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La marque est l’âme stratégique de l’entreprise

Placer la marque au cœur de la gouvernance : c’est le plaidoyer que porte Loïk Lherbier dans La marque, levier stratégique (Eyrolles, 2025). En s’appuyant sur 35 ans d’expérience, il défend le Brand Thinking comme méthode de transformation profonde des entreprises.

Bonjour Loïk Lherbier, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Loïk Lherbier : D’abord parce que depuis ma sortie de l’ESSEC, cela fait 35 ans que je travaille dans le domaine de la stratégie des entreprises et que cela pouvait commencer à justifier un petit retour d’expérience. Surtout parce que je continue de constater une dissonance entre les pratiques de gouvernance et les discours marketing.

Le rapport Notat-Senard en 2018 et la loi PACTE ont eu le mérite de mettre un éclairage sur la raison d’être des entreprises et de faire prendre conscience des ressorts d’une politique de marque réussie auprès de toutes les parties prenantes. Mais trop souvent le discours corporate sur la raison d’être et le discours marketing porté par la marque commerciale donnent le sentiment de venir d’émetteurs différents. Je veux reconnecter marque corporate, marque commerciale et marque employeur.

Je défends le Brand Thinking, le « penser marque », comme méthode de gouvernance. La marque est le moteur de la transformation, l’outil d’alignement stratégique, le levier de la performance dans la durée. L’entreprise est un corps froid ; la marque est ce qui l’anime, lui donne un sens, définit son combat, son engagement sur le marché. Comme je le dis en introduction du livre, la marque est l’âme stratégique de l’entreprise.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

L.L. : J’aime bien le passage où je paraphrase Edmond Rostand en disant qu’il n’est de grande marque qu’à l’ombre d’un grand rêve. Lui ne parlait pas de marque, mais d’amour. Je pense fondamentalement qu’une entreprise ne naît pas marque, mais qu’elle le devient quand elle se met au service d’un but qui la dépasse.

La marque est la révélation d’une finalité, d’une vision, qui fait naître un sentiment d’appartenance. Y compris pour les investisseurs qui comprennent alors plus clairement le projet, et donc le potentiel. C’est la marque qui crée du commun. Une marque est une promesse de commun.

Il y a d’ailleurs un autre passage où je dis que l’entreprise s’adresse à l’homo economicus alors que la marque s’adresse à l’homo religiosus au sens étymologique de la création du lien (ligare = lier, religio = relié). L’être humain a besoin de se créer du lien, de sentir qu’il fait partie de quelque chose de plus vaste que lui-même. Nous avons tous besoin de sacré, d’une façon ou d’une autre. Et la marque, à son échelle, doit être pensée dans cette perspective. C’est la marque qui porte la philosophie, le « grand rêve » de l’entreprise.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

L.L. : On est au début de la véritable personnalisation de la relation entre la marque et ses publics. La révolution est en marche. J’analyse dans le livre la marque autour du triptyque « Intention – incarnation – interaction ». C’est le registre de l’interaction, de la relation, qui va être le plus impacté par les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle.

Il va falloir que la plateforme de marque se décline en plateforme de contenus et surtout en plateforme relationnelle, avec un niveau de détail et de profondeur beaucoup plus précis qu’aujourd’hui. Les politiques de CRM telles qu’elles existent à l’heure actuelle sont totalement insatisfaisantes.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

L.L. : J’aimerais fondamentalement convaincre tous les dirigeants d’entreprises que la marque n’est pas seulement un sujet de marketing ou de communication, mais bien la matrice de la gouvernance.

Pour beaucoup de grands patrons, s’intéresser au sujet de la marque signifie quitter la rationalité des enjeux industriels et financiers, censée exclusivement guider la démarche entrepreneuriale, pour entrer dans l’univers à priori moins noble de l’intelligence émotionnelle.

Cette couche émotionnelle, souvent perçue comme secondaire et artificielle par des dirigeants généralement aux profils d’ingénieurs ou de financiers, a cantonné le concept de marque à un simple outil de communication, associé à une recherche de différenciation, voire à une démarche de manipulation.

Or, fondamentalement, la marque oblige à replacer le développement du potentiel de l’entreprise au cœur des préoccupations de la Direction générale. Dans une démarche économique qui s’inscrit dans la durée, la marque est intrinsèquement ce qui anime l’esprit d’une entreprise, avant même la recherche de profit ou de rentabilité. La dimension philosophique précède la dimension économique. Car c’est la marque qui est porteuse du souffle, de la vision, à même de régénérer en permanence l’entreprise et son écosystème, d’assurer une pérennité qu’un simple business plan ne peut pas garantir.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

L.L. : Un projet un peu plus personnel. Je viens d’ouvrir un bureau à Casablanca et j’aimerais accompagner aussi des grandes entreprises marocaines dans la prise de conscience du statut que doit tenir la marque dans les organisations.

On était jusqu’à présent dans une logique, un système de pensée, où le marketing précédait la marque. Il faut maintenant se mettre dans une logique où c’est la marque qui précède le marketing et, plus globalement, l’ensemble des composantes de l’entreprise.

Je conclue mon livre en disant qu’il faut mettre les entreprises en ordre de marque. Si la marque reste bien une balise, un repère, pour le consommateur, elle doit avant tout être une boussole pour le collaborateur ; elle trace le chemin.

La marque n’est pas qu’un porte-voix (avec un x) ; elle est d’abord un porte-voie (avec un e). Et ce changement de paradigme, j’aimerais particulièrement avoir l’occasion de le mettre en œuvre au Maroc. C’est un pays en pleine transformation, où il règne un certain optimisme, une vraie croyance en un avenir meilleur.

Je disais tout à l’heure qu’il n’y a de grande marque qu’à l’ombre d’un grand rêve ; je suis convaincu aussi qu’il n’y a de grand pays qu’à la lumière de grandes marques. Les marques sont des âmes de conquête !

Merci Loïk Lherbier


Merci Bertrand Jouvenot


Le livre : La marque, levier sratégique, Loïk Lherbier, Eyrolles, 2025.