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Pourquoi la data science va se noyer dans une goutte d’eau

La data science a pour ambition de décrypter, comprendre et prédire les phénomènes qui nous entourent. Cependant, malgré ces ambitions louables et les progrès indéniables qu’elle a permis, la data science se heurte à des obstacles fondamentaux qui remettent en question sa capacité à modéliser le monde avec une précision absolue. Ces défis, illustrés par des analogies tirées du quotidien et des phénomènes naturels, mettent en lumière la complexité intrinsèque des systèmes que nous tentons de comprendre.

Considérons d’abord l’exemple de la mousse de café, un phénomène quotidien qui, derrière sa simplicité apparente, révèle une complexité fascinante. La danse des tourbillons à la surface d’une tasse de café est un rappel que même les systèmes les plus élémentaires peuvent exhiber des comportements chaotiques et imprévisibles. Pour la data science, cela souligne un défi de taille : si nous peinons à modéliser le mouvement de la crème dans le café, comment pouvons-nous prétendre décrypter des systèmes infiniment plus complexes, comme les dynamiques sociales, économiques, ou environnementales ?

 

Cette analogie n’est qu’un exemple parmi d’autres. Prenons le cas de la matière noire dans l’univers, un concept qui défie notre compréhension de la physique. Malgré des siècles de progrès scientifique, plus de 90 % de la matière de l’univers reste invisible et insaisissable. Ce phénomène met en évidence une réalité troublante : notre connaissance du monde est limitée, et il existe des principes fondamentaux de la nature que nous n’avons pas encore découverts ou compris. Dans ce contexte, la data science, malgré sa puissance, se trouve démunie face à l’immensité de l’inconnu.

 

Le problème s’accentue lorsque l’on considère la malédiction de la dimensionnalité, un défi bien connu dans le domaine de la data science. À mesure que nous ajoutons des variables à nos modèles dans l’espoir de les rendre plus précis, la complexité des analyses augmente exponentiellement, rendant les prédictions précises de plus en plus difficiles à obtenir. Ce phénomène est analogue à l’ajout de nouveaux corps dans le problème classique des trois corps en physique, où l’introduction d’un troisième corps rend le système chaotique et imprévisible. De tels exemples illustrent comment la complexité et l’incertitude intrinsèques aux systèmes que nous étudions peuvent échapper aux grilles de lecture les plus sophistiquées.

 

En outre, la sélection naturelle et l’évolution des organismes mettent en lumière la multitude de facteurs qui influencent le développement de la vie, bien au-delà de ce que la sélection naturelle seule peut expliquer. Cela souligne un point crucial : la structure même de l’univers, avec ses innombrables possibilités, impose des limites à notre capacité de prévoir et de modéliser. Les systèmes d’auto-organisation et la formation de structures complexes dans la nature représentent un autre domaine où la data science peine à percer les mystères.

 

Face à ces défis, il devient évident que la data science, tout en étant un outil puissant, est confrontée à l’humilité de nos limites cognitives et méthodologiques. La complexité du monde naturel, la profondeur de l’inconnu, et les limites intrinsèques de nos modèles nous rappellent que la quête de connaissances est un voyage sans fin. Plutôt que de se noyer dans la tentative de contenir l’océan des données et de la complexité dans une goutte d’eau, la data science doit naviguer avec prudence, reconnaissant que l’apprentissage et la découverte résident autant dans les questions que nous posons que dans les réponses que nous trouvons.

 

Alors que la data science continue de révolutionner de nombreux aspects de notre société, elle doit également reconnaître et embrasser ses limites. Ce n’est qu’en acceptant l’existence d’un horizon de connaissances inatteignable et en continuant à questionner, explorer et apprendre que nous pourrons progresser. La data science, armée de curiosité, de rigueur et d’un engagement inébranlable envers la découverte, doit chercher non pas à conquérir l’inconnu, mais à naviguer dans ses eaux tumultueuses, prête à être surprise par la beauté et la complexité de ce qu’elle trouve.

 

Pour aller plus loin :

 

  • Bar-Yam, Y. (2003). Dynamics of Complex Systems. Westview Press. Ce livre fournit une introduction complète à la théorie des systèmes complexes, offrant un cadre pour comprendre comment la complexité émerge dans divers types de systèmes, des marchés financiers aux écosystèmes. C’est une ressource clé pour ceux qui s’intéressent à la modélisation de phénomènes complexes à travers la data science.
  • Taleb, N. N. (2007). The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable. Random House. Taleb explore le concept de « Black Swans » — des événements imprévisibles qui ont des conséquences massives. Son travail souligne les limites de notre capacité à prédire et modéliser le futur, un défi central pour la data science face à la complexité et à l’inconnu.
  • James, G., Witten, D., Hastie, T., & Tibshirani, R. (2013). An Introduction to Statistical Learning: with Applications in R. Springer. Un ouvrage essentiel pour comprendre les bases de l’apprentissage statistique, offrant des insights sur la manière dont les données peuvent être utilisées pour modéliser des phénomènes complexes. Il aborde également la « malédiction de la dimensionnalité » et ses implications pour la data science.
  • Hidalgo, C. A. (2015). Why Information Grows: The Evolution of Order, from Atoms to Economies. Basic Books. Ce livre propose une perspective fascinante sur la manière dont l’information et l’ordre émergent dans l’univers, des atomes aux économies humaines. Hidalgo explore les limites de la connaissance et la façon dont la complexité influence notre capacité à comprendre et prédire le monde.
  • Mitchell, M. (2009). Complexity: A Guided Tour. Oxford University Press. Mitchell offre un tour d’horizon accessible et approfondi de la science des systèmes complexes, avec des applications allant de la biologie à l’informatique. C’est une lecture incontournable pour ceux qui cherchent à appréhender les défis de modéliser la complexité à travers la data science.