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La question qui tue à Jean-Christophe (🙃) Thibaud

À l’heure oĂč l’entreprise se rĂȘve agile mais fonctionne sous haute tension, il est une pratique qui intrigue, agace ou fascine : le coaching. Tour Ă  tour cĂ©lĂ©brĂ© comme levier de transformation personnelle ou critiquĂ© comme gadget managĂ©rial, il s’insinue pourtant dans les interstices du systĂšme. Et si, derriĂšre les postures et les protocoles, le coaching incarnait quelque chose de plus radical ? Un espace oĂč l’on peut enfin penser autrement. Un refuge, fragile mais prĂ©cieux, pour ceux qui refusent de devenir des rouages silencieux. Nous avons posĂ© notre question qui tue Ă  Jean-Christophe (🙃) Thibaud : Et si le coaching Ă©tait devenu le dernier espace de rĂ©sistance dans nos organisations ?

 

Merci Bertrand pour cette question à la fois dérangeante et jubilatoire. Une vraie dissertation de philo. Presque une provocation, alors que les détracteurs du coaching se déchaßnent sur les réseaux. Julia de FunÚs, si elle tombe sur ce texte, me collera illico un carton rouge. Tant pis. Ou plutÎt, tant mieux.

Parce que cette question, sous ses allures conceptuelles, touche une corde sensible. Elle soulĂšve, mine de rien, un point fondamental : existe-t-il encore des espaces dans nos entreprises pour penser autrement que dans les cases ? Des lieux oĂč l’on peut dire ce qui ne se dit plus ? Des moments oĂč l’on peut, sans risquer sa peau de salariĂ©, interroger les Ă©vidences ?
RĂ©sister, non pas pour le plaisir de s’opposer, mais pour le droit d’exister et de penser sans entraves.

Et si le coaching, dans ce paysage managérial verrouillé, était devenu cette zone franche ?
Un improbable refuge, Ă  la fois subversif et bienveillant. Un espace de parole libre, oĂč le droit de penser « dans les coins » est pleinement intĂ©grĂ© au processus.

Je vais tenter de creuser cette piste, sans trop de parti pris. Mais avec impertinence et « piquant »

 

Le coaching, ou la libertĂ© d’aller d’un point Ă  un autre

Le mot coach ne vient ni de Palo Alto, ni de LinkedIn. Il vient du hongrois « Kocs », un petit bourg prĂšs de Budapest. C’est lĂ , au XVe siĂšcle, que des charrons inventĂšrent une nouvelle charrette suspendue sur ressorts, plus confortable, plus rapide. La kocsi szekĂ©r conquit l’Europe. Un vĂ©hicule conçu pour amortir les chocs et aller plus loin.

La mĂ©taphore est belle, mais elle est surtout pertinente. Dans un monde du travail asphyxiĂ© par l’injonction Ă  la performance, aux rĂ©sultats, aux KPIs, le coaching propose un autre itinĂ©raire. Il suspend le diktat du mesurable. Il ralentit lĂ  oĂč tout s’accĂ©lĂšre. Il accueille la subjectivitĂ©, l’ambivalence, le doute, lĂ  oĂč l’entreprise exige des certitudes, de l’agilitĂ© et du sourire Ă  toute heure.

Le coaching n’est pas lĂ  pour faire « aller mieux ». Il est lĂ  pour faire entendre autrement.
C’est un pas de cĂŽtĂ©. Une brĂšche dans le rĂ©cit managĂ©rial dominant. Une invitation Ă  redevenir auteur, dans un théùtre saturĂ© de scripts et de rĂŽles.

 

Résister au silence organisé

Il faut avoir entendu une cadre dire : « Je ne peux pas en parler, mĂȘme Ă  la maison » pour mesurer Ă  quel point la parole est devenue pĂ©rilleuse en entreprise.

Non, tout ne se dit pas en rĂ©union. Et encore moins lors des entretiens annuels. Non, la machine Ă  cafĂ© ne remplace pas un espace protĂ©gĂ© oĂč l’on peut, enfin, dĂ©poser ce qui pĂšse :
la fatigue, le sentiment d’imposture, la peur, la colùre, ou simplement l’absurde.

Le coaching, Ă  condition d’ĂȘtre Ă©thique, confidentiel, encadrĂ©, devient un lieu de dĂ©verrouillage de la parole. Il permet une critique lucide, souvent constructive. Pas une dĂ©nonciation, une prise de conscience. Pas une revendication, une reconquĂȘte.

Quand les syndicats s’essoufflent, que les RH sont sommĂ©s de « faire tenir » les organisations, que les managers de proximitĂ© sont en surchauffe
 le coaching tient parfois lieu de dernier interstice de libertĂ©. Une sorte de contre-pouvoir silencieux, sans tribune, sans drapeau, mais profondĂ©ment politique, celui qui contribue Ă  la vie, rĂ©elle, de l’organisation.

 

Redonner du pouvoir Ă  l’individu dans la mĂ©canique organisationnelle

Dans les bilans sociaux, on parle pudiquement d’ »ETP ». Dans la vie quotidienne des entreprises, on parle de « ressources », de « talents », de « potentiel ». Autant de mots-paravents que l’on place devant les personnes et les corps.

Le coaching rĂ©habilite l’individu : son histoire, ses Ă©motions, ses paradoxes. Il refuse les grilles toutes faites. Il rĂ©siste Ă  la tentation de catĂ©goriser, d’optimiser, de redresser. Il laisse parler les tripes avant d’ajuster les postures. Lorsqu’il est fait dans les rĂšgles de l’art, bien entendu.

Et c’est peut-ĂȘtre lĂ  sa vraie force, aujourd’hui. Dans un monde qui survalorise la raison, il redonne droit Ă  l’émotion. Dans un monde qui sacralise la logique, il rend hommage au ressenti. Dans un monde qui standardise, il rĂ©vĂšle l’unique.

Quand les pathologies du travail s’écrivent toutes en out, burn-out, bore-out, brown-out, quand l’absurde devient la norme, et la perte de sens une Ă©vidence
 le coaching devient parfois une forme de soin, non pas thĂ©rapeutique, mais existentiel.

 

Reprendre la main. Et sa trajectoire.

RĂ©sister ne signifie pas toujours s’opposer frontalement. Cela veut dire, plus discrĂštement mais plus radicalement : se rĂ©approprier son pouvoir d’agir.

Dans l’intimitĂ© d’un coaching, certains dĂ©cident de rester. D’autres dĂ©cident de partir. De se sauver. D’autres encore dĂ©cident de faire autrement. Mais tous DECIDENT.

Et c’est une petite rĂ©volution. Car Ă  force de se conformer, de s’adapter, de s’aligner
 on finit par disparaĂźtre. Et ce que le coaching permet, lorsqu’il est bien menĂ©, c’est de rĂ©apparaĂźtre. Pas en hĂ©ros. Pas en rebelle. Mais en sujet.

 

Mais n’idĂ©alisons pas trop vite


Le coaching peut aussi ĂȘtre une arnaque, un artefact, une vitrine bien-pensante. La bonne conscience de l’organisation face Ă  la souffrance individuelle.

Il est parfois instrumentalisĂ© par l’entreprise elle-mĂȘme, qui y voit un moyen de faire tenir un peu plus longtemps des collaborateurs dĂ©jĂ  au bord. De les « remettre Ă  flot ». De les « rĂ©engager », mais sans changer le systĂšme.

Le coaching devient alors soupape, palliatif, maquillage de la douleur.

Pire encore : le coaching est en train de devenir une industrie. Les Ă©coles fleurissent. Les certifications pleuvent. Les supervisions s’enchaĂźnent.

Il ne se passe pas une soirĂ©e sans que je ne croise un jeune coach, un vieux coach, un coach « qui ne veut plus coacher », un coach « qui veut se reconvertir », un coach « qui n’a pas trouvĂ© de clients », un coach qui coache des coachs.

Et Ă  force de tourner en circuit fermĂ©, cette bulle menace d’exploser.

Si l’on n’y prend garde, le coaching pourrait bien devenir un entre-soi aseptisĂ©, plus soucieux de produire des accrĂ©ditations que des confrontations. Plus prĂ©occupĂ© de « se vendre » que de faire rĂ©flĂ©chir.

Et ce serait le comble : un outil de résistance
 devenu outil de conformité.

 

Résister sans posture, mais avec posture

Alors, faut-il jeter le coaching avec l’eau tiĂšde du bien-ĂȘtre au travail et du dĂ©veloppement personnel ? Non. Mais il est temps de le secouer un peu.
De lui rappeler ce qu’il peut, et doit ĂȘtre : un espace de libertĂ©, pas un produit.
Un lieu de décadrage. Pas de reprogrammation. Une tension vivante entre bienveillance et exigence, entre écoute et confrontation, entre confort et éveil.

 

Merci Jean-Christophe (🙃) Thibaud

 

Merci Bertrand

 


Le principe de la Question qui tue et les rĂšgles du jeu sont simples :

1 – L’interview est composĂ©e d’une seule et unique question.

2 – Celui ou celle qui rĂ©pond, doit le faire exclusivement par Ă©crit, via e-mail.

3 – L’interviewĂ© a carte blanche et je n’interviens aucunement sur sa rĂ©ponse.

4 – La rĂ©ponse doit contenir Ă  minima une dizaine de lignes, mais peut faire plusieurs pages et pourquoi pas, devenir le point de dĂ©part d’un prochain livre de l’interviewĂ©.

5 – Toutes les photos, tous les liens hypertextes, toutes les vidĂ©os, sont les bienvenues.

6 – L’interview est publiĂ©e sur le blog de Bertrand Jouvenot et sur Linkedin

7 – L’interviewĂ© fera de son mieux pour rĂ©pondre aux commentaires laissĂ©s sur Linkedin et Twitter notamment.