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Il faut prendre le flambeau du marketing BtoB

Le marketing BtoB concerne plus d’un tiers des entreprises mais est encore très sous-représenté dans la recherche et dans l’enseignement marketing. Il pourrait bien ne plus faire figure de parent pauvre grâce au livre Le Marketing B to B de Marc Diviné, son ambassadeur en France. Interview d’un auteur aux arguments béton.

 

 

Bonjour Marc Diviné, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Marc Diviné : Ce livre répond à un impératif. Le marketing BtoB, celui des produits et services vendus aux organisations, concerne plus du tiers des entreprises, et pourtant il est très peu enseigné. Les écoles de commerce sont rares à offrir une spécialité B2B. Les écoles d’ingénieurs, pourtant un vivier pour ce métier, l’ignorent. Quelques universités, le CNAM, Lyon 3, proposent un Master BtoB. La recherche représente moins de dix pour cent des publications en marketing. Il y a peu d’ouvrages en français, moins que les doigts d’une main, et un peu plus en anglais, mais ce sont souvent d’épaisses sommes inadaptées aux praticiens ou aux étudiants. Sur le terrain, les entreprises utilisent peu d’outils efficaces pour leurs études, la définition d’une stratégie ou la déclinaison d’opérations. Ils sont pourtant nombreux à leur disposition. Les dirigeants reposent sur leur intuition, l’apport de consultants, de leurs agences de communication ou les contacts entre pairs. Trop d’activités marketing BtoB se limitent à entretenir un site web passif visible des clients et la production d’un PowerPoint aux lancements de produits destinés aux commerciaux avec des budgets microscopiques.

Pourquoi cette rareté ? Le marketing BtoB est complexe, il est plus facile d’interviewer un consommateur et d’analyser ses conversations sur Facebook que d’interroger des acheteurs BtoB durant leur temps de travail. Les produits et services sont plus techniques, plus personnalisés, et extrêmement variables selon les secteurs. Quoi de commun entre un moteur d’avion et un service de salon professionnel online ? La vente, fondée sur la persuasion de plusieurs personnes et la négociation, requiert des techniques et des outils. Pourtant, la colonne vertébrale de concepts marketing disponibles – modèles de filière, business modèles, fleur des services, personas, modèles de distribution, parcours clients, etc.- aide à déterminer les gammes et manœuvrer vers le succès les mises sur le marché. Les activités marketing sont nombreuses, très qualitatives et passionnantes.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

M.D. : Le livre regorge de témoignages concrets d’application des concepts sur le terrain, de grandes entreprises comme Microsoft, Safran, Orange, jusqu’à des TPE efficaces de quatre personnes comme CIPE. Je vous livre ici celui d’une responsable chez un industriel qui décrit son parcours client. On y constate l’abondance de médias exploités vers un grand nombre de contacts chez le client pour concrétiser une affaire.

 

Etude de cas le parcours client des grands comptes de Dextra

L’entreprise franco-thaïlandaise Dextra produit des solutions de connexion des barres d’acier immergées dans le béton destinées aux chantiers de très haute sécurité tels que les centrales nucléaires. Avec 900 employés, elle réalise un C. A. de 100 M€ exclusivement auprès de sociétés de construction de taille mondiale. Izabella Koryakina, Project Manager Business Developper, a modélisé le parcours d’un client typique.

 

 

« Comme on peut le voir, nous orchestrons des relations avec de nombreux interlocuteurs à chaque étape, et nous n’hésitons pas à nous déplacer sur les chantiers où se créent les liens. Le challenge est fortement multiculturel et structurel, du point de vue des métiers, des organisations et des pays avec qui nous sommes en contact. Dans la matinée, je peux communiquer avec un gestionnaire sibérien, un ingénieur thaïlandais, un français chef de projet, et un distributeur moscovite. »

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

M.D. : Certaines tendances viennent du client, d’autres s’appliquent au marketing. Toutes s’appuient sur les nouvelles technologies d’intelligence artificielle, d’internet des objets, de big data, etc. Concernant le client, il doit faire face à la fois à la surinformation et la désinformation. Il cherche des moyens d’alléger ses recherches, ses négociations, la contractualisation des accords et l’intégration des solutions achetées aux processus de son entreprise. Les places de marché, l’usage des enchères, l’appel à des mandataires, l’achat via d’EDI – un protocole entre professionnels- voilà parmi des pratiques qui se développent. Côté marketing, de nombreuses techniques se généraliseront, basées sur des outils digitaux. Citons les plateformes de génération de campagnes (marketing automation platform), l’ABM (account-based marketing), outil de management des relations au niveau du centre d’achat de l’entreprise cliente et connecté à LinkedIn, les plateformes programmatiques qui choisissent les médias et publient les messages à l’aide d’enchères en temps réel. Plus basiquement, les webinars, les chatbots, les forums d’experts se banalisent et modifient les relations avec les professionnels.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

M.D. : Il faut prendre le flambeau du marketing BtoB. Construire une articulation marketing fine et cohérente de la stratégie au parcours client est très efficace et apporte beaucoup de satisfaction aux clients, aux commerciaux et à la direction générale. L’ouvrage décrit la logique des 18 décisions marketing avec les choix à faire. Chacune est importante et liée aux autres, qu’elle soit en amont pour établir une roadmap de segments, ou en aval pour définir les données du CRM. Le livre contient aussi un large panel de types d’études pour valider ses choix. Mon conseil : Venez vivre cette expérience fantastique en développement permanent.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

M.D. : Quatre sujets me sautent aux yeux :

Il faudra observer les nouveaux processus d’achat en BtoB. Encore souvent « face-à-face » présentiel ou en webinar, il a évolué vers le « technique », incluant des contrôles sur les fournisseurs, des mesures de réactivité, des tests de produits avec des guides d’achat élaborés. Apparaissent maintenant le « collaboratif » qui s’appuie sur les avis des pairs dans les réseaux sociaux, et le « place de marché » où l’acheteur dépose son appel d’offres, délègue la recherche de fournisseur et en partie la négociation à des plateformes.

Deuxième sujet, l’internet des objets est certainement une opportunité marketing formidable à l’avenir, pour observer les usages à partir des données issues des produits et faire de nouvelles propositions de valeur.

Troisième point, l’évolution des médias sociaux et leurs usages vont également transformer le marketing BtoB. Par exemple il sera possible de conserver la trace des acheteurs, des décisionnaires ou des utilisateurs de produits et services, même s’ils changent d’employeur, et d’entretenir leur fidélité.

Enfin, le défi de la responsabilité sociale et environnementale : il faut sauver le soldat BtoB. L’image actuelle des entreprises BtoB est inexistante, voire négative, lorsque soudain les journaux évoquent une pollution industrielle, la corruption lors de grands contrats, ou le greenwashing. J’ai à ce sujet proposé une charte d’éthique à l’Association Française de Marketing, présente dans le livre et que tous mes étudiants connaissent. Décarboner les produits et services, humaniser la fréquences des messages, rendre transparentes les relations commerciales du « face-à-face » vers le « côte-à-côte », la tâche est immense.

Merci Marc Diviné

 

Merci Bertrand


Le livre : Marketing B to B – De la stratégie au parcours client, Marc Diviné, Vuibert, 2020.