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Mettre les neurosciences à la portée de tout manager n’est plus une, mais La, bonne option

Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux affirmait Socrate.  Connais-toi toi-même et tu manageras ton univers et ton lieu de travail poursuit Laurence Sautivet, auteur du Neuro-Manager, un livre pour nous aider à mieux nous-connaitre afin d’améliorer notre pratique de manager, grâce au concours des neurosciences. Tout un programme, dont elle nous donne ici un avant-goût. Interview.

 

 

Bonjour Laurence Sautivet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Laurence Sautivet : Vous connaissez peut-être la sérendipité[1] : c’est ce type d’heureux hasard qui a abouti à l’écriture de ce livre.

Je constatais, dans ma pratique de conseil, à quel point il était difficile pour les dirigeants de se saisir des puissants apports des neurosciences, faute de disposer d’outils simples et aisément applicables.

C’est à cette époque précisément que mon éditeur m’a contacté pour me demander si je voulais écrire un livre sur le sujet. J’étais heureuse de ne pas être la seule à penser que les apports des neurosciences, s’ils ne sont plus ignorés, restent pourtant trop souvent réservés aux spécialistes et initiés.

J’ai voulu avec cet ouvrage proposer un décryptage accessible et opérationnel : des idées expliquées simplement (même si leur fondement scientifique est toujours précisé) et des outils pour appliquer ces concepts.

Il manquait, selon moi, ce pont entre les savoirs théoriques et leur utilisation pratique.

Les décideurs peuvent désormais s’approprier les concepts qui leur sont réellement utiles, et les transformer en réalité à l’aide de fiches actions.

Je me vois donc comme une courroi de transmission entre des savoirs théoriques mais utiles et une réelle évolution des comportements, des prises de décisions, des dynamiques d’équipe.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

L.S. : Je crois que l’idée la plus simple et en réalité la plus féconde est le double système de la pensée (« Système 1 et Système 2, les vitesses de la pensée », Daniel Kahneman, Nobel 2002).

Notre cerveau roule à 2 vitesses :

  1. Une vitesse rapide (système 1), impulsive et émotionnelle qui nous permet d’effectuer les gestes de la vie courante (conduire en parlant, comprendre des phrases simples…) avec peu d’efforts et aucune sensation de contrôle délibéré.
  2. Une vitesse lente (système 2), qui nécessite de la concentration et permet la réflexion et l’apprentissage. Cette vitesse nécessite plus d’efforts et permet de surmonter les (im)pulsions.

Prendre conscience de ce fonctionnement à deux vitesses est utile parce qu’il nous permet d’éviter des erreurs. Comment ? en ayant conscience de la vitesse utilisée par notre cerveau !!

Si vous prenez une décision un peu rapide, il y a de fortes chances qu’elle soit influencée par vos stéréotypes, croyances et expériences passées. Cela est sans incidence pour les décisions courantes, voire même très pratique, mais peut s’avérer plus problématique pour les décisions impactantees.

Décider d’un recrutement en fonction de ce que vous avez rapidement perçu d’un candidat peut vous amener à faire un choix basé, non pas sur ses compétences ou ses capacités à réussir dans le poste, mais plutôt sur l’impression générale qu’il vous a faite. Cette décision instinctive, basée sur des aprioris, peut se révéler un bien mauvais choix.

Et c’est le même mécanisme pour des décisions managériales, stratégiques, commerciales ou même personnelles. Quand nous laissons le système 1 (vitesse rapide) faire des choix, le risque est élevé pour que ce choix soit non pas réfléchi et objectif, mais impulsif et rationnellement biaisé.

Être capable d’identifier, au moment où ce comportement survient, que nous sommes en mode automatique (= système 1) et que nous callons notre comportement sur des critères subjectifs (expérience, croyances…) permet de s’ajuster, d’identifier notre erreur et donc de passer en mode adaptatif (= système 2) qui va nous permettre d’engager une réflexion pertinente.

 

Mais il y a une autre facette du livre qui fait profondément écho avec ma propre « lecture de la vie ».

Mon ouvrage commence sur une citation d’une jeune fille « rebelle » qui dit ne pas vouloir se soumettre à des managers « sans valeur ». Je crois beaucoup aux vertus de cette révolte douce : ne pas accepter les comportements déviants devrait être une évidence pour tous.

Ayons le courage de faire des choix de vie en alignement avec nos envies et nos convictions.

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

L.S. : Je crois à l’intelligence (au sens étymologique latin intellĕgō : comprendre, discerner), à la fraternité et à notre capacité à « devenir ce que nous sommes ». J’entends par là que nous avons de plus en plus de clés de compréhension du fonctionnement humain et que cette connaissance ouvre grand la porte à notre « liberté d’être soi ». Savoir comment fonctionne le cerveau rend infiniment plus fraternel, savoir à quel point nous sommes soumis à des biais comportementaux rend infiniment plus indulgent.

Il est vrai qu’il n’y a rien de très moderne dans cette vision, mais disons que c’est la science-fiction à laquelle je crois.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

L.S. : Être ouvert, lire, écouter, regarder, ne jamais cesser d’être curieux, voire même de s’émerveiller si tant de candeur n’est pas tout à fait déplacée aujourd’hui !!

Et s’intéresser à soi, donc à son propre fonctionnement. Je ne parle pas d’analyse introspective, mais plutôt d’investigation mécanique : connaitre les rouages et les grippages du moteur cérébral.

Il s’agit de jeter un regard naïf sur nos comportements, d’en comprendre les leviers et, dans le meilleur des cas, de les adapter à ce que nous sommes réellement.

D’aucuns pensent que changer consiste à se trahir.

Je pense, bien au contraire, que se débarrasser des scories comportementales (réflexes, a priori, croyances…) est un moyen de devenir plus et mieux soi-même.

 

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

L.S. : Je m’intéresse à l’économie comportementale. L’impact des émotions et des facteurs individuels sur les comportements, longtemps considérés comme rationnels (homo economicus), est édifiant. En quoi nos pensées, nos émotions, nos vécus impactent fortement des choix que l’on croit objectifs !!

L’idée centrale de cette discipline est de comprendre comment opèrent sur nous toutes sortes d’influences, influences invisibles ou insensibles à tel point nous croyons que nos décisions sont le fruit de notre seule volonté !!

J’ai sans nul doute l’illusion que nous pourrions ainsi parvenir à une pensée plus libre, plus décorrélée du poids des puissances externes, qu’elles soient politiques, marketing ou sociales …

 

Merci Laurence,

 

Merci Bertrand.

 

Le livre: Le neuro-manager – Managez, dirigez et décidez avec les neuroscience, Laurence Sautivet, Vuibert, 2020.

 

 

[1] « La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d’un concours de circonstances fortuites et très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet. La sérendipité est le fait de « trouver autre chose que ce que l’on cherchait », Source Wikipedia.