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La crise sociétale et organisationnelle selon Fabrice Gatti

Dans le livre « L’autruche et le curieux », Fabrice Gatti explore les défis sociétaux et organisationnels contemporains. Il aborde la crise actuelle et propose des perspectives alternatives sur les pratiques en entreprise et dans la société. Dans cette interview, il se concentre sur des thèmes tels que la motivation, le talent et la performance.

 

Bonjour Fabrice Gatti, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Fabrice Gatti : Selon moi, nous connaissons une crise sociétale et organisationnelle profonde. De nombreux auteurs reconnus dans des domaines différents (économie, sociologie, psychologie, anthropologie) le montrent. Le monde néo-libéral génère plus de maux qu’il n’apporte de bienfaits que ce soit au niveau

* Économique (renforcement des inégalités, accroissement de la pauvreté…)

* Psychologique (burn-out, crises de sens, suicides…)

* Sociale (fusions, réorganisations successives, licenciement massifs …)

* Écologique (raréfaction des ressources, sur pollution, disparation de la biodiversité).

L’écart entre les valeurs extrinsèques prônées par la Société (pouvoir, richesse, désirabilité sociale, apparence physique) et les besoins fondamentaux d’autonomie, de compétence et de relation des individus n’est plus tenable très longtemps. Dans le monde professionnel, ces pratiques sont non seulement contreproductives mais génèrent également beaucoup de souffrance. Preuve en est, nous n’avons jamais autant parlé de bonheur au travail et dépensé sur le sujet et les individus n’ont jamais été aussi malheureux.

Dans ce moment critique, Il me paraissait nécessaire de proposer une alternative utile, pluridisciplinaire et non dogmatique pour tenter de reféconder les organisations autant que de ressourcer les individus. L’ouvrage traite de la place de l’humain dans les organisations, aborde les thèmes centraux de motivation, de talent, de performance et montre le rôle déterminant du contexte dans toute dynamique individuelle et collective.

L’idée a germé en 2014 alors que je dirigeais une filiale d’un groupe international en Autriche. J’avais subi dans mon passé professionnel des expériences particulièrement douloureuses et à l’inverse expérimenté des configurations beaucoup plus favorables à mon développement. Lorsque j’ai eu « la main » sur la politique d’entreprise, j’ai mis en place de manière intuitive un fonctionnement qui a obtenu des résultats positifs au niveau humain et économique et m’a donné envie de comprendre les conditions favorables à la motivation, la stabilité mentale et la performance.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

F. G. : C’est une question difficile car ce qui se voulait au départ une courte randonnée sur les chemins de la motivation, des talents et de la performance s’est transformée en une expédition beaucoup plus vaste sur le rôle central de l’environnement (société, école, entreprise) pour la réalisation ou non des individus. J’ai choisi un passage en début de 3eme partie qui me semble résumé la vocation de l’ouvrage

« La première partie a investigué le modèle dominant qui régit la société et oriente les modes de fonctionnement des organisations. Comme nous l’avons vu, la recherche permanente de l’efficacité n’est ni adaptée à la réalité du monde moderne, ni favorable à notre nature humaine. L’illusion de la maîtrise par le chiffre et de la croissance permanente se révèle non seulement contradictoire avec l’engagement des salariés mais a entraîné une fragilisation de la plupart des organisations, en affaiblissant leur capacité d’adaptation et leur pérennité mêmes. Au regard de cette contre-productivité récurrente, un ensemble de signes tant positifs que négatifs ouvre la voie pour l’instauration d’un modèle plus équilibré et respectueux des individus et de l’écosystème. La deuxième partie s’est concentrée sur l’individu, en étudiant les notions de motivation, de valeurs et de buts et l’influence d’une configuration (autonomisante vs contrôlante) sur nos comportements, nos choix de vie et notre personnalité profonde. Cette troisième partie dessine un chemin possible pour retisser le fil entre les enjeux des entreprises et les besoins des individus, et ainsi participer – même de manière minime – à reféconder la société. Cette voie n’est ni certaine ni la seule possible, et j’espère avoir pris suffisamment de précautions pour éviter la pente d’une pensée dogmatique, par essence contre- productive. Cette voie proposée se veut autant un principe philosophique qu’une méthodologie concrète.

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

F. G. : La naissance d’un nouveau monde plus complexe que le système néo-libéral actuel qui tourne uniquement autour du profit, de l’efficacité à court terme et de l’individualisme.

Au regard de mes observations, il y a à l’heure actuelle plusieurs signaux tangibles qui montrent l’émergence d’une alternative plus sociale, collaborative et responsable. Cela ne signifie pas forcément la disparition du système actuel, mais comme aux temps de la préhistoire avec la cohabitation Homo Sapiens et Néandertal, nous allons assister, dans la prochaine décennie, à la coexistence (et je l’espère non à l’affrontement) de deux visions du monde totalement opposées.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

F. G. : De penser par lui- même, de s’informer plutôt que d’être informé et d’être acteur de sa vie tout en acceptant l’impermanence des choses. Plus nous renforcerons la connaissance individuelle et collective et sortirons de cet « immobilisme de la pensée » qui favorise un monde standardisé, destructeur et égo centré, plus nous pourrons nous tourner vers la naissance d’un monde plus équilibré, comme ce fut le cas à la sortie de la deuxième guerre mondiale avec la « déclaration de Philadelphie » le 10 mai 1944.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

F. G. : Je suis attiré par de nombreux sujets allant de l’évolution de la société à celui des individus et en particulier les sujets de motivation et de talents que j’ai déjà amorcés dans cet ouvrage. Un projet me tient particulièrement à cœur : créer un observatoire de la connaissance et de l’action pour mettre à disposition des organisations (publiques et privées) qui souhaiteraient sortir du modèle actuel pour construire celui de demain un savoir utile et pratique dans les secteurs du travail, de l’éducation, de la santé. Il y a une connaissance disponible et pluridisciplinaire extraordinaire malheureusement trop souvent ignorée ou écartée. Ce serait fantastique de pouvoir en centraliser une partie dans ce projet humain et d’accompagner cette transformation sur le terrain au niveau intergénérationnel.

 

Merci Fabrice Gatti.

 

Merci Bertrand Jouvenot.

 

Le livre : L’autruche et le curieux, Fabrice Gatti, Enrick, 2023