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Le directeur des ressources humaines a le devoir de dire non !

La direction des ressources humaines est accusée de tous les maux. Elle a pourtant le privilège de se situer au cœur des transformations économiques, sociales, sanitaires et environnementales de notre société. Est-elle, comme certains le pensent, vouée à disparaître ou, au contraire, à renaître ? Mission ou démission de la direction des ressources humaines, telle est la question que pose Thomas Chardin dans son livre iconoclaste DRH : mission ou démission, 3 pistes d’action à l’heure du choix ?

 

 

Bonjour Thomas Chardin, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Thomas Chardin : En fait ce livre était finalisé en février 2020, au début de la crise sanitaire.

Avec mon éditeur, Les Editions Diatéino, nous avons pris la décision de mettre en stand-by sa mise sous presse pour pouvoir, le cas échéant, intégrer des nouveaux éléments de contexte et d’analyse issus de cette période exceptionnelle.

 

Dans cet ouvrage, l’approche est plus structurelle que conjoncturelle. L’ensemble des tendances que j’avais identifiées en amont de la crise Covid, comme la pénurie de talents ou l’importance du digital se trouvent mises en exergue, accélérées voire exacerbées par la pandémie et son lot inexorables de transformation.

 

Si je mets de côté le « maintenant » de la question, j’ai écrit ce livre pour continuer à faire ce que je fais depuis 25 ans : accompagner les DRH dans leurs missions pour faire en sorte que la fonction RH réussisse. Encore faut-il bien s’entendre sur la « mission », d’où le titre.

J’espère que cet ouvrage contribuera, modestement, au rayonnement de cette belle fonction.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Thomas Chardin : Sans doute, la page sur l’audace qui est une vertu à laquelle je crois beaucoup en cette période trouble où on a besoin de retrouver de la simplicité dans la communication, du bon sens dans l’action, de l’authenticité dans le propos, du volontarisme dans le projet.

 

Le directeur des ressources humaines a le devoir de dire non ! Non à la communication-séduction creuse, voire mensongère, pour attirer coûte que coûte des candidats. Non aux actions de communication à deux balles concernant le développement durable. Non aux injonctions paradoxales à grande échelle. Non à la supercherie du management par processus et par indicateurs. Non, enfin, à la schizophrénie généralisée des métiers RH.

 

Pour ce faire, il faut savoir passer du courage à l’audace.

 

Le courage consiste à accepter de gérer au mieux les chocs exogènes qu’on impose aux professionnels des RH ou qui s’imposent à eux : chocs sanitaires, juridiques, organisationnels, technologiques ou encore budgétaires.

 

L’audace implique de se saisir d’un sujet en lien avec sa mission première et de le défendre. Cela comporte une prise de risque, intrinsèque au fait d’être à l’initiative.

Lorsqu’on est audacieux, on fait nécessairement rupture, on sort du rang, on se rend visible par l’effort qu’on produit. On résiste à une orientation qu’on trouve inhumaine, injuste, inutile ou inefficace. On refuse une situation dans laquelle on se sent en dissonance cognitive au regard de sa mission. Une DRH audacieuse refuse l’invisibilité dans laquelle les autres veulent, consciemment ou inconsciemment, la contraindre à rester. L’audace signifie en définitive de ne pas être ce que les autres attendent exactement que l’on soit.

Le courageux et l’audacieux perçoivent dans le temps présent la signature de l’archaïsme. Mais le courageux accepte la situation en faisant au mieux, pendant que l’audacieux revendique et agit.

Les directeurs des ressources humaines sont courageux, mais pas assez audacieux. Cet état de fait nuit désormais gravement à leur mission principale.

 

De par son immobilisme, la fonction RH s’est posée en victime consentante de l’époque, abandonnant ce qui fait le sens de son engagement, la dimension humaine de l’entreprise.

Cette capitulation est le plus souvent légitimée par le manque de temps, de moyen et de pouvoir.

Il y a aujourd’hui comme une panne de la pensée collective. Nous avons besoin d’une pensée RH partagée, vivante et engageante, presque agissante. Celle-ci doit renouveler la capacité d’analyse et de diagnostic de la dynamique historique de l’entreprise dans la société, du management et de la fonction RH elle-même.

 

Comment traduire cette audace en action ? Comment surmonter les obstacles que sont le manque de temps, le manque de ressources, le manque de soutien, et partir à la reconquête de l’avenir ? C’est l’objet du bouquin.

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Thomas Chardin : Pour la fonction RH, nous sommes à un carrefour de son histoire. Soit elle se saisit de cette opportunité de réinvestir le R de la Relation de son acronyme, celui qui fait le lien entre le D de la direction, qui doit donner le sens à l’action, de la désirabilité de la destination commune, et le H qui représente la finalité de la DRH, l’humain ou, je l’espère, l’humanisme.

 

Soit elle abandonne sa vocation et se résigne àmises en exergue, accélérées gérer les ressources humaines.

Les entreprises sont bien des organisations humaines, faites par les femmes et les hommes qui les composent, mais sont-elles suffisamment humanistes, faites pour les femmes et les hommes ?

Je croix en ces trois tendances de fond :

  • Le renouveau de la fonction RH
  • Le retour à du bon sens et la réinvention du lien social
  • La reconnexion de l’entreprise avec la société

 

C’est sûr que dit comme cela ce n’est pas très concret mais je peux vous assurer que c’est dans les faits très opérationnel et pragmatique.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

Thomas Chardin : D’appliquer l’adage de ma grand-mère : « l’escalier se balaie par le haut, se construit par le bas et se monte marche par marche ».

 

Dans le monde post-Covid, il faut retrouver le sens de l’exemplarité. C’est une éthique de la réciprocité : fais à l’autre ce que tu souhaiterais qu’il fasse. Tenir ses engagements, reconnaître ses torts, prendre le temps d’écouter activement… l’exemplarité pour un manager, c’est l’humilité du quotidien. Balayer l’escalier en partant du haut est une question de crédibilité, un prérequis à l’action pour le DRH et l’entreprise.

 

La démarche collaborative me semble être le deuxième critère du succès. L’exercice d’une activité professionnelle ne doit plus être fondé exclusivement sur une fiche de poste avec des tâches à exécuter, mais sur une expérience de travail qui s’insère dans un collectif. Le travail n’est plus assis sur une hiérarchie pyramidale, mais sur une organisation plus ouverte aux idées et aux propositions des collaborateurs. Ce qui les unit n’est pas le lien de subordination, mais le lien social que constitue un projet commun dans lequel leur rôle moteur est reconnu. Un escalier doit se construire avec, par et pour les collaborateurs si on veut qu’il soit opérant.

 

L’entreprise ne se changera pas du jour au lendemain. Il y a nécessairement une forme de progressivité dans les transformations qui sont à l’œuvre. Il faut bien sûr entendre ici « progressivité » dans les deux sens du terme : qui évolue et se développe par étapes, de façon continue, et qui participe au progrès et est favorable au progrès social et environnemental. Cette progressivité désigne à la fois la méthode, marche par marche, et la finalité : l’entreprise humaniste que j’évoquais précédemment.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Thomas Chardin : Ils sont nombreux et dans une logique d’approche systémique, se situent dans la continuité des éléments de réflexion contenus dans l’ouvrage. Le sujet de l’entreprise étendue et des évolutions de nos relations au travail me semble être particulièrement intéressant, comme l’impact, notamment environnemental, de l’entreprise sur la société. Ça pourra sans doute faire l’objet d’un autre livre. Pour l’instant, ma passion reste les RH.

 

 

Merci Thomas Chardin

 

Merci Bertrand

 

Le livre : DRH : Mission ou Démission, Thomas Chardin, , Diateino, 2021.