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Lirez-vous le manifeste des femmes indociles

Vous avez l’impression d’être coincée dans votre vie, de stagner, de ne pas pouvoir vous épanouir ? Vous passez votre temps à culpabiliser de ne pas en faire assez ? Ou de ne pas être là où vous devriez être ? Vous n’êtes en rien fautive, vous êtes juste… une femme ! Une femme comme Marie-Laurence Cattoire qui dans son livre Eclore Enfin ! nous propose un manuel de féminisme décomplexé, réjouissant et concret.

 

 

Bonjour Marie-Laurence Cattoire, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Marie-Laurence Cattoire : La solidarité féminine se déploiera à mesure que nous apprendrons à mieux nous connaître. Or j’ai constaté que les femmes de la génération X, celles qui sont nées dans les années 60 et 70, étaient souvent invisibilisées. Coincées entre les baby-boomers triomphantes et les millenials décomplexées, les femmes de ma génération se sont montrées souvent moins revendicatives… Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles n’aient rien fait pour faire avancer la cause des femmes. Je pense nécessaire de les sortir de l’angle mort où elles ont injustement été cantonnées.

 

Autour de moi, dans ma vie professionnelle et sociale je découvre des femmes courageuses, compétentes, hyper-responsables, engagées, inventives et en même temps souvent trop discrètes. Comme si elles souffraient d’un léger complexe d’infériorité, y compris quand elles occupent des postes hiérarchiques. Je voulais comprendre cette dichotomie. J’ai donc eu envie d’aller à leur rencontre en même temps que d’analyser mon propre parcours de femme de la génération X. Pour cela, j’ai interviewé des journalistes, des sociologues, des thérapeutes, des anthropologues, des philosophes et des dizaines de femmes. J’ai épluché nombre d’enquêtes sur l’évolution de la place des femmes en France. Et j’ai compris que nous avions vécu dans un contexte bien particulier : celui de la double contrainte.

 

La théorie de la double-contrainte fut proposée sous l’impulsion de l’anthropologue Gregory Bateson en 1956 au sein de ce qui deviendra l’école Palo Alto[1] (le Mental Research Institute). La double contrainte est un ensemble de deux ordres, explicites ou implicites, intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre. Il est frappant de voir à quel point cela définit les défis que nous avons eu à traverser : sois innovante mais ne change rien au système. Sois une mère disponible et aimante mais assure en tant que professionnelle. Sois féminine mais tiens-toi comme un homme. Sois intelligente mais ne la ramène pas trop.

 

En mettant à jour ce que nous avons vécu, ce livre va permettre une meilleure compréhension intergénérationnelle. Mes premiers lecteurs hommes sont également assez bouleversés de réaliser plus clairement ce que vivent leurs collaboratrices et leurs compagnes…

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Marie-Laurence Cattoire : Dans les années 90, « En tant que femmes, nous devions montrer en permanence que nous méritions notre travail, que nous n’avions pas volé notre argent. En en faisant toujours plus et en trouvant cela normal. Car nous vivions avec la peur d’être découvertes comme non légitimes. […] Les femmes avaient du mal à trouver leur juste place. Elles se confrontaient à un sentiment d’imposture. Et pour cause… Malgré un fort investissement dans leur travail, il restera très difficile de briser le plafond de verre. En 2015, seuls 14 % des postes de direction sont occupés par des femmes[2]. Aujourd’hui, en France, quatre dirigeants sur cinq sont des hommes. Depuis mes débuts professionnels, j’ai accompagné plus de trois cents entreprises dans leur communication dont… trois sont dirigées par des femmes ! Une entreprise sur cent, c’est un peu léger, non ? Pour que la situation reste supportable pour notre génération, nous nous rabaissons, inconsciemment. Nous nous mésestimons. Afin qu’une certaine logique perdure dans nos cerveaux, qu’une certaine cohérence sauve notre santé mentale, nous nous sous-évaluons… “Tout va bien, la situation est normale, je n’ai pas ce poste parce que je n’ai pas les compétences. Et d’ailleurs si j’avais ce poste qu’en ferais-je ? Je tremble à l’idée de ne pas être à la hauteur de la responsabilité que de toute façon on ne me donne pas ! Après tout, c’est presque un soulagement pour moi de ne pas avoir obtenu ce poste. Je vais me contenter de continuer à faire ce que je sais faire, à gagner ce que je gagne, et à obéir au charisme de mon patron, mon supérieur, mon client… Car je dois me rendre à l’évidence. Je vaux bien un tube de rouge à lèvres ou une coloration capillaire[3], mais sûrement pas un poste de direction ! Alors oui, je me console ou me rassure en m’achetant un nouveau blush ou un nouveau chemisier. Combien d’années ai-je pratiqué activement la consolation par la consommation…” Les choses bougent, pour notre génération comme pour les suivantes. Mais très lentement. Et dans tous les cas, il me semble important de regarder de quelle manière nous avons dû nous rabaisser pour exister professionnellement. Car cette attitude laisse des traces profondes, perceptibles dans notre manière de nous positionner, nos réflexes, nos habitudes. Elle a laissé des traces dans nos cerveaux, dans notre manière de penser, de “nous” penser. Souvent, c’est quand se dévoile la perversion d’un système que l’on peut commencer à s’en libérer. »

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

Marie-Laurence Cattoire : Je pense à deux tendances qui peuvent sembler opposées et qui sont pourtant des opportunités complémentaires pour les femmes : l’éclosion de leur présence sur le digital et les pratiques d’ancrage corporel. Une forme de mix vertueux entre virtuel et concret.

 

Première tendance : le social media joyeux.

Sur Instagram, s’est mis en place un nouveau féminisme joyeux et inclusif, qui ne laisse personne de côté et permet de repenser les rapports sociaux. Beaucoup de femmes humoristes, autrices, actrices ou figures engagées peuvent aujourd’hui s’exprimer sans intermédiaire pour s’adresser directement à leur public via ce réseau social. Je cite dans mon ouvrage Sophie Fontanel. Cette journaliste et romancière aux 278 K abonnés explique comment Instagram a changé sa façon d’envisager la sortie de ses livres. « Je me suis dit : les critiques vont faire leur travail, ils vont dire s’ils aiment ou s’ils n’aiment pas ; les journaux vont faire leur travail, ils vont décider s’ils considèrent mon livre comme digne ou pas digne de figurer dans leurs pages. Et moi, je vais me mettre en lien avec ces fameux lecteurs potentiels, car s’ils aiment mon travail, ils sont sûrement déjà sur mon Instagram. Avant, ces gens-là, pour les prévenir que tu sortais un livre, il fallait 20 papiers. Maintenant, on n’en a plus besoin. » Les réseaux sociaux changent ainsi réellement la donne pour les femmes de la Génération X jusqu’ici grandes oubliées des médias…

 

Deuxième tendance : se poser !

Apprendre à nous poser est la nouvelle stratégie prometteuse ! La méditation par exemple, loin d’être un énième outil pour se calmer ou s’endormir, peut nous permettre de retrouver une vraie présence corporelle que nous avons occultée pendant toute notre carrière de femme ! Pour nous intégrer dans un monde aux codes masculins nous avons souvent oublié notre corps pour investir massivement notre mental. L’enjeu réel des pauses méditatives est d’arriver à se rappeler que notre être n’est pas uniquement coincé dans notre cerveau mais réside au sein de notre corps tout entier, dont le cerveau n’est qu’une partie. Une des revendications centrales des femmes est : « Notre corps nous appartient », et c’est tellement juste. Mais comment peut-il nous appartenir et nous soutenir si nous l’oublions sans cesse ? Au lieu de le maltraiter, de le déconsidérer, de l’instrumentaliser ou de le pousser à bout, parfois jusqu’au burn-out, nous avons à le redécouvrir dynamique, signifiant, intelligent, puissant. La méditation se révèle alors une force de résistance non-violente à l’hyper conceptualisation, qui peut permettre aux femmes d’éclore, enfin.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à une lectrice, à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

Marie-Laurence Cattoire : Les femmes de ma génération peuvent être fières de ce qu’elle sont accompli ! Le monde leur a demandé l’impossible et le plus incroyable c’est qu’elles ont relevé le défi avec succès ! Mon livre a l’ambition de valoriser ce courage pour entrer en amitié avec ces femmes de la Génération X. Aucune étude ni enquête n’a encore sérieusement thématiser ce sujet en France. Or ces femmes ont aujourd’hui trouvé leur place dans tous les milieux socio-professionnels. Mieux les connaître, mieux les comprendre ne pourra que participer à une solidarité et à une sororité indispensables pour mieux vivre ensemble.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Marie-Laurence Cattoire : Mon prochain travail est de mettre en avant la sagesse des femmes matures qui, loin d’être obsolètes, vont se révéler de nouvelles forces vives et bienveillantes pour nos sociétés. En entreprise notamment, nombreuses sont celles qui travaillent actuellement à repenser en profondeur les relations humaines. Passionnant !

 

Merci Marie-Laurence Cattoire

 

Merci Bertrand

 


Le livre : Eclore Enfin !, Marie-Laurence Cattoire, Editions Leduc, 2022.

 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Palo_Alto

[2] La part de femmes occupant des postes de direction n’a progressé que de 1,2 point en l’espace de dix ans, entre 2003 et 2013, a révélé une enquête de l’Institut CSA pour le cabinet d’audit et de conseil KPMG. Alors qu’elles représentent 48 % de la population active, les femmes sont seulement 14 % dans les postes de direction. Les Échos, juin 2015.

[3] Référence à une célébrissime publicité L’Oréal. Et à son slogan, parmi les plus connus au monde.