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La question qui tue à Stéphane Rodocanachi

Le recrutement est rempli de paradoxes. Des tonnes d’entreprises peinent à trouver les perles rares tandis que de plus en plus de talents sont à l’écoute du marché et ne demandent qu’à montrer leur valeur. Autre particularité, il constitue une expérience plutôt déplaisante à la fois pour les candidats et pour les recruteurs. Pour comprendre nous avons demandé à Stéphane Rodocanachi, agent de talents de son métier, de répondre à cette question qui tue : Pourquoi l’expérience de recrutement est si irritante pour le recruteur et pour le recruté ?

 

 

 

Stéphane Rodocanachi : « L’expérience du recrutement est incontestablement un sujet qui ne laisse pas indifférent. Chacun d’entre nous a une ou plusieurs anecdotes croustillantes à raconter, tirées de sa propre expérience.

 

Le recrutement est un sujet universel.

Selon les étapes de notre vie professionnelle, notre relation avec le recrutement a tendance à évoluer et s’intensifier. Au-delà du rôle de candidat, il nous est demandé d’enfiler le costume de recruteur, d’abord pour notre propre équipe et ensuite pour accompagner nos managers à recruter pour eux-mêmes.

Cette progression semble logique et pourrait s’expliquer de manière rationnelle : un gain d’expérience au fil des années, qui permet de sublimer l’expérience en recrutement.

 

Le recrutement est un sujet omniprésent.

Il est synonyme de : sélection, rencontre, opportunité, reconnaissance, changement, développement, ouverture, perspective …

Autant de marqueurs positifs, qui permettent au candidat, comme au recruteur de fonder les espoirs les plus fous dans l’avenir.

 

En regardant attentivement, le processus de recrutement est clair : un besoin exprimé (une fiche de poste), une recherche de candidats comme première sélection, des entretiens en mode questions/réponses sur des sujets maitrisés, un processus de décision collectif.

 

Si la complexité du recrutement ne réside pas dans sa « technicité », cela signifie qu’elle est due à son usage.

Mais l’usage ou autrement dit l’expérience, n’est peut-être pas le bon mot, car il est trop désincarné pour trouver le responsable de cette irritation !

Il s’agit d’être précis, les Inconnus nous ont démontré qu’il y « les bons et les mauvais chasseurs », mais en est-il de même pour les recruteurs ?

 

Avant de répondre à cette question brulante, arrêtons-nous quelques instants, sur ce qu’est un recruteur ?

Les plus pragmatiques diront : c’est un professionnel du recrutement, c’est-à-dire quelqu’un qui exerce ce métier depuis des années.

D’autres diront, c’est un RH.

Dans le même temps, certain DRH diront, « l’équipe recrutement (autrement appelée équipe Talent Acquisition, dans de grands groupes internationaux) ne fait pas partie de l’équipe RH ».

Enfin, les derniers diront « le recruteur c’est moi et tous les managers de l’entreprise, avec l’aide d’un cabinet et/ou de l’équipe RH ».

Avec autant d’acteurs, il va être difficile de définir le portrait-robot du bon recruteur.

 

 

Envisageons la question sous un angle différent, celui de la pratique.

Bonne nouvelle, lorsqu’on interroge des professionnels du recrutement, ils sont presque tous d’accord sur les grandes étapes du processus de recrutement.

En revanche, la mise en œuvre est pour le moins hétérogène.

 

Passons sur les débats d’experts, mais les usages sont nombreux : cahier des charges, RDV avec le manager qui recrute pour une prise de brief du recruteur, entretien téléphonique de pré-sélection, hard skills, soft skills, tests de personnalité, assesment, tests techniques, business case, RDV en face à face, RDV avec multiples interlocuteurs, visio-conférence, debriefing, …

 

Plus nous avançons dans notre investigation, plus il est difficile de trouver le PGCD (Plus Grand Commun Diviseur) du recrutement.

 

A propos de mathématiques, se pose la question de l’aspect psycho-scientifique du recrutement ? De manière plus pragmatique, il s’agit de répondre à la question qui hante nombre de candidats, comment un recruteur m’évalue ?

Comme toujours en matière de recrutement, il n’y a pas une seule bonne réponse, mais de multiples. Je serais même tenté de dire, qu’il y en a autant, qu’il existe de recruteurs.

 

En revanche, je sais qu’il y une réponse interdite à cette question : le feeling !

Tous les experts vous le diront, le feeling est à proscrire en recrutement. Il serait propice au jugement, aux biais, à la discrimination et à bien d’autres maux, qui en d’autres temps aurait valu le bucher à ses utilisateurs.

 

 

Résumons-nous.

Le recrutement est universel et omniprésent. Son processus est clairement défini, mais sa pratique est très hétérogène, car elle dépend intrinsèquement de chaque recruteur.

Il n’existe pas de formation universitaire en recrutement, sa pratique est encadrée mais pas réellement règlementée et il existe de multiples méthodes et outils d’évaluation.

 

Ces différents éléments sont un premier élément de réponse, mais n’expliquent pas complètement l’ire que peuvent générer certaines expériences de recrutement.

 

L’aversion ou le plaisir que peut générer l’expérience du recrutement, peut aussi s’expliquer par l’implication qu’elle demande au candidat comme au recruteur.

Il n’est pas rare d’observer que des personnes reconnues pour leur aisance relationnelle y compris dans un contexte à très fort enjeu, perdent de leur superbe, lorsqu’elles sont en situation de recrutement.

 

 

Mon point de vue est que l’expérience de recrutement est liée à la posture.

Intéressons-nous aux différents protagonistes et à leur façon d’interagir.

 

Le candidat qu’il soit en recherche active, à l’écoute du marché ou simplement curieux de se benchmarker aborde généralement un processus de recrutement, comme un enfant sur un manège, dont l’objectif n’est pas de profiter de l’instant, mais de décrocher la queue de Mickey.

Il considère le recrutement comme une opportunité et s’engage souvent dans l’aventure sans préparation : « après tout, je me connais comme personne, j’improviserais … »

 

Le consultant du cabinet de chasse a le rôle « d’expert ». L’entreprise le briefe sur un besoin souvent approximatif, qui peut être sujet à interprétation. Il se bat pour obtenir des informations et s’imprégner de la culture de l’entreprise, tout en devant rassurer son interlocuteur sur son expertise : « … je suis certain qu’un profil comme celui que nous cherchons, vous en avez recruté des dizaines … »

 

L’entreprise qui recrute est souvent une hydre, avec d’un côté les RH, de l’autre le manager qui recrute, qui se partagent le recrutement. L’objectif est de rencontrer le plus rapidement possible, un panel de candidats exhaustifs, afin de ne surtout pas se tromper : « … je ne suis pas un spécialiste du recrutement, en plus je n’ai pas le temps, … »

 

Un seul mot : le recrutement, pour décrire 3 objectifs finalement assez spécifiques et parfois divergents.

Mais tous ces protagonistes ont un point commun : la peur de se tromper.

 

Cette approche du recrutement fausse tous les rapports et bien souvent l’expérience de recrutement s’apparente davantage à une partie de poker, plutôt qu’à une rencontre.

Chacun joue son jeu, avec ses propres objectifs secrets, prêtant des intentions aux autres protagonistes.

Pas de place à l’émotion, uniquement du rationnel et du transactionnel.

 

Pourtant, quel que soit notre rôle et notre posture, il y a un consensus sur le fait que l’humain est la première richesse de l’entreprise. Cela positionne le recrutement comme une activité stratégique pour l’entreprise comme pour chacun de ses managers.

Mais nous observons chaque jour, qu’individuellement et collectivement le recrutement n’est pas en haut de notre To Do List.

 

Revenons au sujet de la posture en recrutement.

Une fois n’est pas coutume, prenons exemple sur le football.

Souvent le recrutement en entreprise s’apparente au remplacement qu’effectue un entraineur de football au cours d’un match.

Le remplaçant prenant le poste du joueur sortant, avec l’espoir qu’il apporte sa fraicheur et son envie à l’équipe déjà sur le terrain.

Pour l’entraineur de football, il s’agit juste d’un ajustement tactique.

Le recrutement revêt un tout autre enjeu, comme nous pouvons l’observer chaque année pendant la période du mercato (période des transferts).

Le plus gros enjeu de la saison pour un entraineur est le recrutement. Avoir les meilleurs joueurs à sa disposition pour appliquer le plan de jeu définit.

Les entraineurs passés à la postérité sont souvent considérés comme de grands « bâtisseurs ».

 

Bien entendu, aucun de ces entraineurs n’a découvert la recette absolue du succès et malgré leurs victoires, ils se sont aussi beaucoup trompés et connu la défaite.

Toutefois, il y a un dénominateur commun à toutes ces histoires : la rencontre.

La rencontre de 2 personnes, qui laissent la place à l’intuition, c’est-à-dire à l’intelligence de la relation.

Pas d’intention, pas de biais, de l’écoute, de la découverte.

Se faire confiance, écouter ses intuitions, questionner son ressenti, … pour mieux écouter et questionner l’autre, afin de confirmer ses intuitions.

 

 

En guise de conclusion, j’aimerais partager ma vision de ce métier que je pratique depuis 20 ans, que j’ai aimé, détesté et auquel je suis toujours revenu avec plus de passion.

 

Le recrutement est un sport. Tout le monde peut le pratiquer, en dilettante comme à un niveau professionnel. Il fait appel à des qualités innées, mais nécessite un travail et une exigence quotidienne, pour le pratiquer à haut niveau.

L’ascenseur émotionnel qu’il procure est sans limite et rien n’est jamais acquis.

Comme n’importe quel sport, il a ses règles, ses règlements, ses usages et sa technique. Ce n’est qu’une fois que tous ses éléments sont parfaitement maitrisés, qu’il faut laisser une place à l’instinct et à l’intuition, étincelles nécessaires à la rencontre. »

 

Merci Stéphane

 

Merci Bertrand

 

 

 


Le principe de la Question qui tue et les règles du jeu sont simples :

1 – L’interview est composée d’une seule et unique question.

2 – Celui ou celle qui répond, doit le faire exclusivement par écrit, via e-mail.

3 – L’interviewé a carte blanche et je n’interviens aucunement sur sa réponse.

4 – La réponse doit contenir à minima une dizaine de lignes, mais peut faire plusieurs pages et pourquoi pas, devenir le point de départ d’un prochain livre de l’interviewé.

5 – Toutes les photos, tous les liens hypertextes, toutes les vidéos, sont les bienvenues.

6 – L’interview est publiée sur le blog de Bertrand Jouvenot et sur Linkedin

7 – L’interviewé fera de son mieux pour répondre aux commentaires laissés sur Linkedin et Twitter notamment.