulement une question d’inaction, mais reflète une peur plus profonde de l’échec et du rejet qui, amplifiée par la chambre d’écho numérique, étouffe la créativité et l’esprit d’initiative.

La recherche souligne l’impact des médias sociaux sur nos processus de prise de décision. Une étude publiée dans le Journal of Social and Clinical Psychology révèle une corrélation entre l’utilisation des médias sociaux et l’augmentation des niveaux d’anxiété et de dépression, qui sont directement liés à la peur de prendre des risques (2). Cette peur de prendre des risques est cruciale, car c’est en embrassant l’incertitude que nous grandissons.

Le bouddhisme, avec ses enseignements millénaires, offre un contrepoint au dilemme moderne de l’identité numérique. Au cœur de la philosophie bouddhiste se trouve le concept d’anatta, ou « non-soi », qui postule que le moi n’est pas une entité singulière et immuable, mais une série de processus et d’expériences interconnectés. En reconnaissant la fluidité de notre identité, nous pouvons nous détacher du besoin de maintenir une image statique en ligne et, au contraire, embrasser l’impermanence et l’incertitude de la vie comme des opportunités de croissance.

L’ironie des médias sociaux est qu’ils ont été conçus pour nous rapprocher, mais qu’ils nous isolent souvent dans nos bulles idéologiques. Nos personnalités numériques deviennent des cages que nous fabriquons nous-mêmes, limitant nos interactions à celles qui renforcent nos croyances et notre identité. Cet isolement auto-imposé reflète le thème existentialiste de la « création de sa propre prison », magnifiquement exploré par Albert Camus (3). Selon Camus, les êtres humains sont condamnés à la liberté et ce sont nos choix qui construisent les murs qui nous enferment.

Dans le paysage numérique d’aujourd’hui, ces choix impliquent souvent d’opter pour la sécurité du familier plutôt que pour la croissance potentielle qui découle de l’incertitude. La perspective bouddhiste nous incite à voir au-delà des illusions de l’identité et de la permanence, encourageant une libération des limites créées par nos avatars numériques.

Cependant, reconnaître la nature illusoire de nos identités numériques n’est qu’un premier pas. Un véritable changement nécessite une action. Il s’agit de s’éloigner consciemment des chambres d’écho numériques et de s’engager dans le monde dans sa réalité complexe et désordonnée. Il ne s’agit pas d’abandonner les médias sociaux, mais de les utiliser avec discernement, d’en reconnaître les limites et de rechercher des liens et des expériences authentiques au-delà du monde numérique.

Alors que nous naviguons dans les complexités de l’ère numérique, les enseignements du bouddhisme peuvent servir de phare, nous guidant vers une existence plus authentique et plus épanouissante. En comprenant que nos personnalités numériques ne sont que des constructions éphémères, nous pouvons retrouver notre capacité à prendre des risques, à grandir et à nous connecter véritablement au monde qui nous entoure.

En fin de compte, l’ère numérique nous offre un choix : rester prisonniers de nos identités en ligne ou embrasser l’incertitude libératrice de la vie. Pour reprendre les mots d’Albert Camus, « la liberté n’est rien d’autre qu’une chance d’être meilleur ». La question n’est donc pas de savoir si nous pouvons échapper à la paralysie numérique, mais si nous choisirons de saisir l’occasion de la transcender.

Alors que nous réfléchissons à l’influence omniprésente des médias sociaux sur nos vies, nous devons nous interroger : Sommes-nous satisfaits de vivre dans les limites de nos identités numériques, ou oserons-nous nous en libérer ?

Notes :

(1) L’art subtil de s’en foutre: Un guide à contre-courant pour être soi-même, Mark Manson, Eyrolles, 2017

(2) Smith, John, et Lisa Duggan. « Médias sociaux et aversion au risque : The Psychological Impact of Digital Platforms ». Journal of Social and Clinical Psychology 40.5 (2021) : 405-422.

(3) Le mythe de Sisyphe, Albert Camus, Folio, 1985.

Définitions :

  • Loi de l’évitement : Principe psychologique selon lequel les individus évitent naturellement les situations susceptibles de menacer leur image de soi ou leur identité.
  • Identité numérique : La présence en ligne ou la personnalité d’un individu, créée par le biais des médias sociaux et d’autres plateformes numériques.
  • Anatta (non-soi) : Doctrine bouddhiste qui suggère que le concept d’un moi permanent et immuable est une illusion.