jouvenot.com

Etes-vous victimes du syndrome du wonderparent ?

La société demande aux parents l’impossible : être à la fois un parent très présent pour ses enfants et un professionnel ambitieux et investi ! Alors les parents craquent – et en premier lieu les mères qui supportent encore la majeure partie de la charge domestique et familiale. En attendant que les pouvoirs publics s’emparent du problème, l’enjeu est de sortir du syndrome du wonderparent. Anne Peymirat nous explique comment dans son livre Le Syndrome du Wonderparent. Interview

 

Bonjour Anne Peymirat, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Anne Peymirat : J’ai ressenti le besoin d’alléger le poids qui pèse sur les parents actifs que j’accompagne au quotidien. Ils supportent une pression énorme, sont persuadés qu’ils devraient en faire plus, mieux s’organiser, devenir plus efficaces et productifs, être plus attentifs à leurs enfants, et… culpabilisent de ne pas y arriver.

Comment pourraient-ils y réussir ? La double injonction qui pèse sur leurs épaules est devenue intenable : la société exige d’être un parent parfait, présent à ses enfants, tout en ne cédant rien au travail selon un modèle carriériste sans enfant qui perdure.

L’évolution des droits des femmes suivie de leur entrée dans le monde du travail visible et rémunéré a créé un vide dans la sphère domestique et familiale. Et rien n’a été fait pour prendre en compte la nouvelle donne où les deux parents travaillent et ne peuvent s’occuper des enfants. L’impensé sociétal est complet, créant culpabilité, stress, course permanente voire dépression et burn-out. Les parents d’aujourd’hui en sont réduits au bricolage pour essayer de tout faire rentrer dans leurs journées surchargées.

Il est donc temps d’inverser les choses : ce n’est pas du côté de l’individu qu’il faut chercher, mais de la société qui impose ces standards insupportables. La culpabilité est aujourd’hui individuelle, on se sent nul de ne pas réussir à tout faire. Il faut remettre les choses à l’endroit et enlever ce carcan systémique qui enferment les parents actifs dans la culpabilité.

Personnellement, j’avais muri ce sujet aux multiples facettes : j’ai 15 ans d’expérience avec des milliers de parents que j’ai accompagnés et avec lesquels j’ai pu développer une approche et éprouver mes conseils. J’ai moi-même vécu la double injonction en étant maman de 4 enfants et travaillant d’abord en entreprise chez Accenture puis en tant qu’indépendante lorsque j’ai créé mon cabinet. Ecrire un ouvrage sur le sujet m’est apparu comme une évidence. Tout ce que je propose dans le livre s’appuie sur des expériences vécues, du concret et des retours positifs de parents me disant le bien-être que cela leur apporte.

Une page ou un passage qui vous représente le mieux

A. P. : Je vous propose comme extrait du livre le chapitre sur le mythe du wonderparent. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai mis des mots sur un ressenti largement partagé. Les réactions des parents sont unanimes : cela résonne en eux.

Extrait de l’ouvrage :

Le mythe du wonderparent
Le parent subit la double pression : d’un côté les attentes sociétales du parent parfait, et de l’autre, les attentes du professionnel performant. Ce qui rend sa position encore plus intenable, c’est que tout va dans le sens du « c’est possible ».
Si je veux je peux : les méfaits du développement personnel
L’idéologie du développement personnel, de la réussite personnelle et professionnelle, pousse à se dépasser et fait peser la totalité des difficultés rencontrées sur un manque de volonté́ ou de méthode de l’individu. Alors que le problème, on l’a vu, est aussi collectif, sociétal. L’injonction à être par- fait(e) quotidiennement conduit à l’épuisement et à la confrontation à un sentiment d’échec permanent. On n’est pas là où on pense que l’on pourrait être, sur le plan personnel comme professionnel. On pense que l’on pourrait beaucoup mieux faire, qu’il faut encore mieux s’organiser et être encore plus efficace. La capacité à « réussir » – sa vie pro- fessionnelle comme familiale – ne semble qu’une affaire individuelle : à aucun moment on pense à se reposer sur le collectif. On est sommés de réussir. C’est la chronique d’un échec annoncé : tous les parents actifs sont victimes du syndrome du wonderparent.
(…)

La wonderpression
La pression sociétale qui pèse sur les parents est forte. Elle bannit la réflexion, impose des diktats qui n’acceptent pas la discussion et empêche de trouver sa voie.
Une jeune maman nous racontait la pression qu’elle avait subie lorsqu’elle était partie en vacances sans son bébé. Son entourage et même des collègues lui ont dit qu’elle était « folle » de laisser son fils pendant deux semaines. Elle a entendu des affirmations telles que « Huit mois, c’est le plus mauvais moment pour laisser son enfant et partir quelques jours en vacances sans lui ! » Elle l’a pourtant fait, en confiant son enfant à ses parents et cela n’a posé de problèmes majeurs. Son fils était content de retrouver ses parents et eux étaient reposés.
Prendre du recul, prendre conscience des injonctions, permet de mieux décider ce qu’il faut pour son enfant, pour son conjoint, pour soi.
Il est urgent d’arrêter de travailler comme si on n’avait pas d’enfant et d’élever nos enfants comme si on n’avait pas de travail. On propose d’en faire un projet de société, de faire advenir la mue sociétale nécessaire, sortir du combat individuel pour entrer dans un combat collectif. C’est ce que nous verrons en quatrième partie, qu’est-ce qu’il reste à faire pour parachever la transformation sociétale pour les parents actifs. En attendant, il y a urgence pour le bien-être des parents tout d’abord et pour celui des enfants. Mais on n’a d’autre choix que de bidouiller pour survivre à la double vie professionnelle et familiale. »
©Editions Payot et Rivages, Paris 2022

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

A. P. : On peut constater par petites touches une tendance vers une meilleure prise en compte de la parentalité à différents moments de la vie, du désir d’enfant (parcours de PMA, fausse couche…) aux parents d’adolescents en difficulté ou de parents avec des enfants porteurs de handicap, en passant bien-sûr par le moment charnière de l’arrivée de l’enfant.

KPMG offre par exemple aux jeunes parents pendant 6 mois un 80% rémunéré à 100%, ou encore Kering propose le Baby Leave de 14 semaines à tous leurs pères ou co-parents. Accenture, Avanade, U Enseigne,… offrent des ateliers, conférences et accompagnements individuels qui aident les parents à sortir de leur isolement, à trouver des solutions qui leur conviennent.

Ce ne sont plus des sujets tabous.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

A. P. : Il faut prendre en compte la parentalité de manière collective. Le sujet est sociétal et doit être abordé de manière globale par tous les acteurs impliqués : les pouvoirs publics, les syndicats, les entreprises et les parents, chacun à son niveau. Lisez le livre et agissez !

En un mot, quels seront les prochains sujets qui vous passionneront ?

A. P. : Je souhaite que la parentalité devienne un vrai sujet, à part entière, et qu’il soit abordé comme il doit l’être : sérieusement. On ne peut plus bricoler.
Notamment, j’œuvrerai pour que les formations à la parentalité soit prises en compte dans le compte personnel de formation (CPF) pour que les parents puissent plus facilement y avoir accès.

Merci Anne Peymirat

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : Le Syndrome du Wonderparent: Travailler comme si on n’avait pas d’enfants et élever nos enfants comme si on n’avait pas de travail, Anne Peymirat, Payot et Rivages, Paris 2022