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Construire et mettre en œuvre les cartes heuristiques

Extrait du livre  Organisez vos idées avec le Mind MappingFrédéric Le BihanJean-Luc DeladrièrePierre MonginDenis Rebaud, Dunod, 2019 . Retrouvez l’interview des auteurs ici.


Les matériaux nécessaires à la construction
d’une carte heuristique

a carte heuristique est souvent considérée, par analogie, comme l’expression graphique du fonctionnement de notre cerveau.

En effet, l’arborescence organique d’une carte heuristique présente dans son architecture des similitudes avec le cheminement de la pensée, fondé lui-même sur un réseau de liens, conducteur d’informations.

C’est sans doute cela qui a valu à cet outil d’être considéré comme « bio-compatible » par ses utilisateurs.

Afin que cette « bio-compatibilité » puisse être efficiente et optimale, il convient d’observer des règles pratiques lors de la construction de la carte heuristique.

Nous allons évoquer ces règles, puis nous vous inviterons à les mettre en œuvre.

Le support papier

Avons-nous déjà vu des écrans de cinéma plus hauts que larges ? Ils n’ont, en tout cas, pas beaucoup de succès.

Si nous souhaitons élargir notre champ de vision, nous choisirons le format panoramique (dit « à l’italienne » ou « paysage ») car plus adapté à notre anatomie. En effet, nos deux yeux ne sont pas l’un sur l’autre, mais bien l’un à côté de l’autre, C.Q.F.D.

En pratique :

  • Nous utilisons la feuille de papier en format paysage ;
  • Nous utilisons un papier vierge de lignes et de carreaux pour ne pas être influencé par une structure contraignante.

Le cœur de la carte

Ne dit-on pas « notre centre d’intérêt, le cœur du sujet, l’axe de nos préoccupations… » ? Notre système visuel lui-même, la rétine en particulier, repose sur le principe d’une vision centrale, la fovéa, et d’une vision périphérique. Ce système nous permet d’examiner à la fois avec précision tout en observant l’espace environnant.

De la même façon, sur un plan psychologique, l’enfant considère sa mère comme le centre du monde, elle représente ainsi sa base de développement. Plus tard, il changera de centre… C’est la même chose pour la carte heuristique, son cœur désigné arbitrairement est temporaire. Il ne vaut que par son utilité dans l’immédiat et par rapport à l’objectif que s’est fixé son concepteur. Il n’en demeure pas moins important, bien au contraire. Le cœur de la carte initie le processus créatif de la ramification. Ne pas prendre le temps de le concevoir et de l’élaborer, c’est partir en voiture sans savoir où l’on va, avec un réservoir presque vide.

En pratique :

  • Nous mettons le sujet bien au centre, ce qui nous permet de disposer d’un espace à 360˚ pour faire rayonner nos idées ou informations ;
  • Nous utilisons au moins trois couleurs et lui donnons une dimension de l’ordre de 5cm x 5cm pour du format A4 ;
  • Parce que le cœur doit nous permettre de nous projeter nous ne l’enfermons pas dans un carré ou un rectangle. Tout au plus, nous dessinerons une forme vaporeuse comme un nuage.
  • Si le cœur représente un objectif, alors sa forme s’adressera à la partie droite de notre cerveau, sensible à l’image, la couleur, la métaphore …
  • Il sera formulé à la forme affirmative. Préférer par exemple « maintenir le nombre de nos clients » à « ne pas perdre de clients », car notre hémisphère droit ne comprend pas la négation. Pouvez-vous ne pas imaginer la couleur rouge ? Formulé ainsi, c’est impossible.

Les branches

Les branches sont l’expression d’un flux, qui s’exprime par une cascade de ramifications. Nous avons donc affaire à une structure de connexions fluide et plastique. La proximité avec le centre induit une hiérarchie rayonnante au service d’une approche plus globalisante que séquentielle.

En pratique :

  • Nos branches ont un aspect organique, c’est-à-dire emprunté aux formes de la nature. Elles sont courbes et oblongues ;
  • Nous leur donnons une longueur identique à celle du mot qu’elle supporte, afin qu’à la lecture, un espace ne vienne pas perturber le sens donné à leur liaison ;
  • Nous les répartissons harmonieusement dans l’espace, afin d’obtenir une structure claire et agréable à regarder.
  • Nous appellerons par la suite branche principale ou branche de premier niveau une branche qui part du cœur de la carte. Nous appellerons branches secondaires ou branches de niveau n les branches rattachées à d’autres branches, le nombre n désignant ainsi la « profondeur » de celles-ci.

Les mots-clés

Les linguistes utilisent le terme « graphème » pour désigner les lettres de l’alphabet. Les mots sont en effet des signes qui, comme les images, portent de l’information. Cependant, la lecture des mots réclame de façon préférentielle les ressources de l’hémisphère cérébral gauche, plus analytique et précis, soucieux du détail et du respect des règles.

Les mots peuvent toutefois être traités également comme des images suivant la façon dont on les représente. Nous employons le terme « mots-clés » car ces derniers ont pour vocation d’ouvrir vers d’autres mots ou images, en d’autres termes de sortir de certaines impasses dans lesquelles nous nous sommes enfermés. On peut considérer les mots-clés utilisés dans une carte comme des indices qui révèlent de l’information, comme ceux utilisés par Sherlock Holmes, qui à partir d’une observation, d’un objet, va tisser une toile faite de liens aboutissant à une certitude ou pour le moins à une hypothèse probable.

En pratique :

  • Nous choisissons les mots-clés pour leur capacité à évoquer l’information utile ;
  • Nous écrivons très lisiblement les mots-clés sur les branches afin qu’ils puissent être compris rapidement d’un simple regard, car une carte se scanne plus qu’elle ne se lit ;
  • Nous nous appliquons à ne mettre qu’un mot-clé par branche, afin de ne pas nous enfermer dans des phrases, souvent définitives.
  • Il se peut qu’un mot-clé soit une expression regroupant plusieurs mots (« gestion de projet », « point de rupture »…). L’important, c’est de n’exprimer qu’une seule idée ou concept à la fois.

Les images

« Une image vaut mieux que mille mots ». Nous pourrions dire également qu’une image peut évoquer plus de mille mots. L’image stimule l’hémisphère cérébral droit qui gère l’émotion, l’imagination, la globalité, l’analogie… C’est un support qui nous amène rapidement à l’essentiel de ce qu’il faut saisir. Notre société en fait un usage fréquent, notamment dans la presse où le dessin nous permet de comprendre une situation politique ou économique complexe, ou bien au niveau de la signalétique pour nous faire comprendre de ne pas utiliser de téléphone portable dans certains endroits, tempérant ainsi l’agressivité d’une interdiction écrite en toutes lettres.

On peut imaginer qu’une image dans une carte heuristique a la même fonction qu’une icône sur le bureau d’un ordinateur. L’icône ne contient pas le fichier, mais le fait de cliquer dessus permet de l’ouvrir. En regardant l’image, nous opérons un « clic » qui ouvre le fichier contenu dans notre disque dur : nos souvenirs dans notre cerveau.

En pratique :

  • Nous choisissons des images simples mais évocatrices. Peu importe notre talent de dessinateur, l’image n’a pas d’autre vocation que d’évoquer les informations auxquelles elle doit nous relier ;
  • Nos images peuvent représenter un concept, par exemple la mémoire ou une chose matérielle. Le contexte conditionne et renforce le sens que nous souhaitons lui donner. Si nous dessinons une tête d’éléphant, elle pourra représenter le concept de mémoire (d’après l’expression « avoir une mémoire d’éléphant ») ou l’animal lui-même ;
  • Pour renforcer l’impact de nos images, nous employons de la couleur et des effets d’ombre et de relief.

 

Pour plus d’information, nous vous renvoyons au nouveau chapitre de ce livre  consacré à la création des pictogrammes.

La couleur

La couleur est capable de rendre homogène une partie de la carte et en même temps de mettre en exergue une information en particulier. Son emploi peut servir à établir une hiérarchie et des liens transversaux et ses propriétés favorisent la lisibilité ainsi que la mémorisation. La couleur stimule les sens et participe au plaisir de l’élaboration et de l’utilisation d’une carte.

En pratique :

  • Nous réservons de préférence une couleur différente pour chaque branche principale ;
  • Nous utilisons une couleur en particulier pour mettre en évidence un type d’information, par exemple le rouge pour les informations chiffrées ou les urgences… ;
  • Nous pouvons donner une signification à chacune des couleurs utilisées, qui peut être différente suivant les cartes.

Le style

Si chacun de nous possède un style d’écriture, c’est encore plus vrai pour les cartes heuristiques, compte tenu de la multiplicité des matériaux employés. Les lettres, les dessins, la forme des branches, les préférences de couleur, le matériel utilisé, tout cela participe à l’expression de notre style personnel. L’efficience d’une carte heuristique dépend également du plaisir que nous avons à la regarder.

En pratique :

  • Nous utilisons l’émotion (humour, exagération, étonnement…) et le mouvement par l’intermédiaire de traits qui l’évoquent, afin que l’information contenue soit appréhendée par le plus de sens possibles ;
  • Nous cultivons notre style en constituant une bibliothèque d’images personnelles, faciles à reproduire (voir les quelques exemples dans les pages centrales en couleur) ;
  • Nous nous inspirons de cartes heuristiques réalisées par d’autres praticiens ;
  • Nous observons la nature (les arbres, les fleurs, les cristaux, les rivières…) mais aussi les constructions humaines (les plans de métro, les publicités, la signalétique, les livres de BD…). Tout notre environnement peut être une source d’inspiration.

Le matériel

Si un simple crayon et une feuille de papier suffisent pour réaliser une carte heuristique, les utilisateurs de cet outil sont souvent soucieux de leur équipement, un peu comme des artisans pour leurs outils. Le choix du matériel participe au plaisir que nous avons à réaliser des cartes. Chacun aura sa préférence pour tel papier, tel crayon, telle plume, telle marque de feutre…

En pratique :

  • Nous testons et essayons, papiers, crayons, stylos afin de choisir ceux avec lesquels nous sommes le plus à l’aise ;
  • Nous choisissons un matériel compatible avec notre environnement. Déballer dans un conseil d’administration sa trousse de crayons de couleur peut nous réserver quelques surprises. Préférerons notre stylo à plume, nous pourrons colorier notre carte plus tard. Ce sera une excellente occasion de nous l’approprier à nouveau ;
  • Éventuellement, nous sélectionnons des logiciels en fonction de notre ordinateur, Mac, PC ou Linux. Et suivant l’utilisation que nous en ferons, nous opterons pour des logiciels dédiés ou pas (cf. chapitre 8).
  • Il est d’usage de lire une carte en parcourant les branches principales dans le sens des aiguilles d’une montre à partir de midi. Ceci dit, rien n’interdit de lire les branches dans un ordre quelconque selon les besoins.

Trucs et astuces

La communauté grandissante des utilisateurs de la carte heuristique aime échanger sur ses pratiques. En voici quelques-unes pour ceux qui débutent :

  • Datez votre carte dans un coin bien visible de la page et ajoutez à côté un commentaire expliquant le contexte dans lequel cette carte a été faite. Ces deux informations faciliteront vos recherches quand vous feuilletterez vos cartes ;
  • Si vous n’écrivez pas très lisiblement, préférez l’emploi des lettres majuscules EN BATONS ;
  • Lorsque vous manquez d’inspiration, tracez des branches vierges. Votre cerveau a horreur du vide et vous serez surpris de vous voir les remplir rapidement ;
  • Quand vous n’avez pas de temps ou que les circonstances ne s’y prêtent pas, utilisez un simple crayon ou un stylo. Par la suite, ajoutez vos images et coloriez votre carte. C’est une façon éventuellement de la réorganiser, la clarifier et la réactiver dans votre esprit ;
  • Quand vous vous entraînez, ayez près de vous un petit rameau que vous aurez choisi pour ses ramifications régulières. Il vous permettra d’avoir un modèle pour le tracé de vos branches. Vous pourrez l’orienter comme vous le souhaitez et ainsi disposer d’une référence organique parfaite ;
  • Reliez vos branches entre elles par des flèches, sans que celles-ci soient trop nombreuses, sous peine de revoir l’architecture de votre carte et de redéfinir vos mots-clés. La carte peut vous révéler ainsi des informations purement visuelles. Par exemple, si l’une de vos branches est hypertrophiée, posez-vous la question de savoir si elle ne représente pas finalement le cœur de votre carte ;
  • N’hésitez pas à user et abuser de la couleur. Le temps passé à colorier et dessiner une carte n’est pas perdu. C’est au contraire un moment d’intense réflexion où de nouvelles idées peuvent surgir, sans parler du plaisir éprouvé ;
  • Si vous devez vous approprier de façon exhaustive et à long terme le contenu de votre carte, procédez à une réactivation en respectant si possible cette fréquence : dix minutes après l’avoir réalisée, un jour, une semaine, un mois, trois et éventuellement six mois. Ce rythme est chrono-biologique. À vous de l’adapter à la façon dont vous fonctionnez ;
  • Comment réactiver une carte ? Vous pouvez en refaire un film mental et vous apercevoir qu’elle est bien présente à votre esprit, sinon vous aurez besoin de la reproduire « de tête » (sur papier) afin d’identifier quelles sont les parties sur lesquelles vous devez revenir en comparant votre nouvelle carte à l’original.

Cette liste n’est pas exhaustive, vous trouverez d’autres astuces sur le site pétillant.com

 

Enfin et surtout, prenez du plaisir à faire et à refaire vos cartes. C’est une émotion qui diminue le temps d’apprentissage et augmente sensiblement les capacités de mémorisation.

Mise en œuvre de la carte heuristique

Comme nous l’avons vu précédemment, la carte heuristique est un outil composite que nous fabriquons de « nos propres mains ». Il s’agit ensuite de l’utiliser avec habileté et avec méthode… Mais quelle méthode ? À nous de l’inventer ou d’en utiliser une déjà connue.

Il existe différentes façons d’utiliser la carte heuristique, plusieurs méthodes peuvent être adoptées.

Par exemple, pour prendre une décision rapide et pertinente, nous décidons de mettre en œuvre la méthode du PERERV (lisez Père Hervé, ce sera plus facile à mémoriser) : Préparer. Évoquer. Ramifier. Examiner. Réorganiser. Visionner.

Nous vous invitons à découvrir cette méthode à travers une problématique simple : imaginez-vous réfléchissant à l’achat de votre prochain ordinateur portable. Quels sont les critères sur lesquels votre décision peut s’appuyer ? Vous allez en faire votre première carte heuristique. Peu importe que vous n’ayez pas de document sur les portables à ce moment-là. Vous en savez déjà bien assez…

Vous découvrirez au centre du livre (planche 1), une carte réalisée sur ce même thème. Nous aimerions cependant que vous ne la consultiez qu’une fois l’exercice terminé.

Préparer

D’abord notre matériel. Il nous suffira de quelques feuilles de papier, d’un crayon, d’une gomme, d’un stylo de couleur foncée et cinq ou six crayons de couleurs. Ensuite, nous nous fixerons une durée raisonnable pour construire cette carte, soit vingt minutes. Enfin nous choisirons des conditions favorables à la concentration. Certains réclament un calme absolu agrémenté d’un bâtonnet d’encens, d’autres trouvent que le métro est un excellent endroit pour s’isoler et obtenir une concentration optimale…

Évoquer

Cette étape vous permet de trouver ce qui va se situer au centre de votre carte. Utilisez votre imagination, amusez-vous avec elle, et restez dans l’évocation des mots et des images qui défilent dans votre tête. Un ordinateur portable peut s’esquisser facilement, mais ne suffit pas à représenter la totalité de la problématique. Puisqu’il s’agit d’un choix, vous associerez à l’image le concept d’interrogation ou de prise de décision. Dessinez le cœur de votre carte maintenant, vous pouvez bien entendu y mettre du texte si cela vous paraît indispensable.

Commencez au crayon, vous pourrez ainsi gommer si besoin.

Ramifier

Commencez à détailler un ordinateur portable.

De quoi se compose-t-il ? Ou bien quelles sont les caractéristiques souvent mises en avant par les fabricants ?

Cela vous donnera autant de branches de premier niveau (reliées directement au centre), que vous tracerez, en prenant soin de les espacer suffisamment. Ce sont peut-être des mots qui seront préférés aux images au début mais dès qu’une image peut remplacer un mot, faites-le. Lâchez prise, soyez fluide, et donnez la priorité à la quantité et à la créativité pour l’instant. Il s’agit certainement d’un brouillon, vous ferez une deuxième carte « au propre » après avoir terminé celle-ci.

Vous ramifierez des branches de deuxième voire troisième niveau, en même temps ou après avoir réalisé les premières.

Ne cherchez pas un ordre pour l’instant.

Examiner

Maintenant, examinez globalement et dans le détail votre carte.

Avez-vous bien identifié les thèmes majeurs, ceux qui se trouvent sur les branches de premier niveau ?

Avez-vous choisi les mots-clés adéquats, repéré les redondances et éliminé le superflu ?

Peut-être voulez-vous donner une plus grande attention à certains critères ? Dans ce cas, donnez-leur une même couleur ou numérotez-les suivant une hiérarchie d’importance.

Réorganiser

À présent, en tenant compte du résultat de votre précédent examen, reproduisez la carte sur une autre feuille de papier avec votre stylo et vos crayons de couleur.

Donnez-lui une architecture aérée : pour cela répartissez harmonieusement les branches autour du centre selon l’ordre que vous aurez décidé. Commencez par les branches principales en anticipant sur le nombre de branches que vous pourrez mettre dans chaque quart de la feuille.

Donnez une couleur dominante à chaque branche principale, soit en repassant un trait de crayon de couleur sur chacune des branches qui la composent, soit en entourant sous forme de nuage coloré la ramification toute entière.

Fignolez vos dessins, donnez-leur de l’effet.

Visionner

Vous voilà arrivé au stade où votre carte vous est familière. Vous avez une vision globale et détaillée de la matière qui va vous permettre d’imaginer votre futur portable, en adéquation avec vos besoins et vos moyens.

Vous êtes au clair et pouvez visionner un film mental dans votre tête de la totalité de votre carte. Votre intuition fera le reste, elle se sera nourrie de tout le travail d’appropriation et de sensibilisation que vous avez réalisé.