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Ils ont traduit. Ils ont appris… à ne plus sous-estimer l’impact de l’IA sur la médecine

Le traducteur d’un livre entretient nécessairement une relation particulière avec son auteur et finit par connaître son œuvre mieux que quiconque. C’est pourquoi nous interviewons régulièrement ces hommes et ces femmes de l’ombre afin qu’ils partagent avec nous leur compréhension intime des meilleurs ouvrages. Dans le cadre de notre série « Ils ont traduit. Ils ont appris… », voici donc l’interview d’Emmanuelle Monnet-Lehuede, traductrice de IA & Médecine – La Révolution (Pearson).

 

Bonjour Emmanuelle Monnet-Lehuede, quelles réflexions vous a inspiré ce travail de traduction ?

 

Emmanuelle Monnet-Lehuede : J’avais bien sûr entendu parler de l’intelligence artificielle avant d’ouvrir ce livre pour la première fois. Même si l’on ne soupçonne pas toujours à quel point elle est présente dans notre quotidien numérique, comment passer à côté de la couverture médiatique qui a accompagné l’arrivée de ChatGPT ?

Je savais qu’elle faisait son chemin dans le domaine de la traduction également. Mais je n’avais pas pris le temps de creuser pour en connaître les rouages. Je pense d’ailleurs que cela m’a permis d’aborder le contenu tout comme le fait le lecteur néophyte. Ce livre s’adresse en effet aussi bien au corps médical expert qu’à l’individu lambda qui s’intéresse à cette technologie et qui souhaite découvrir ce qu’elle peut apporter, dans une actualité qui traduit une véritable crise en matière de soins et de prise en charge.

Les trois co-auteurs mettent en lumière tout le potentiel de l’intelligence artificielle appliquée à la médecine, qu’il s’agisse d’établir des diagnostics complexes grâce aux nombreuses données dont elle dispose, d’assister les professionnels dans leurs tâches administratives ou encore de répondre aux questions des patients pour qui l’accès aux soins est un véritable parcours du combattant. Mais ils poussent aussi à réfléchir aux limites de cette technologie (elles-mêmes soulignées par GPT-4 dans notre cas), aux préjugés qu’elle peut véhiculer, aux discriminations qu’elle peut reproduire.

On se demande alors quels garde-fous il conviendrait de mettre en place pour éviter les dérives et ne pas creuser plus encore les inégalités. On se demande aussi s’il n’est pas trop tard, s’il n’aurait pas fallu s’en préoccuper avant que les grands modèles de langage tels que ChatGPT et autres ne soient mis à la disposition du grand public.

 

Qu’aimeriez-vous nous apprendre des auteurs ?

 

Emmanuelle Monnet-Lehuede : Ce livre est le fruit du travail de trois auteurs et autrice : Peter Lee, Isaac Kohane et Carey Goldberg. Chacun est spécialiste dans son domaine et offre un angle de réflexion différent.

Je ne les connais pas personnellement, mais je les ai quelque peu découverts à travers cet ouvrage.

Peter Lee est issu de la sphère informatique, côté recherche et développement. Il s’est intéressé à l’application de l’IA à la médecine dans un second temps. Il explique ce qu’est GPT-4, comment il fonctionne, ce dont il est capable pour faciliter la prise en charge médicale pour le patient comme pour le professionnel de santé.

Isaac Kohane, lui, est plutôt parti de l’univers médical, qu’il a ensuite couplé à la technologie. Il place l’accent sur les patients, la fiabilité clinique de GPT-4 et son rôle dans les avancées de la recherche.

Carey Goldberg a quant à elle un bagage journalistique. Spécialiste des sujets scientifiques, elle apporte un regard plus sociétal sur l’intelligence artificielle et ses applications. Elle se place du côté du patient en tant qu’individu dans un monde inégalitaire.

 

Qu’imaginiez-vous trouver dans ce livre en l’ouvrant pour la première fois ?

 

Emmanuelle Monnet-Lehuede : Lorsque j’ai découvert le titre et les auteurs, j’ai imaginé un livre très technique, potentiellement peu digeste pour les non-initiés.

J’ai toujours été fascinée par l’univers médical, ses découvertes qui sauvent des vies, sa terminologie si précise. J’avais donc hâte de m’y plonger et découvrir quelle aide précieuse l’intelligence artificielle allait pouvoir apporter. Mais je redoutais la façon dont serait traitée la partie sur son fonctionnement. C’est en effet un univers plutôt abstrait pour les non spécialistes, à l’image des mathématiques pour un esprit littéraire (même si bien sûr, l’un n’empêche pas l’autre).

À la lecture des différents chapitres, j’ai pu constater que les auteurs s’étaient attachés à structurer leur travail de sorte que tous puissent en comprendre le contenu. Les exemples sont très concrets et leur analyse très claire.

 

Qu’aviez-vous appris en définitive lorsque vous avez écrit le mot « FIN » de cette traduction ?

 

Emmanuelle Monnet-Lehuede : À l’heure de faire le point sur cette traduction, je réalise combien j’avais sous-estimé le potentiel de l’intelligence artificielle dans ses diverses applications, qu’elles soient destinées à servir le corps médical (recherche, aide au diagnostic, gain de temps administratif, relation plus humaine avec les patients) ou les patients (interrogations, accès aux soins, etc.). Ce que cette technologie peut apporter à la médecine est précieux, mais il faut apprendre à l’utiliser et à la surveiller.

Ce livre m’a fait prendre la mesure des risques qui accompagnent l’intelligence artificielle, notamment en termes de préjugés et de discrimination. En science (comme dans la traduction d’ailleurs), si elle entend apporter une aide et permettre l’automatisation des tâches, elle n’a pas vocation à remplacer l’humain et doit rester un outil, un assistant.

 

Merci  Emmanuelle Monnet-Lehuede

Merci Bertrand Jouvenot

 


Le livre : IA & Médecine – La RévolutionSébastien Bubeck, Carey Goldberg, Isaac Kohane, Pearson, 2023. Traduction de Emmanuelle Monnet-Lehuede