Miroir, miroir, dis-moi qui est le plus bête
S’il est facile de voir nos évolutions physiques, simplement en se regardant dans le miroir, l’époque nous offre moins d’alternatives face à nos changements intérieurs. Somme-nous devenus plus immorales ? Avons-nous progressé ou régressé intellectuellement ? Quel chemin physiologique avons-nous parcouru ? Avons-nous avancé sur le plan émotionnel ou spirituel ?
Lorsque Narcisse, le jeune et beau héros de la mythologie grecque, se pencha sur une source limpide, il tomba éperdument amoureux de son propre reflet. Ce mythe, conté par les anciens, illustre avec poésie notre fascination pour notre propre image. De nos jours, les miroirs, devenus objets quotidiens, nous renvoient chaque jour l’image de notre visage, de notre corps, mettant en lumière les traces du temps, l’usure ou la floraison de notre jeunesse. Mais qu’en est-il de notre évolution intérieure ? L’époque moderne, avec ses mille et une innovations, nous donne-t-elle les moyens d’observer nos évolutions morales, intellectuelles et psychologiques ?
Tout d’abord, posons-nous la question fondamentale : pourquoi est-il si aisé d’observer notre évolution physique et si compliqué d’appréhender les méandres de notre évolution intérieure ? Le corps, matériel, est soumis aux lois tangibles de la biologie. Chaque cicatrice, chaque ride, chaque changement est le résultat visible d’un processus physiologique. Notre image, figée dans l’argentique ou le numérique, atteste d’un moment précis, d’une réalité passée ou présente.
L’esprit, lui, se dérobe. Il est insaisissable, impalpable. Si nous disposons de tests psychométriques pour évaluer certaines capacités intellectuelles, ou de thérapies pour sonder nos abysses psychologiques, la globalité de notre évolution demeure une énigme. La moralité, par exemple, est une dimension fluctuante, contextuelle. Pouvons-nous vraiment prétendre être plus moraux qu’il y a dix ans sous prétexte que nos convictions ont évolué ou que nous avons accompli de nobles actions ? La moralité n’est-elle pas, en réalité, une danse perpétuelle entre nos principes et nos actions, influencée par notre environnement, nos expériences et nos rencontres ?
L’époque moderne, avec sa vénération pour la technologie et la quantification, semble avoir délaissé cette quête de l’auto-compréhension. Les réseaux sociaux, reflets déformants de nos vies, valorisent davantage l’image que la substance. Ils cristallisent l’instant, l’apparence, mais rarement l’essence. Et si nous multiplions les « selfies », combien d’entre nous prennent le temps pour des « self-introspections » ?
Pourtant, il est crucial de se pencher sur soi, non pas comme Narcisse séduit par sa beauté éphémère, mais pour comprendre, accepter et, pourquoi pas, se transformer. Le philosophe Socrate nous rappelait que « la vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue ». Cette introspection demande du courage, de la patience et une certaine humilité. Elle nécessite de s’affranchir des jugements, des préconçus, de s’ouvrir à la possibilité que l’image que nous avions de nous-mêmes soit imparfaite ou incomplète.
Certains trouveront des repères dans la philosophie, d’autres dans la spiritualité ou la méditation. La littérature, aussi, peut être un miroir de l’âme, reflétant nos doutes, nos joies, nos peines, nos interrogations existentielles. À travers les mots d’un autre, nous pouvons parfois reconnaître une part de nous-mêmes, une ombre, une lumière.
Si notre époque ne nous offre pas de miroir technologique pour observer nos évolutions intangibles, elle nous donne néanmoins les moyens de le faire. Il appartient à chacun de choisir sa voie, de chercher son miroir intérieur, celui qui reflétera non pas l’apparence, mais l’essence. Car c’est en explorant nos profondeurs que nous pourrons véritablement apprécier l’étendue et la richesse de notre évolution en tant qu’être humain.