Le bel esprit à l’ère numérique : une conversation avec Marc Lefrançois

Tandis que les mots semblent perdre de leur tranchant, Marc Lefrançois, auteur du récent « Les bons mots de l’Histoire » (City Edition), nous plonge dans un univers où la rhétorique affûtée des figures historiques et littéraires rayonne encore. Cet ouvrage est une invitation à redécouvrir l’esprit et la verve qui animaient autrefois les salons et les assemblées. En discutant de son livre, l’auteur évoque aussi les perspectives que l’intelligence artificielle pourrait apporter à l’écriture et la culture, tout en défendant la valeur inestimable de la lecture personnelle.
Bonjour Marc Lefrançois, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?
Marc Lefrançois : Je lis énormément, j’écris également beaucoup, et en fréquentant les grandes figures de l’Histoire, ainsi que les grands auteurs de la littérature, il m’est souvent arrivé d’éclater de rire (au grand désarroi de mon chat) devant une réplique particulièrement saillante, un très d’esprit vraiment mordant. Hélas, ce qui m’a frappé le plus, c’est l’abîme existant entre ce raffinement du langage, qu’on trouvait aussi bien dans les salons mondains au XVIIIe que dans les joutes verbales de l’Assemblée, au siècle dernier, et la pauvreté des échanges auxquels on assiste aujourd’hui. Aussi, c’est peut-être une façon de rappeler que la France a été le pays du bel esprit…
Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?
M.L. : La deuxième raison pour laquelle j’ai écrit ce livre, ce que mon expérience d’enseignant m’a appris le pouvoir merveilleux de l’anecdote qui constitue une formidable introduction à l’histoire, la culture. C’est une invitation à se montrer curieux, à en savoir plus. En cela, le bon mot n’est précisément pas seulement anecdotique. Il est plus profond qu’il n’y paraît. Il y avait un bon mot, vraiment léger, ou lourd (c’est selon) d’un poète que j’aime beaucoup, Saint-John Perse. Celui-ci, également diplomate, commentera une situation hautement critique. Je la place à la fin d’un paragraphe où je résume une page importante de l’Histoire, par un mélange de légèreté et de sérieux assez caractéristique de mon style :
« Munich 1938
Les politiques français et anglais pensent avoir acheté la paix face aux Allemands, à force de concessions, à Munich, en 1938. En effet, les accords de Munich prévoient notamment l’abandon d’une partie de la Tchécoslovaquie – pourtant alliée – aux Nazis. Un des signataires des accords, Edouard Daladier, s’attend donc à être hué à son retour en France. Alors que, devant le tumulte qui se fait sur la piste, il hésite à descendre de l’avion, son pilote le rassure :
- Monsieur, ne craignez rien, cette foule vous ovationne !
- Ah les cons ! S’ils savaient.
En Angleterre, il y en a un qui sait.
Cela fait un moment qu’il a tout compris, Winston Churchill, qui s’est efforcé de faire lire Mein Kampf pour mettre en garde contre son auteur :
« Hitler parvenu au pouvoir, il y a peu de livres qui méritaient autant d’être attentivement étudiés par les dirigeants, les hommes politiques et les militaires des puissances alliées. Tout était là. »
Alors qu’Adolf Hitler, élu en 1938 « homme de l’année » par le Time magazine, est célébré par certains politiques comme un « grand homme » dont la « dictature bienveillante » est un gage de paix et de sécurité, Churchill est un des rares politiques à en comprendre les enjeux.
Surtout après Munich.
Réaliste, il va alors prononcer ces mots terribles :
« Entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez quand même la guerre. »
En France, le poète Saint-John Perse condamnera l’abandon des trois millions de Sudètes, qu’il considèrera comme une tache indélébile. Et, à propos de tache, quand on lui fit remarquer que beaucoup de Français étaient soulagés de ne pas avoir à entrer en guerre pour Prague, le poète répondit ;
- Oui, soulagés, mais à la manière de ceux qui ont fait dans leurs culottes. »
Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?
M.L. : S’il s’agit des tendances culturelles ou technologiques, il y a le recours de plus en plus fréquent à l’intelligence artificielle. Je me souviens de ce qu’en disait Stephen Hawking qui paraissait terrifié par tout ce que cela revêtait. Ce qui est certain, c’est que cela représente un défi de taille pour tous les créateurs. J’imagine qu’une prochaine version de ChatGPT pourrait très bien écrire mon livre. Et dans un avenir proche, il n’est pas impossible que les éditeurs utilisent ce genre de procédé pour diffuser des livres de culture générale, des manuels, des guides techniques. J’espère que ma touche d’humour, assez caractéristique, me permettra de faire la différence, comme ma capacité à trouver dans les milliers de livres de ma bibliothèque, des informations inédites. Pour l’instant, il paraît difficile de remplacer le lecteur solitaire et déterminé, musardant avec plaisir dans une salle d’archives… Mais sans doute verrons-nous un jour un label apposé sur les livres dans le style « Fait à la maison ». Libre à chacun alors d’opter pour l’authentique ou l’industriel.
Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?
M.L. : De consacrer le plus de temps possible à la lecture. Il n’est pas utile d’en rappeler ses bienfaits les plus connus, la culture qu’elle apporte, l’ouverture d’esprit ou tout simplement l’amélioration de son vocabulaire. A mes yeux, ce qu’elle apporte de plus précieux, c’est tout simplement un bonheur qu’il est difficile de se voir enlevé. En cela, j’aime souvent citer Jules Clarétie : « Vous aimez les livres ? Vous voici heureux pour la vie. » Un auteur dont j’ai certains livres en édition originale avec envoi autographe… car mon plaisir de lecteur se double de celui de bibliophile. Je n’ai donc pas fini d’être heureux grâce aux livres !
En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?
M.L. : e crime ! Naturellement, je ne parle pas de la confection artisanale et personnelle d’un acte criminel, mais plutôt de l’exploration imaginaire d’un nouveau sujet romanesque. Autrement dit, je vais revenir à l’écriture de romans et je suis en train de terminer un grand thriller historique. Un thriller où il sera naturellement question de petite et grande histoire, de crimes et énigmes aussi variées que palpitantes et… surtout… de livres rares, anciens et précieux !
Merci Marc Lefrançois.
Merci Bertrand Jouvenot.
Le livre : Les bons mots de l’Histoire, Marc Lefrançois, City Edition, 2024.