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Nourrir son Humanité: L’Apprenance selon Étienne Collignon

 

 

Dans « L’équipe apprenante – Se relier pour transformer le monde, » l’auteur Etienne Collignon capitalise sur des décennies d’expérience en management et formation pour offrir une vision transformative de l’apprenance en équipe. Le livre sert de guide pratique pour ceux qui cherchent à nourrir l’humanité au sein de leurs organisations, tout en naviguant dans la complexité du monde moderne.

 

Bonjour Etienne Collignon, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Etienne Colligon : Il y a plusieurs décennies, j’ai publié un premier livre sur la qualité, fruit de mes travaux de thèse de doctorat de gestion, suivi de plusieurs livrets sur le management de la qualité en Europe. Puis plus rien ! Car ma vie professionnelle a été centrée sur l’action pour accompagner les transformations de l’organisation, dans un grand groupe industriel, Solvay ; si je ne publiais pas, j’agissais, j’observais, j’apprenais, je capitalisais et surtout j’inventais ma propre représentation de la transformation individuelle et collective, et de son accompagnement.

Après 25 ans de vie industrielle, j’ai quitté ce grand groupe et créé mon instrument de travail, une société que j’ai appelée « The Learning Person », en français « La personne apprenante » ; j’ai affiné le modèle que j’avais inventé quelques années plus tôt, et je l’ai appelé pareillement. Puis, j’ai créé un jeu pédagogique dans l’intention de faciliter l’accès à l’apprenance pour toutes les personnes qui souhaitent approcher ce concept ; mon pari était de rendre possible l’accès à la diversité des notions autour de l’apprenance en une heure, et permettre à chacun de se situer personnellement et de progresser comme personne apprenante. Lors de journées de formation j’ai pu transmettre le jeu, le modèle et les outils à plusieurs centaines de personnes. J’ai ainsi confirmé la pertinence de l’approche. Il devenait alors naturel de réunir tout ce savoir nouveau dans un livre : La personne apprenante – Nourrir son humanité et mieux vivre dans un monde complexe, Edifusion, 2019.

Il est arrivé un moment où je me suis dit : ce modèle et ce jeu pédagogique, qui sont opérationnels pour la personne apprenante, ne seraient-ils pas directement transposables pour soutenir l’apprenance en équipe ? Pari tenu, pari gagné. C’est ainsi que sont apparus des formations, souvent pour des accompagnateurs de transformations vers l’équipe apprenante ; souvent invité au sein d’associations, coopératives et entreprises, j’ai décliné une variété de processus pour faire grandir les équipes.  Et tout naturellement ce livre est venu capitéliser cette expérience : L’équipe apprenante – Se relier pour transformer le monde. Préface de Peter Senge. Edifusion. 2020.

J’ai ainsi trouvé la façon d’aborder la dynamique de l’équipe sous un angle nouveau et la possibilité d’y inscrire mes idées fortes en la matière. Car depuis plusieurs années j’accompagnais des équipes apprenantes. Je le dois à la découverte que j’ai faite de la pédagogie de Team Academy, à l’université en Finlande. Les étudiants y apprennent l’entrepreneuriat en créant une entreprise en équipe. Cette pédagogie s’appuie sur des fondamentaux de l’apprenance, tels que le dialogue, le partage du savoir, le projet collectif, le sens partagé.

Ainsi, j’ai ce bonheur d’avoir construit une méthode accessible à tous pour renforcer les dynamiques d’équipe. Où l’humain trouve ou retrouve sa place au cœur des activités de groupe. Où le projet commun se déploie avec l’énergie de l’intelligence collective, dans des interrelations harmonieuses. C’est ma façon personnelle de batailler activement face à la puissance de l’hyper-financier, pour donner de nouvelles forces à un monde vivant, écologique et humaniste.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

E. C. : Pour répondre à cette question, je choisis les pages 86 et 87. Car j’y donne une définition de l’apprenance qui est le fruit de mon expérience, et de mon désir de faire comprendre simplement. J’ai observé que la présentation de cette définition illumine les esprits et fait passer du brouillard autour d’un mot peu usité comme « apprenance », au sens vécu concrètement pour soi-même et collectivement. Aussi, dans les formations que j’anime, je présente cette définition en début de rencontre ; les participants en découverte ont alors le minimum conceptuel pour s’inscrire avec engagement dans des travaux de réflexion sur leur propre « apprenance ».

Voici le texte de ces pages :

L’apprenance est une attitude dynamique consciente permettant à une personne ou un collectif d’accroître sa capacité à traiter des situations complexes.

Le mot « conscient » signifie qu’apprendre repose sur un acte volontaire. Le mot « dynamique » représente le mouvement vers un inconnu, un progrès souhaité.

Cela s’applique à la personne, comme au collectif, qu’il s’agisse d’équipe, de réseau, de cercle, ou d’organisation.

L’apprenance, c’est grandir en faisant des choses qu’on n’a jamais faites auparavant, et se mettre en question. C’est s’interroger sur ce que l’on a appris autant que sur le résultat atteint. C’est se détacher de ses habitudes et investir sur soi, sur ses propres talents, sur son propre avenir.

« L’élan d’apprenance est le désir de connaître et de reconnaître », écrit Hélène Trocmé-Fabre.

Être une équipe apprenante, c’est développer une conscience des liens entre les personnes dans l’équipe et au-delà, maîtriser les méthodes et les rites de travail et piloter des projets communs. Pour cela, il faut observer le vivant des interrelations et faire face aux difficultés humaines, guider l’énergie collaborative vers l’intelligence collective et vivre ensemble en harmonie, joie et plaisir.

L’apprenance est accélérée grâce au groupe. Lorsqu’il y a la confiance. L’équipe est responsable de son apprenance collective, comme la personne de son apprenance individuelle.

Apprendre en équipe, à quoi cela sert-il ? Pour chacun et pour l’équipe, c’est :

Se renforcer et se recréer personnellement ;

Avancer dans son développement personnel ;

Ancrer son professionnalisme et le mettre au service de l’équipe ;

Expérimenter le travail collaboratif en conscience ;

Soutenir et reconnaître l’autre en développement ;

Impulser une culture d’intelligence collective dans son organisation.

Recommandations pour monter en puissance dans un travail d’équipe :

Observer les apprentissages individuels et collectifs ;

Prendre plaisir à cocréer et coréaliser ;

Prendre le temps d’élaborer, expérimenter, faire des erreurs ;

Tenter une percée ensemble ;

Réaliser une coproduction improvisée.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

E. C. : Je suis nourri de l’approche de Peter Senge ; professeur au MIT (USA), il est l’auteur du livre « La Cinquième Discipline », qui a popularisé le concept d’organisation apprenante dans le monde entier. Je vois cette idée gagner de la reconnaissance d’année en année. C’est une tendance. J’observe que cela progresse plutôt dans des start-ups, tiers-lieux, petites entreprises, mais pas assez vite dans les grands groupes.

J’observe que le travail en équipe est naturellement la clé de l’organisation apprenante. Ce qui signifie que les organisations qui souhaitent sortir d’un fonctionnement hyper-hiérarchique et financier s’appuient surtout sur un travail d’équipe harmonieux. On peut dire que les équipes sont le cœur vivant de l’organisation apprenante. Pour transformer l’organisation, je commence par accompagner les équipes, et en premier lieu l’équipe de direction. L’entrée dans la transformation humaine des organisations, c’est l’équipe.

L’engagement dans les équipes connaît de nouveaux challenges. Des tensions supplémentaires apparaissent actuellement avec le développement du travail à distance, du temps partiel, et la pression du résultat. Malheureusement, on déplore encore la faiblesse de la formation managériale au travail ensemble dans les universités et grandes écoles.

Mais de nouvelles perspectives favorables vers l’humain apparaissent ; quels en sont les signaux faibles ? De plus en plus de managers, engagés dans l’environnement des organisations, associations, collectivités locales, se forment en cours de carrière à l’apprenance, à la gouvernance partagée et à l’intelligence collective. On voit ainsi émerger de très belles actions de dynamiques collectives, comme : tiers-lieux, projets d’initiatives locales, formations universitaires à l’accompagnement de transitions sociales. Des centaines de personnes s’investissent personnellement dans la capacité à faciliter des processus de progrès et coacher des personnes et des équipes. Je ne doute pas que ce mouvement s’accélère et que la gouvernance des organisations s’adapte à une métamorphose humaniste dans les dix ans qui viennent.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

E. C. : Si vous avez lu cet article, vous êtes déjà sûrement une personne attentive à l’humain. Alors cultivez votre don.

Commencez simplement en observant la dynamique des équipes dans lesquelles vous oeuvrez. Observez le pouvoir qui s’exerce. Observez les compétences qui s’expriment. Observez la qualité du dialogue ou ses limites. Prenez des notes. Cherchez à comprendre ce qui se passe. Échangez sur vos idées avec des personnes de confiance. Donnez-vous ainsi de la force dans votre diagnostic social. Progressivement vous entrerez davantage dans l’action de terrain, en révélant sur l’instant la dynamique des équipes, et en devenant vous-même « acteur/actrice de transformation ».

Car la transformation sociétale vers l’humain commence par la prise de conscience individuelle et le travail sur soi.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

E. C. : Le futur dans cette question n’est pas approprié ! Car les nouveaux sujets qui me passionnent c’est maintenant.

Je travaille sur l’organisation apprenante : car elle repose sur des équipes apprenantes, qui elles-mêmes n’existent que grâce à des personnes apprenantes.

Je suis en cours de validation d’un nouveau jeu pédagogique en soutien à « l’acteur de transformation ». J’ai constaté que de nombreuses personnes dans les organisations traditionnelles sont engagées dans le soutien au progrès humain, se forment à l’accompagnement et prennent des risques personnels pour donner vie au progrès collectif. J’ai été moi-même dans la grande entreprise l’un de ces acteurs de transformation. Dans ce nouveau jeu je veux aider ces personnes engagées à mieux se situer dans un système complexe et mieux réussir leur projet avec d’autres.

J’invite les personnes qui se retrouvent dans ces idées à me contacter pour contribuer à la dynamique de transformation humaine des organisations.

 

Merci Etienne

 

Merci Bertrand

 

Le livre : L’équipe apprenante – Se relier pour transformer le monde, Etienne Collignon (préface de Peter Senge), Edifusion. 2020.