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La communication d’entreprise sur la corde raide

Dans le livre « Entreprises : et si vous arrêtiez le coup de com ? », Olivier Cimeliere explore les défis et les nécessaires évolutions de la communication d’entreprise. Il plaide en faveur d’un virage impératif vers l’authenticité et la clarté stratégique. Découvrez pourquoi ce changement est crucial pour les entreprises modernes.

Bonjour Olivier Cimelière, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Olivier Cimelière : J’ai le sentiment que la communication d’entreprise est aujourd’hui à la croisée des chemins. Depuis 40 ans elle a grandement évolué et s’est fortement professionnalisée au point d’avoir son siège dans les comités de direction et d’être considérée comme une fonction essentielle et stratégique pour la réputation et la performance de l’entreprise. Pourtant je note que les stratégies de communication consistent de plus en plus à faire des coups de com’ à générer du buzz et à vouloir se faire aimer à tout prix des publics. La réflexion à moyen-long terme s’estompe souvent au profit de l’instantanéité et du rebond pour exister et être visible en permanence. Ce phénomène a particulièrement été prégnant durant la crise sanitaire du Covid-19. Toutes les entreprises voulaient avoir voix au chapitre comme si elles craignaient de ne plus exister aux yeux de leurs publics dont l’attention était très phagocytée par cette pandémie. Chacun bombardait avec ses contenus pour se mettre en avant. Tout était prétexte à communication. J’ai l’impression que la communication corporate commence à avoir les mêmes travers que la communication des politiques qui s’agitent en permanence pour s’attribuer les mérites de tel ou tel projet pour cliver le débat à coups de punchlines pour prendre le dessus médiatiquement parlant. Le risque avec cette approche est d’être dans la superficialité. L’avènement des chaînes d’information continue et des réseaux sociaux a largement amplifié le phénomène. Parfois je me demande s’il ne serait pas plus pertinent de recourir de temps à autre à la fameuse stratégie du silence chère à Jacques Pilhan. Dans cette ère de surabondance informationnelle où l’on communique à tout va une certaine frugalité devrait s’imposer en choisissant des thèmes d’expression où on est vraiment légitime et attendu par les parties prenantes. C’est pour cette raison entre autres que je me suis lancé dans l’écriture de ce livre. Pour essayer de retrouver la bonne focale et tracer les enjeux fondamentaux que les entreprises doivent relever. Pour s’extirper de cette communication diffuse qui finit parfois par ne même plus savoir pourquoi elle communique à part vouloir faire comme (et mieux évidemment !) son concurrent.

Une page de votre livre ou un passage qui vous représente le mieux ?

Olivier Cimelière : Il n’est pas évident de répondre à cette question. Tous les sujets que j’aborde dans les différents chapitres du livre ont leur importance et leur raison d’être. Néanmoins s’il faut choisir un passage je retiens alors le chapitre où je déplore les pratiques délétères qui infestent encore le métier de la communication. Et le numérique a ouvert ou accru des possibilités de tricher désinformer dénigrer ou manipuler comme le tripatouillage de pages Wikipedia le recours aux bots pour donner l’illusion qu’un sujet est en train de grossir sur les réseaux sociaux l’usage de faux-nez pour faire du greenwashing etc. Les techniques ne manquent pas. Or c’est toute l’image de la profession qui s’en trouve ternie. Déjà que nous n’avons pas toujours bonne réputation. On nous soupçonne fréquemment d’être des « spin doctors » qui cherchent à embrouiller ou détourner l’attention de l’opinion publique ou alors séduire abusivement. Idem dans la façon de gérer les relations avec les journalistes. La défiance est souvent le maître-mot de part et d’autre. Il faudrait pourtant admettre qu’un journaliste n’est pas le promoteur d’une entreprise ni son adversaire. Il est là pour informer ses lecteurs ou ses auditeurs. A nous de lui fournir les informations judicieuses et fiables. A lui de remettre en perspective. Peut-être faudrait-il pour la profession de communicant une déontologie plus stricte pour limiter ces effets contre-productifs. Il existe bien de multiples chartes édictées par des associations et syndicats de la profession. Mais elles sont rarement invoquées et n’ont aucun caractère dissuasif pour ceux qui s’adonnent à des pratiques contestables ou qui travaillent pour des secteurs éminemment critiquables.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Olivier Cimelière : Je songe spontanément à deux tendances qui ont déjà émergé mais qui sont appelées à prendre encore plus d’importance : les fake news et l’intelligence artificielle. La plupart des entreprises n’a pas encore totalement pris la mesure de l’enjeu réputationnel que représente la désinformation. Beaucoup de dirigeants estiment encore que celle-ci concerne d’abord les acteurs politiques et géopolitiques et les grands sujets comme le dérèglement climatique les crises sanitaires les conflits armés etc. Pourtant les entreprises leurs marques leurs produits et services sont de plus en plus à la merci d’attaques informationnelles pour divers motifs. Bonduelle a par exemple été accusé sur les réseaux sociaux d’offrir des colis alimentaires aux soldats russes qui ont envahi l’Ukraine et de leur souhaiter une prompte victoire. Plus récemment la marque d’eau en bouteille Cristaline a été mise en cause dans la mort d’un enfant de 3 ans. La marque de sel La Baleine a quant à elle été suspectée de contenir des additifs toxiques. Tous ces exemples sont pourtant des fake news. Or elles se développent avec promptitude et des impacts non-négligeables. D’où l’importance de mettre en place des dispositifs de veille numérique pour préempter ce type de signal faible et le dissoudre avant qu’il ne se répande largement. C’est d’autant plus nécessaire que l’intelligence artificielle décuple les capacités d’une campagne de désinformation. En termes de propagation mais aussi en termes de potentiel de tromperie. En février 2024 grâce à la production de deepfakes ultraréalistes des escrocs sont parvenus à abuser un employé d’une multinationale de Hong-Kong et lui soutirer ainsi 24 millions d’euros à travers plusieurs virements. Le malheureux collaborateur avait été invité à participer à une visioconférence qui regroupait plusieurs de ses collègues dont le directeur financier qui n’étaient en fait que des avatars vidéo redoutablement similaires aux vrais personnages. C’est terrible pour la réputation d’une entreprise auprès de ses parties prenantes. Malheureusement il est fort à parier que ce type de malversation informationnelle se reproduira encore et encore. Un scénario plausible serait par exemple la diffusion d’une vidéo où un grand patron annonce un changement radical et brutal de la stratégie de l’entreprise. La voix et les mimiques du visage sont aujourd’hui très bien reproduites et crédibles avec l’IA. Il en faut alors peu pour que cette manipulation soit essaimée partout et déstabilise l’entreprise visée.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article quel serait-il ?

Olivier Cimelière : Le public de mon livre vise essentiellement les communicants et les dirigeants d’entreprise. J’ai donc envie de leur dire de cultiver leur curiosité et leur agilité d’esprit pour comprendre les contextes relier les points recouper identifier les risques comme les opportunités hiérarchiser les priorités définir et amender les stratégies de communication et ensuite déployer les actions et les outils idoines. Le métier de communicant ne doit pas uniquement se résumer à une boîte à outils qu’on dégaine en toutes circonstances. Un bon communicant est celui qui sait renifler l’air du temps et traduire ce que cela signifie pour l’entreprise en matière de réputation et d’information.

En un mot quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Olivier Cimelière : Ceux que je ne connais pas encore ! Ma curiosité est mon moteur. Ceci dit je vais plus que jamais continuer à suivre les évolutions de l’intelligence artificielle sur la pratique de la communication. Nous n’en sommes qu’aux prémisses et les lignes vont encore très substantiellement bouger. De même pour les mécaniques de la désinformation qui malheureusement se sophistiquent à tel point que tout est nivelé. Le faux passe facilement pour du vrai et inversement. Pour le discours et le positionnement des entreprises cela va représenter un enjeu majeur. Il va falloir repérer déminer et traiter de façon adéquate pour juguler les effets des attaques réputationnelles. Ce qui se passe aujourd’hui avec les ingérences russes et chinoises pour semer la confusion dans les démocraties occidentales va se dupliquer pour le monde des affaires.

Merci Olivier Cimeliere

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : Entreprises : et si vous arrêtiez le coup de com ?, Olivier Cimeliere, Eyrolles, 2024.