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On s’arrange comme « on » peut

Le « on » n’existe qu’en Français et dans nulle autre langue. Cette particularité intriguera le philosophe Martin Heidegger qui lui consacrera quelques pages dans son monumental Etre et temps. Ce que nous apprend le philosophe au sujet du « on » peut permettre de déceler comment en entreprise les responsabilités sont prises, assumées ou au contraire diluées, voire évitées.

 

On avait décidé que ! On avait dit que ! Je croyais qu’on était d’accord ! On en discute ! On a toujours fait comme ça ! Qui n’a jamais entendu ces phrases au travail ? Drôle de pronom que ce « on » qui figure dans la langue française parmi les autres je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles et n’existe dans aucune autre langue du monde. Une spécificité qui encouragea le philosophe Martin Heidegger à s’intéresser à ce « on ». De son analyse ressortent plusieurs choses. Tout d’abord que le « on » s’emploie comme une sorte de « nous » mais duquel nous nous désolidarisons lorsque nous le prononçons. Si je dis : « On avait dit que nous retendrions tel prestataire pour nous aider à réaliser ce projet », le « on » que j’utilise stipule que nous l’avions bien dit, mais que je suis désormais hors de ce nous. Ensuite, le philosophe renchérit en précisant que le « on », utilisé en guise de « nous » n’en est pas pour autant un « vous » explicite. Au contraire, lorsque je dis : « On avait dit que nous retendrions tel prestataire pour nous aider à réaliser ce projet », je ne stipule pas non-plus que vous (les autres, le groupe), l’aviez-dit, sans moi, car j’étais bien là. En synthèse, le « on » est le moyen de s’inclure dans le nous tout en s’y tenant en dehors. En résumé, pour ne pas dire : « Nous avions dit que nous retendrions tel prestataire pour nous aider à réaliser ce projet » et m’associer ainsi à cette décision, ni  dire « Vous aviez dit que nous retendrions tel prestataire pour nous aider à réaliser ce projet » et reporter la responsabilisé sur les autres en m’excluant complètement, j’utilise une voie médiane offerte par l’emploi du « on ».

 

A présent, quelle ne sera pas votre surprise si vous vous amusez, pendant des réunions par exemple, à compter le nombre de « on » prononcés, à repérer qui les prononcent et dans quelles circonstances. Ceux qui disaient nous en début de projet alors qu’ils étaient encore sûrs d’eux, adoptent de plus en plus le « on » au fur et à mesure que le projet dérape et promet de prendre du retard. Les managers qui ne savent pas dire « nous » et disent tout le temps « je », s’en remettent volontiers au « on » quand soudain cela les arrange. Les membres des comités de directions ou des organes de décisions, parfois mal à l’aise avec des choix effectués diront : « On a décidé avec le Comex que… » ou « On a décidé en comité de pilotage projet que… », etc.

 

Tel un grain de sable qui peut détériorer une machine entière, le « on » semble être un insignifiant pronom jeté au milieu des hommes pour qu’ils expriment inconsciemment comment ils se sentent face à une responsabilité, sans que les autres n’y prennent garde. Et parce que le « on » se dit, davantage qu’il ne s’écrit, il nous rappelle aussi combien une parole, qui parfois peut engager, le trouve quelquefois bien pratique. Non vraiment, ne cherchez pas, vous ne trouverez pas en revanche de « on » dans les articles de lois lorsqu’ils suppléent les petits arrangements dont on a parlés.