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Le français est-il une langue morte ?

Et si le français était devenu une langue morte. Pour répondre, nous avons posé cette question qui tue* à Floriane Zagar, enseignante dans le supérieur.

 

Floriane Zagar : Volontairement provocante, cette interrogation mérite de mettre en lumière l’importance de la langue de Molière mais aussi sa place, à la fois dans notre pays et hors de nos frontières.

“Ce qui n’est pas clair n’est pas français.” Antoine de Rivarol

Tant de personnages connus célèbrent notre langue, qu’une évidence s’impose : non seulement elle n’est pas une langue morte mais elle est bien vivace. La raison en est simple. La langue française est le vecteur le plus manifeste de l’esprit qu’elle véhicule : l’esprit français, tout à la fois panache et jeux de mots, en retenue et révolutionnaire, un défi à lui tout seul.

Il lui faut une langue à la hauteur et depuis des siècles, notre langue lui a donné corps, l’a accompagné tout en évoluant et s’enrichissant, et ce malgré les obstacles et difficultés qui se dressent devant elle. Elle n’en reste pas moins une langue mondiale qui inspire toujours autant aux quatre coins du monde.

 

I- Une langue malmenée

Certes, cette « langue qui nous fonde et nous soude » pour F.Luchini, est bien malmenée depuis un certain temps. Entre les anglicismes (fruit d’un snobisme bien ancré dans certains secteurs ou conséquence d’un effet de mode pour d’autres), les barbarismes de plus en plus fréquents (et ce même sous la plume de ceux qui devraient défendre notre patrimoine linguistique) et cette volonté sous-jacente de certains de « mettre à la portée de tous », en la simplifiant, ce qui devrait relever d’un apprentissage enrichissant… la question peut se poser mais trouve rapidement sa réponse. Non, la langue française n’est pas une langue morte !

En revanche, elle est mise de côté par certains, méprisée par d’autres, souvent ceux qui ne veulent pas faire d’efforts et pour lesquels un apprentissage est une perte de temps. Entre le développent du langage texto et les attaques répétées de divers mouvements au nom du wokisme, de l’inclusion ou encore de l’approche genrée, on peut se montrer légitimement inquiet sur l’état de la langue française.

Le globish est devenu la seconde langue du paysage français, et nombre de secteurs économiques se complaisent à employer des anglicismes à tour de bras. Si cela peut se comprendre dans le cadre de réunions internationales, il n’en va pas de même lorsque les échanges se déroulent au sein d’une équipe uniquement francophone. Et pourtant !!

Cette « anglophonisation » relève bien plus d’une volonté de paraitre que de communiquer efficacement comme le prétendent ceux qui réfutent la place du français dans le monde, parlant à ce sujet d’une fake news alors que le terme infox a justement le mérite de prouver que notre langue s’adapte, évolue et est tout aussi pertinente au sein de ces échanges.

Dire que l’anglais est incontournable dans toutes les circonstances, dans chaque situation, peu importe la localisation de l’échange montre surtout une volonté manifeste d’oublier la langue de Molière au profit de celle de Shakespeare alors que :

« “La langue anglaise est un fusil à plombs : le tir est dispersé. La langue française est un fusil qui tire à balle, de façon précise.” rappelait Otto von Hasburg

Alors, aux armes et aux Bescherelle, citoyens !! À commencer par nos élites politiques, industrielles ou journalistiques qui devraient montrer l’exemple, là où ils sacrifient à la mode du moment, se faisant complices de ces mauvais traitements faits à notre langue. Une vigilance et une exemplarité devraient être leur fer de lance au lieu de cela, ils utilisent plutôt une pelle pour l’enterrer à chaque occasion.

Et je ne développerai pas cette tendance à vouloir tout simplifier, de la syntaxe à la grammaire en passant par la conjugaison. Si un peu d’époussetage peut parfois se comprendre, le coup de balai mis sur une écriture multi centenaire fait grincer quelques dents. Entre le chapeau circonflexe qui laisse circonspect, et la suppression petit à petit des manuels, et de certaines œuvres de jeunesse, du passé simple, la liste est longue de cet appauvrissement organisé de notre langue (pardon, il faut dire simplification. Le politiquement correct fait son œuvre).

Toute personne publique ou privée, avec des missions de service public, se devrait de porter haut la plume, celle d’Edmond Rostand comme celle de Cyrano. Qu’elle se fasse tirade ou éditorial, discours ou article, notre langue sait se faire précise comme généreuse, chirurgicale comme artistique, ferme comme sentimentale.

Cette clarté, cette richesse, nous la devons au fait que le français a une amplitude syntaxique mais aussi géographique.

 

II- Une langue internationale

Une langue morte est une langue qui n’est aujourd’hui plus parlée dans la vie quotidienne, qui n’a plus aucun locuteur.

Quelques chiffres suffiront donc pour remettre vite les choses en place : au niveau mondial, la langue de Molière se porte plutôt bien, du moins en termes de diffusion. Le français est aujourd’hui la cinquième langue dans le monde, avec 300 millions de locuteurs, après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. « Une progression de 10 % depuis 2014 », se félicite le nouveau rapport de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Seule langue (avec l’anglais) à être parlée sur les cinq continents, langue officielle dans la plupart des organisations internationales (de la Croix Rouge internationale au Comité International Olympique en passant par l’ONU ou l’OTAN), 4e langue la plus utilisée sur Internet (la 3e même en termes de trafic) … la question est réglée, non ?

 

Plus de 260 millions de personnes pratiquent le français sur les cinq continents. Dans près de 70 états du monde entier, le français est la ou l’une des langues officielles.

L’usage qui en est fait est différent suivant les enjeux ou les réalités de son utilisation.

Ainsi se distinguent les personnes francophones de langue maternelle, souvent monolingues, qui se trouvent surtout en Europe et au Canada.

Puis il y a les individus bilingues et partiellement francophones, notamment en Afrique, Territoires d’Outre-mer, Océan Indien, pour lesquels le français est une langue seconde ou langue d’usage.

Et enfin, il y a les francophones occasionnels.

La langue française est une langue dite mondiale, car enseignée dans tous les pays du monde. Ainsi, c’est une langue étrangère apprise par plus de 50 millions de personnes. Par ailleurs, le français est une langue d’enseignement pour plus de 80 millions de personnes de 36 pays et territoires, dont plus de la moitié se trouve sur le continent africain.

Rappelons également que le français est la 3e langue mondiale la plus utilisée dans les affaires, derrière l’anglais et le mandarin. Pas moins de 20 % du commerce mondial se fait entre pays francophones. Or, la langue française couvre le plus de territoires (à titre comparatif, le mandarin n’est parlé qu’en Chine).

 

Enfin c’est aussi la langue étrangère la plus largement apprise après l’anglais. La France dispose du plus grand réseau d’établissements culturels à l’étranger.

Pourquoi un tel essor ? La raison en est simple : le français est une langue inspirante.

 

III- Une langue inspirante

Inséparable de l’esprit, la langue française est le meilleur ambassadeur du panache, de la répartie, du sens de la petite phrase, éléments si emblématiques de notre pays.

Le français est souvent considéré comme la langue de la culture. Connaitre le français, c’est faire un voyage culturel dans le monde de la mode, de la gastronomie, des arts, de l’architecture ou de la science. Apprendre le français, c’est aussi avoir accès en version originale aux textes des grands écrivains français, c’est partager la langue des ballets et de la danse classique puisque c’est celle qui est utilisée de par le monde entier dans ce domaine.

Notre langue est celle du Petit Prince d’A de Saint Exupéry, de Voltaire et de Simone de Beauvoir, de Victor Hugo et de Mme de Sévigné. Elle est tout à la fois la langue des histoires et de l’Histoire, de l’imaginaire et de la rigueur scientifique, de l’esprit cartésien et du romantisme.

Apprendre le français, c’est apprendre la langue des « Lumières » permettant d’accéder aux pensées philosophiques, aux idéaux universalistes qui ont contribué à faire rayonner l’idée des Droits de l’Homme dans le monde.

 

La langue de Molière, c’est une langue donc pour penser mais aussi pour débattre. Le français est une langue analytique qui structure la pensée et développe l’esprit critique. C’est la langue de grands philosophes (Descartes, Sartre ou Derrida) et de scientifiques de renom (Pierre et Marie Curie, Pasteur, Georges Charpak, Pierre-Gilles de Gennes…).

Apprendre le français, c’est apprendre aussi à argumenter et à présenter différents points de vue ce qui est très utile dans des discussions ou des négociations.

De fait, sur le plan professionnel, la capacité à s’exprimer en français est perçue comme un atout supplémentaire dans la recherche d’un emploi, notamment dans ce vaste territoire qu’est celui de la francophonie.

Tant dans sa sphère personnelle que professionnelle, communiquer en français permet tout un éventail d’échanges du registre le plus courant à celui le plus soutenu, de la pensée la plus précise au sentiment le plus diffus.

 

IV- Le français, une langue morte ou au contraire, une langue d’avenir ?

Apprendre le français, c’est apprendre une langue latine. Après, il sera plus aisé d’apprendre l’espagnol ou l’italien qui ont les mêmes racines. En réalité, c’est aussi une aide pour appréhender l’anglais puisque, à tout seigneur, tout honneur, le français a inspiré la moitié du vocabulaire anglais !

Précisons donc un peu la place actuelle de la langue française avant d’esquisser son avenir.

Le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde, mais passera dans quelques années à la quatrième place. Vingt-neuf pays et onze entités indépendantes parlent français. Parmi eux, le Canada, la Belgique, le Sénégal ou encore le Luxembourg.

Le nombre de personnes qui pratiquent le français devrait tripler à l’horizon 2050 pour atteindre les 710 millions (selon l’Organisation Internationale de la francophonie).

 

Le français, langue morte … non ! Langue d’avenir au contraire.

 

Poser cette question ainsi, c’est oublier plusieurs réalités liées à un mot évoqué précédemment : celui de la francophonie. Alors voici quelques rappels, tirés des rapports de l’OIF.

Ces réalités sont de plusieurs ordres :

Réalité humaine tout d’abord, car le français se trouve parlé par 274 millions de locuteurs de par le monde, ce qui en fait la cinquième langue la plus parlée dans le monde, mais aussi la deuxième langue la plus apprise après l’anglais.

Réalité géographique ensuite, car le français est réparti sur tous les continents. L’Europe et l’Afrique évidemment, mais aussi les Amériques avec le Québec bien évidemment qui mène, depuis toujours, une lutte courageuse face à l’hégémonie anglo-américaine ; sans oublier le reste des francophones hérités de l’Histoire aux Etats-Unis et même, ceux qui en Amérique du Sud témoignent, par leur attachement à la langue française, d’une certaine idée de la France.

Aux antipodes, il y a aussi l’Asie avec les Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam, mais aussi notre présence en Inde où l’État de Pondichéry a gardé une place à part entière pour la langue française.

Réalité économique : n’oublions pas que le français est la seconde langue la plus enseignée dans le monde. C’est bien en Afrique que le français est le plus appris, soit 23 millions d’apprenants. Vient ensuite l’Europe avec 10,5 millions d’apprenants.

À noter que dans les pays anglophones d’Europe, le français est la première langue étrangère étudiée. Les pays germanophones lui réservent la deuxième place.

Enfin, les Chinois s’intéressent de plus en plus au français avec un objectif clair : s’implanter économiquement en Afrique. Depuis quelques années, le continent est ciblé par les investisseurs asiatiques.

Cela accompagne le constat de la place importante de la France dans les échanges économiques. Notre pays est la 5e puissance commerciale mondiale. En tant que langue étrangère apprise sur tous les continents du globe, le français occupe une place significative dans les échanges commerciaux et les relations économiques. Il représente un réel impact économique.

Réalité politique aussi. L’OIF regroupe aujourd’hui 84 États et il faut rappeler que le français est la langue officielle de 32 États et gouvernements. À travers eux, la langue française et sa culture rayonnent tout autour du monde. Ces dernières constituent un outil formidable d’influence au service d’une diplomatie de la médiation et de l’échange, capable de créer des ponts entre les nations, de tisser des liens entre les peuples.

– Enfin, c’est une réalité dynamique. Face à un avenir qui devrait être marqué par les grands bouleversements démographiques, et notamment l’explosion du continent africain, l’espace francophone va être fortement influencé par ses évolutions en passant à près de 800 millions de locuteurs d’ici à 2050 soit près de 9% de la population mondiale, contre seulement 3,5 % aujourd’hui.

 

En conclusion, le français, loin d’être une langue morte, est une langue qui se parle dans le monde entier et dont les horizons sont multiples.

Elle est bien vivante mais il faut se battre pour elle, afin de la préserver, comme on le ferait pour un être aimé.

“La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle.”

Voici comment l’un des plus grands écrivains de son temps parlait de notre langue, lui dont le nom était en lui-même un hommage à son pays : Anatole France.

 

Floriane Zagar

 

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*Le principe de la Question qui tue et les règles du jeu sont simples :

1 – L’interview est composée d’une seule et unique question.

2 – Celui ou celle qui répond, doit le faire exclusivement par écrit, via e-mail.

3 – L’interviewé a carte blanche et je n’interviens aucunement sur sa réponse.

4 – La réponse doit contenir à minima une dizaine de lignes, mais peut faire plusieurs pages et pourquoi pas, devenir le point de départ d’un prochain livre de l’interviewé.

5 – Toutes les photos, tous les liens hypertextes, toutes les vidéos, sont les bienvenues.

6 – L’interview est publiée sur le blog de Bertrand Jouvenot et sur Linkedin

7 – L’interviewé fera de son mieux pour répondre aux commentaires laissés sur Linkedin et Twitter notamment.