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Comment réussir dans la publicité ?

Si vous vous demandez comment font les professionnels de la publicité pour réussir, la réponse se situe dans 42e parallèle, le chef d’œuvre de l’écrivain américain John Dos Passos. Le personnage Ward Morehouse y devient un magnat de la publicité et l’auteur nous plonge dans ses méninges, y dissèque son talent, raconte son irrésistible ascension vers le succès.

Prodigieux tableau du début du XXe siècle aux Etats-Unis, 42e parallèle met en scène des personnages de toutes les classes sociales, introduit des procédés littéraires nouveaux et inspirés du cinéma. Il en surgit une comédie « inhumaine » d’une Amérique où les tragédies individuelles s’enracinent dans la rudesse d’une époque.

L’œuvre de John Dos Passos, dont Jean-Paul Sartre dira qu’il était « le plus grand écrivain de notre époque », n’a pas de héros. C’est la société qui joue ce rôle. Cette dernière est de plus en plus exposée à la publicité. Et le personnage de Ward Morehouse livrera, sous la plume du romancier, quelques-uns des secrets qui font la réussite des publicitaires.

Tout commence avec ces mots :

 

« Quand il alla à Philadelphie la fois suivante pour corriger les épreuves de la brochure

OCEAN CITY (Maryland)

Pays rêvé pour y passer les vacances

il emporta ainsi un projet de plus. »

 

Eviter de tuer une bonne idée en la présentant trop tôt

Les publicitaires savent combien un client a du mal à s’imaginer une publicité, à comprendre une idée, sans le concours d’éléments tangibles. Et le personnage de Dos Passos l’a compris, lorsqu’il présente un projet au riche ami de son futur beau-père. Assez écrit, la parole est à John Dos Passos :

« Quand ils en furent à la fine Napoléon et aux cigares, Ward trouva le cran de sortir la brochure sur Ocean City (Maryland) qui lui avait brûlé la poche pendant toute la durée du déjeuner. Il la posa sur la table d’un air modeste. J’ai pensé que vous aimeriez peut-être y jeter un coup d’oeil, M. Oppenheimer, comme… comme c’est quelque chose d’un peu nouveau dans le domaine de la publicité.

M. Oppenheimer sortit ses lunettes, les ajusta sur son nez, prit une gorgée de cognac et parcourut la brochure avec un sourire bonhomme. Il la referma, laissa échapper de ses narines une petite spirale de fumée bleue et dit: Mais cet Ocean City doit être un paradis terrestre, vraiment… N’y allez-vous pas… hm…. un peu fort? Mais voyez-vous, monsieur, il faut que nous fassions en sorte que l’homme de la rue pour ainsi dire meure d’envie d’y aller….Il faut qu’un mot vous attire l’oeil dès que vous ouvrez la brochure. « 

Faire sentir au client qu’il conserve l’ascendant créatif

Laisser penser au client que l’agence de communication n’a fait que mettre en musique une idée qui vient de lui ou qu’il en sera ainsi par la suite. John Dos Passos reprend la parole :

« Un jour, au printemps, il alla au Schenley pour interviewer un conférencier de passage. Cela lui plaisait, car il espérait soutirer quelques lignes de plus de son directeur. Alors qu’il se frayait un chemin à travers l’entrée encombrée par les délégués de Kiwanis qui arrivaient à leur convention, il se heurta à M. McGill.

Bonjour Moorhouse, dit M. McGill d’un ton nonchalant comme s’il le voyait tous les jours. Je suis content de vous avoir rencontré. Ces imbéciles au bureau ont perdu votre adresse. Avez-vous une minute ?

Certainement, M. McGill, dit Ward. J’ai un rendez-vous avec un monsieur, mais il peut m’attendre.

Ne faites jamais attendre si vous avez un rendez-vous avec quelqu’un, dit M. McGill.

Eh bien, ce n’est pas un rendez-vous d’affaires, répliqua Ward en regardant McGill un sourire dans ses yeux bleus de jeune garçon. Il ne se formalisera pas d’attendre une minute.

Ils allèrent dans le salon de correspondance et s’installèrent sur un sofa de tapisserie. M. McGill expliqua qu’il venait d’être nommé provisoirement directeur général pour réorganiser la Bessemer Metallic Furnishings and Product Company qui s’occupait d’une grande quantité de sous-produits des filatures Homestead. Il cherchait un homme ambitieux et énergique pour diriger la publicité. Je me souviens de cette petite brochure que vous m’avez montrée à Paris, Moorehouse, et je pense que vous êtes l’homme qu’il me faut. Ward baissa les yeux.

Naturellement, dans ce cas je devrai quitter mon emploi actuel. Qu’est-ce que c’est ? Du journalisme. Oh, laissez tomber cela, il n’y a pas d’avenir là-dedans… Nous devrons nommer quelqu’un d’autre comme directeur de la publicité pour des raisons que vous saurez plus tard…mais vous serez le directeur de fait. Quel traitement espéreriez-vous ? »

 

Faire ses armes

Et John Dos Passos de nous expliquer comment :

« Le reste du temps, il le passait uniquement à travailler. Par sa sténographe, Miss Rodgers, une vieille fille au visage sans charme qui connaissant l’industrie métallurgique à fond pour avoir travaillé quinze ans dans les bureaux de Pittsburgh, il se fit procurer des livres sur cette industrie et il les étudiait chez lui le soir, si bien qu’aux réunions des directeurs il les étonnait par sa connaissance des procédés et des produits métallurgiques. Il avait l’esprit plein de tarières, de clés anglaises ; parfois, à l’heure du déjeuner, il entrait dans une quincaillerie sous le prétexte d’acheter quelques clous ou quelques pointes et il parlait avec le boutiquier. Il lut Crowd Jr. et divers livres sur la psychologie, essaya de se représenter ce qu’il serait dans le rôle d’un quincaillier ou d’un directeur de Hammacher Schlemmer ou quel genre de publicité le séduirait. En se rasant, pendant que son bain coulait le matin, il voyait passer entre son visage et le miroir de longues processions de chenets, de grilles, d’accessoires de haut fourneau, de pompes, de machines à hacher, de vrilles, d’étaux, de burettes, de boutons de tiroir et il se demandait comment on pouvait s’y prendre pour les rendre séduisants pour le commerce de détail. Il se rasait lui-même avec un Gillette, pourquoi se rasait-il avec un Gilette au lieu d’un autre rasoir ? Bessemer était un beau nom, qui sentait l’argent, les laminoirs puissants et les gros directeurs descendant de leur limousine. Ce qu’il fallait faire, c’était intéresser l’acheteur, lui faire sentir qu’il était un rouage dans une organisation puissante, pensait-il en choisissant sa cravate.  Bessemer, se disait-il à lui-même en prenant son petit déjeuner. Pourquoi nos clavettes seraient-elles plus séduisantes que n’importe quelles autres clavèttes, se demandait-il en montant dans le tramway. Cahote dans la foule suspendue aux poignées de cuir, regardant sans les voir les en-têtes du journal, des maillons, des ancres, des coudes de fer, des viroles, des accessoires de tuyauterie se bousculaient dans sa cervelle Bessemer.


Bien choisir ses associés

Et Ward Morehouse, sous la plume de Dos Passos nous montre comment :

Au cours des mois qui suivirent il ne s’occupa guère de Gertrude, car une grève avait éclaté a Homestead, des grévistes furent tués par des gardiens de mine et certains écrivains de New-York et de Chicago au cœur trop tendre remplirent de longues colonnes dans les journaux, flagellant l’industrie de l’acier et les conditions féodales de Pittsburgh, comme ils s’exprimaient ; les progressistes au Congres menaient grand bruit et on disait que gens voulaient faire de cela une question politique et réclamaient une enquête parlementaire. Mr McGill et Ward avaient dîner en tête à tête au Schenley pour parler de la situation ; Ward était d’avis que ce qu’il fallait c’était une méthode toute nouvelle de publicité. Il appartenait a l’industrie d’éduquer le public grâce a une publicité établie pour plusieurs années d’avance. Mr McGill fit très impressionne et dit qu’il examinerait aux conférences des directeurs la possibilité de fonder un bureau général d’information pour toute l’industrie. Ward dit qu’il devrait en être le directeur, car il ne faisait que perdre son temps aux Bessemer Products ; tout s’était réduit a une routine dont n’importe qui pouvait se tirer. Il parla de son projet d’aller à Chicago monter une affaire de publicité. Mr McGill sourit passa la main sur sa moustache gris acier et dit : Pas si vite, jeune homme, restez ici encore un peu et, ma parole, vous ne le regretterez pas ; Ward le voulait bien, mais cela faisait cinq ans qu’il passait à Pittsburgh et ou en était-il ?

 


Se construire un réseau

Après avoir finalement divorcé et fuit son passé, Ward Morehouse s’éprend de Gertrude Staple, fille unique du vieux Horace Staple, directeur de plusieurs compagnies et que l’on dit propriétaire de pas mal d’actions de la Standart Oil.

Le bureau d’information fit créé, Ward fut charge de la direction effective des affaires avec un traitement annuel de dix mille dollars et commença à jouer à la bourse avec ses économies, mais il avait plusieurs supérieurs qui gagnaient plus que lui, qui ne faisaient que le gêner et cela le rendait nerveux. Il se rendait compte qu’il devait se marier et se mettre chez lui. Il avait beaucoup de relations dans les industries métallurgiques et pétrolifères et il comprenait qu’il lui fallait recevoir. Donner des dîners au Ford Pitt ou au Schenley était trop coûteux et cela n’avait pas l’air sérieux.

 

Faire un bon mariage

Après le décès de son père, Gertrude se retourne vers Ward Morehouse dont elle s’était éloignée après qu’il l’ait eu demandée en mariage, mais que ses riches parents s’y opposent sous prétexte qu’il gagnait moins d’argent qu’elle.

L’auberge était tenue par un couple français. Ward leur parla en français et commanda un poulet du vin rouge et du whisky chaud pour les réchauffer en attendant. Il n’y avait personne d’autre à l’auberge, et il fit mettre sa table juste devant le réchaud a gaz au bout de la salle à manger jaune et rose ; dans la pénombre on voyait une enfilade de tables vides et de longues fenêtres bloquées par la neige. Tout en mangeant il fit part a Gertrude de ses projets de fonder une agence de publicité a lui et il ajouta qu’il n’attendait qu’un associe convenable et qu’il pourrait faire de l’agence la plus grosse affaire du pays, étant donne qu’il avait une manière nouvelle d’envisager les relations entre le capital et le travail. Eh bien, mais je pourrai vous aider énormément en vous fournissant du capital et des conseils et toutes sortes de choses, une fois que nous serons maries, dit-elle, le teint anime et les yeux brillants. Naturellement, Gertrude.

Six mois plus tard ils étaient maries et Ward résigna ses fonctions au bureau d’information. Il avait eu un coup de chance à Wall Street et décida de prendre une année de vacances pour son voyage de noces en Europe. Toute la fortune de Staple était laissée a Mrs Staple et Gertrude ne devait recevoir qu’une pension de quinze mille dollars par an jusqu’à la mort de sa mère, mais ils projetaient de rejoindre la vielle dame a Carlsbad et espéraient lui soutirer un peu d’argent pour la nouvelle agence de publicité. Ils s ; embarquèrent pour Plymouth sur le Deutschland ou ils occupèrent l’appartement réserve aux jeunes marie ; la traversée fut bonne et Ward n’eut le mal de mer qu’un seul jour.

Bien s’entourer

Désormais, Ward n’eut plus à rédiger les papiers et il put consacrer tout son temps a organiser son affaire. On avait persuadé la vielle Mrs Staple de mettre cinquante mille dollars dans l’entreprise. Ward loua un bureau au 100 de la Cinquième Avenue, le garnit de vases  de porcelaine chinoise et de cendriers cloisonnes de chez Vanitines et mit une peau de tigre après-midi il servait le the a l’anglaise et fit inscrire son nom dans l’annuaire du téléphone comme J.Ward Moorehouse, Homme Public. Pendant que Robbins rédigeait les brouillons des prospectus, il allait à Pittsburgh, à Chicago, à Bethlehem et à Philadelphie pour rétablir ses relations.

 

 

Pourquoi diable ne lit-on pas John Dos Passos en école de publicité, pas plus que César Birotteau de Balzac, dans lequel l’un des personnages invente littéralement le visual merchandising dans sa boutique d’apothicaire, en école de mode ? Parce qu’ils sont l’un comme l’autre dans l’ombre du Bonheur des dames de Zola, porté au pinacle dans les écoles de commerce, roman dans lequel le personnage de Lantier, inspiré par Aristide Boucicaut, invente le grand magasin. Magasin dans lequel il fallut faire venir par la suite des clientes… avec devinez quoi, de la publicité.