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Nous sous-estimons incroyablement le pouvoir que les idées exercent sur nous

Les idées qui triomphent décident de notre avenir politique, économique et culturel. Il est donc crucial de comprendre comment naissent, vivent et meurent les idées. Et Nicolas Bordas, l’auteur de L’idée qui tue (Eyrolles), à quelques idées sur la question. Interview.

 

Bonjour Nicolas Bordas, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

La première version de mon livre L’idée qui tue a été publiée en 2009, soit cinq ans après la naissance de Facebook et trois ans après celle de Twitter. Comme il s’agit d’une réflexion sur la manière dont les idées deviennent idéologies, reposant sur plus de vingt siècles d’histoire politique, religieuse et économique, je l’imaginais quelque peu pérenne. Si la matrice d’analyse que j’ai proposée à l’époque et que j’ai beaucoup éprouvée, en particulier dans le cadre de mon enseignement à Sciences Po, me semble toujours pertinente, un certain nombre d’exemples méritaient d’être actualisés. De plus, j’ai eu l’occasion au cours des douze dernières années d’appliquer cette grille d’analyse non seulement aux marques et organisations pour définir et valoriser leur raison d’être, qui sont le quotidien de mon travail chez TBWA, mais aussi au profit d’individus. Mon activité de conseil en développement de marque personnelle sur les réseaux sociaux m’a conduit à approfondir la question de l’idée motrice qui guide chacun d’entre nous. Ce qui fait l’objet des deux chapitres totalement inédits de cette nouvelle édition : « L’idée qui nous guide » et « Cultiver ses réseaux ».

 

Même si nous avons de plus en plus conscience de nos biais cognitifs, nous sous-estimons incroyablement le pouvoir que les idées exercent sur nous, et nous sous-estimons encore plus le pouvoir, le degré d’action, que nous pouvons avoir pour faire adhérer à nos propres idées et les faire triompher. Nous votons en fonction de l’idée que nous nous faisons des candidats et de leur programme, nous consommons en fonction de l’idée que nous nous faisons des marques et des produits, nous adhérons aux causes en fonction de l’idée que nous nous faisons de leur justesse et de leur impact. Tout, dans notre vie, est guidé par nos idées forgées à l’aune de notre culture et de notre histoire. Les idées sont des êtres vivants qui passent de cerveaux en cerveaux et conditionnent en permanence nos vies et nos actions. Nous sommes chaque jour manipulés par nos idées. Cela a toujours été vrai, mais c’est encore plus vrai à l’heure des fake news et du triomphe des réseaux sociaux. Comprendre comment naissent, vivent et meurent les idées, c’est se donner plus de chances d’imposer les siennes sans se laisser manipuler par celles des autres !

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Nicolas Bordas : Comme dit la publicité, ce sont les autres qui en parlent le mieux … J’ai donc sélectionné la préface que François Taddéi, chercheur et fondateur du Learning Planet Institute m’a fait l’amitié de rédiger, titrée « La planète des idées » :

 

« Notre planète n’a jamais eu autant besoin d’idées neuves pour faire face aux défis multiples qu’elle doit affronter. Qu’il s’agisse des défis climatique, géopolitique, économiques ou sociaux, les recettes du passé ne suffiront pas à assurer notre futur et encore moins celui de nos enfants. Il nous faut urgemment produire et tester plus d’idées disruptives, radicalement nouvelles dans tous les domaines pour contribuer à l’accomplissement des Objectifs de Développement Durables de l’ONU en déployant toute notre intelligence collective. C’est la raison d’être du Learning Planet Institute qui explore depuis 2005 les nouvelles manières d’apprendre pour permettre à chacun d’être plus inventif, plus créatif pour prendre soin de soi, des autres et de la planète.

 

Tout processus d’idéation passe forcément par la remise en cause d’habitudes, de certitudes, de conventions de pensée établies. Il n’y a pas d’idée radicalement nouvelle qui ne transforme pas une perception ancienne. C’est la force intrinsèque de la formulation « Et si ? », centrale dans cet ouvrage, qui rythme également mon dernier livre « Et si nous ? Comment relever ensemble les défis du XXIème siècle ». Un livre qui nous invite, à l’heure du digital et des enjeux globaux, à revisiter l’héritage d’Athènes et des Lumières pour le rendre plus inclusif et plus écologique.

 

Mais chacun sait qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées pour réussir à transformer le monde. En tant que biologiste de l’évolution, je dirai que les idées sont analogues aux gènes, ce sont des inform’actions qui ne peuvent progresser et se démultiplier que si l’environnement leur est favorable. C’est pourquoi on a beaucoup plus de chances de mener son idée à bien en créant l’adhésion qui lui donne du mouvement, et la transforme en un véritable mouvement.

C’est pour moi l’intérêt majeur du livre de Nicolas Bordas que de nous offrir non seulement un guide pour faire mieux aboutir nos idées, mais une matrice de compréhension des idées qui structurent notre vie. Une manuel pratique écrit par un praticien, particulièrement utile pour ne pas se faire imposer les idées de manipulateurs maitrisant des technologies toujours plus puissantes.

 

Je vous recommande de lire ce livre, comme je l’ai fait, en ayant en tête une idée qui vous tient à cœur et que vous aimeriez largement partager. Et vous verrez qu’à chacun des chapitres qui constituent les « dix commandements » des idées qui tuent, vous serez naturellement inspiré sur la manière de mieux communiquer votre bonne idée pour lui donner une plus grande part de futur. En espérant que ce ne soit pas simplement une « bonne » idée, mais aussi une idée « bonne » pour l’avenir de notre planète et de notre humanité. »

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

N.B. : La tendance la plus puissante actuellement qui bouleverse tous les métiers de la communication est l’émergence de la dimension sociétale dans la communication des marques et des entreprises. Autrefois, on distinguait la communication commerciale, destinée à vendre les produits, de la communication corporate qui prenait soin de la réputation de l’entreprise vis-à-vis de toutes ses parties prenantes. Aujourd’hui, on ne peut plus vendre une voiture sans parler environnement, ou un produit alimentaire sans rassurer sur son origine ou sa dimension nutritive. Les produits et services doivent désormais intégrer une valeur sociétale ajoutée, et les entreprises doivent non seulement compenser leurs externalités négatives, mais aussi devenir positives en modifiant leurs produits pour les adapter à un monde où la qualité doit primer sur la quantité, en contribuant à diminuer l’empreinte carbone. Cela donne une importance toute particulière à la formulation pertinente et percutante d’une idée directrice incarnant la raison d’être de l’entreprise, communiquant son utilité vis-à-vis de tous les publics. Trouver la formulation créative de cette idée motrice est d’autant plus fondamentale que les possibilités d’expression multiples offertes par le digital à faible cout ont tendance à éclater les messages, s’ils ne sont pas unifiés par, et s’ils ne nourrissent pas, une idée forte. Cette idée est nécessaire pour fédérer tous les publics, non seulement externes mais aussi internes de l’entreprise, et indispensable pour attirer les nouveaux talents qui interpellent, à juste titre, l’entreprise sur sa finalité et ses pratiques.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

N.B. : Pas simple d’en choisir un seul car mon livre propose dix commandements à respecter pour maximiser la performance de son idée. De mon point de vue, le plus important moteur réside dans la valeur subversive de son idée. Une idée, petite ou grande, fonctionne toujours mieux et crée toujours plus d’adhésion, quand elle active son pouvoir subversif, dans lequel réside son véritable pouvoir de transformation. Subversif vient du verbe latin « subvertere », qui signifie étymologiquement « retourner », « renverser ». Une idée agit d’autant mieux « pour » s’imposer, qu’elle agit « contre » une convention, une habitude, un problème. Toutes les idées ne naissent pas en opposition à l’existant. Une idée peut naitre d’une pure opportunité. Mais toute idée à intérêt à comprendre ce qu’elle détruit en même temps que ce qu’elle construit. L’idée disruptive est celle qui s’oppose à une idée conventionnelle dominante, en ouvrant un nouveau champ des possibles, donnant à l’action ou aux actions qui en découlent une plus grande part de futur. L’idée de lancement du McIntosh d’Apple en 1984 « N’apprenons pas à devenir une machine » a mis fin à l’idée qu’il fallait apprendre des langages informatiques pour bénéficier d’un ordinateur, à une époque où l’on trouvait normal d’apprendre du Cobol, du Fortran ou autre APL. L’idée « Et si notre alimentation était notre première médecine de Danone » a tué l’idée d’innover exclusivement pour le gout en matière alimentaire. L’idée de sobriété énergétique aujourd’hui est en train de tuer l’idée de croissance illimitée, etc … C’est en activant leur pouvoir subversif, leur combat « contre » et pas simplement leur combat « pour » que les idées peuvent maximiser leur influence. Une idée qui tue n’est pas simplement une idée qui réussit, c’est une idée qui tue au passage une idée reçue.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

N.B. : Mon livre déborde d’exemples d’idées qui tuent dans tous les domaines. Mais si je devais n’en prendre qu’une parmi les plus récentes que j’ai découvertes, je choisirai le concept incroyablement inspirant de « Planetizen » (qu’on pourrait tenter de traduire en français par « Planetoyen ») dont parle François Taddéi dans son dernier livre « Learning Planetizen Manifesto ». Il oppose la notion de Citizenship (Citoyenneté) à la notion de Planetizenship (« Planetoyenneté »), en nous rappelant que la Cité Grecque s’est construite dans une logique de fermeture à la nature, dont il fallait se protéger, et aux autres humains, dont il fallait se méfier. Les femmes, les enfants, les étrangers n’ayant pas le statut de citoyen. Son idée disruptive consiste à substituer à la vision traditionnelle du Citizenship, une vision nouvelle profondément inclusive du Planetizenship, pour une approche ouverte à la nature, à la biodiversité et à tous les Humains, sans exception, de tout âge et de toute origine. Un concept humaniste planétaire qui change tout, comme, par exemple, la manière de percevoir et d’intégrer la nouvelle génération de migrants climatiques. Ou pose la question du droit des générations futures et du droit de vote des enfants. Cette approche a le mérite de pouvoir irriguer toute la société et de répondre au paradoxe qui appelle à sauver l’humanité du périple climatique alors que les frontières nationalistes, politiques et économiques ne se sont jamais autant refermées. C’est parce que j’ai été enthousiasmé par le potentiel de l’idée de Planetizenship, que j’ai demandé à François Taddei, s’il voulait bien écrire la préface de mon livre, ce qu’il a bien voulu accepter. C’est par l’adhésion à cette idée et par son déploiement en activant le meilleur de notre intelligence collective que nous pourrons apprendre à devenir tous de meilleurs Planetizens !

 

Merci Nicolas Bordas

 

Merci Bertrand Jouvenot

 

Le livre : L’idée qui tue, Nicolas Bordas, Eyrolles, 2022.

Nicolas Bordas est Vice-President International de TBWA\Worldwide, Chairman de TBWA\Corporate, Professeur affilié à Science Po Paris où il dirige également l’Executive Master Communication.