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Halte aux faiseurs d’histoires à sensations, place aux penseurs de récits puissants capables de transcender une marque

À une ère où le contenu est roi et où l’identité d’une marque fait foi, il est plus que jamais indispensable de maîtriser les ressorts du storytelling. Dans « Le pouvoir du storytelling », Camille Gillet nous plonge dans la compréhension du récit appliqué en marketing. Deviendrez-vous des penseurs de récits puissants capables de transcender une marque ?

 

Bonjour Camille Gillet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Camille Gillet : Nous assistons depuis quelque temps à un véritable engouement en France autour du storytelling et je lis beaucoup de mysticisme à ce sujet. Cela serait une technique révolutionnaire, un pouvoir béni des dieux, etc. Alors qu’il s’agit avant tout d’adapter le récit au marketing, sous toutes les formes possibles. Et l’objectif derrière le livre n’était pas de vendre une quelconque capacité à convaincre plus fortement que le voisin, mais une réelle capacité à comprendre la nature même du storytelling et à pouvoir le reconnaître. C’est une démarche très “Promothée-enne” dans laquelle je m’inscris depuis longtemps au travers de mes autres contenus. Je voulais faire ce livre, parce que je souhaite que les gens comprennent vraiment ce qui est utilisé depuis des siècles dans tous les domaines de leur vie (politique, publicité, relations humaines…) et qui, même si cela reste un domaine fascinant, est pourtant fondamentalement simple et humain. L’objectif est de donner des clés de compréhension, transmettre un spirit global autour de cette matière à toutes les personnes qui souhaitent soit en faire leur métier, soit l’utiliser, soit simplement pouvoir apprendre à vivre dans une société transcendée depuis toujours par le récit.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

C.G. : Issus simplement de l’avant-propos, ces quelques mots renseignent sur mon approche narrative au monde. Que cela soit au travers du récit (des histoires purement artistiques) ou du storytelling (des histoires pour vendre) :

“Apprendre le storytelling est un voyage extraordinaire, semé d’épreuves. Une quête passionnante faite d’enthousiasme et de doutes, d’erreurs et de grâce créative. La quête constante d’une meilleure compréhension des récits est passionnante. Elle requiert aussi bien de la curiosité que de la résilience, de la patience et une grande capacité d’observation.

Car l’essence même du storytelling, ainsi que du récit, est l’humain : ses désirs, ses émotions, ses craintes, ses rêves… Les récits sont des transpositions narratives de nos pensées enfouies. Pour les capter, il faut rester continuellement à l’écoute. Pour apprendre à les percevoir, les reconnaître et les transmettre, il faut les analyser. Apprendre le storytelling, c’est accepter l’impossibilité de le maîtriser totalement. C’est accepter le dépassement continuel de soi. C’est accepter que le voyage n’a pas de fin. Car les récits sont infinis.”

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

C.G. : Je ne crois pas aux tendances qui émergent. J’entends par là que ce ne sont jamais des concepts novateurs, seulement des réactions à un ordre établi. En tout cas, bien souvent, il s’agit de réagir en opposition à ce qui existe déjà. Toute la tendance du slow content, par exemple, est une réaction pure à l’infobésité. Et le storytelling (qui est pourtant vendu comme une nouvelle tendance en France) n’échappe pas à cette règle. La surabondance des grandes envolées émotionnelles autour des récits dramatiques des entrepreneurs est en train de lasser. Il y a désormais un frémissement, léger, autour de l’idée que le storytelling serait bien plus que raconter des histoires pseudo-inspirantes pour faire du like sur LinkedIn. C’est une ligne que je défends farouchement depuis deux ans, notamment dans mon podcast, en cherchant à démontrer qu’il s’agit d’une matière qui intervient partout. Je fais donc partie des personnes qui nourrissent cette tendance et qui continuera à suivre cette ligne, car elle est la voie même que j’ai choisi en storytelling… mais la hype retombera lorsque ça sera devenue une voie dominante et qu’il faudra s’inventer d’autres nouveautés pour sortir du lot. Et alors, une autre tendance prendra le relai, sans nécessairement que je la suive pour autant.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

C.G. : De s’interroger. Toujours. Je vois beaucoup trop de gens autour de moi, y compris des experts du marketing, qui oublient qu’une des questions les plus fondamentales pour la race humaine est “pourquoi”. Pourquoi ce contenu existe ? Pourquoi on me raconte cette histoire ? Pourquoi on choisit cette musique ? Pourquoi ce packaging ? Ce qui induit une certaine passivité face à la quantité de récits publicitaires (du storytelling, donc) dont on est bombardé. Et la meilleure façon de reprendre du pouvoir et une pleine conscience dans une société de surconsommation et aussi frénétique que la nôtre est encore de prendre le temps de s’arrêter et de s’interroger. C’est ainsi qu’on réapprend à comprendre ce qui nous entoure et les mécanismes d’influences et de narration qui sous-tendent la société. Et c’est aussi de cette façon qu’on s’en libère, voire qu’on s’en amuse.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

C.G. : J’ai envie de m’intéresser à la question de la figure héroïque et de son utilisation au sein du marketing et de la politique. De creuser le narratif du héros, de la souffrance et des épreuves initiatiques. J’ai aussi l’ambition de créer un ouvrage qui permette de mieux appréhender les questions narratives souvent très profondes proposées par la pop culture (jeux vidéo, comics, cinéma, jeux de rôles) et qui sont encore trop sous-estimées. Ces interrogations constantes sont pour moi un quotidien que je souhaite de plus en plus partager avec d’autres personnes pour amener à des réflexions toujours plus nourries et passionnantes.

 

Merci Camille Gillet

 

Merci Bertrand Jouvenot

 

Le libre : Le pouvoir du storytelling: Maîtriser le récit d’une marque, Camille Gillet, Eyrolles, 2023.