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Choisir l’auto-organisation pour sortir du modèle pyramidal

Découvrez pourquoi l’auto-organisation est la clé du succès des équipes modernes et comment ce concept peut transformer les dynamiques au sein des entreprises. Interview d’Eric Delavallée, auteur de « Misez sur l’autonomie de votre équipe » (DeBoeck Supérieur)

 

Bonjour Eric Delavallée, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Eric Delavallée : Mon ouvrage précédent « S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise » présentait un modèle global d’organisation baptisé « l’organisation cellulaire ». Il a plutôt reçu un bon accueil auprès des personnes intéressées par les nouvelles formes d’organisation en rupture par rapport au modèle pyramidal traditionnel. Mais je n’ai réussi à convaincre qu’un petit nombre de personnes de déployer le modèle au sein de leur entreprise. Mes interlocuteurs me répondaient que c’était intéressant, mais que les conditions n’étaient pas réunies dans leur contexte d’action pour se lancer dans une telle aventure. Je me suis rapidement rendu compte que plutôt que de prendre le sujet au niveau de l’organisation de l’entreprise dans sa globalité il était plus judicieux de l’aborder localement aux niveaux des équipes. C’est l’objet de ce nouvel ouvrage. Je pense que, tout comme chacun d’entre nous peut, à son niveau, adopter des gestes écologiques pour protéger l’environnement sans attendre que nos gouvernants s’accordent sur des mesures globales pour sauver la planète, chaque manager peut, en accord avec ses collaborateurs, développer l’auto-organisation de son équipe alors même que l’organisation de son entreprise reste, elle, parfaitement pyramidale. Plutôt que de généraliser les équipes auto-organisées en les substituant aux équipes hiérarchiques et, ce faisant, changer le modèle organisationnel de l’entreprise dans sa globalité, l’approche développée dans ce nouvel ouvrage consiste à mettre en place localement une ou plusieurs équipes auto-organisées sur la base du volontariat, puis à diffuser les expérimentations au sein de l’entreprise par infusion et capillarité.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Eric Delavallée : « Une équipe est un groupe de personnes qui interagissent pour atteindre un but commun. Deux grandes caractéristiques permettent de différencier une équipe auto-organisée d’une équipe hiérarchique, composée d’un ensemble de collaborateurs (N) et d’un manager (N+1).

La première concerne la responsabilité de la performance. Dans une équipe hiérarchique, la responsabilité de la performance est individuelle. Le manager est responsable d’une performance en grande partie produite par ses collaborateurs. Dans une équipe auto-organisée, la responsabilité de la performance est collective. Les coéquipiers sont mutuellement responsables de la performance de l’équipe auto-organisée.

La seconde différence concerne l’autorité. Dans une équipe hiérarchique, la relation d’autorité entre le manager et ses collaborateurs est asymétrique. Le manager possède une autorité dite hiérarchique sur ses collaborateurs. Dans une équipe auto-organisée, au contraire, l’autorité est distribuée à parité entre tous les coéquipiers. On passe du système du père au système des pairs. Dans une équipe auto-organisée, il n’y a donc pas de manager en position hiérarchique. Les rôles de management sont partagés entre les coéquipiers à moins qu’ils décident collectivement de les assigner à l’un d’eux. Mais cela reste leur décision. Quand c’est le cas, un leader émerge au sein de l’équipe.

Quelle différence y-a-t-il entre un manager et un leader ? Le premier est nommé par l’entreprise et, à ce titre, bénéficie d’une autorité statutaire associée à sa fonction. Le second est coopté par ses pairs et jouit d’une autorité personnelle librement consentie. Rien oblige les coéquipiers à reconnaître une autorité au leader d’une équipe auto-organisée. Les collaborateurs d’une équipe hiérarchique sont au service de leur manager alors que le leader de l’équipe auto-organisée se place au service de ses coéquipiers. »

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Eric Delavallée : Au moment des confinements, le télétravail contraint a eu deux effets opposés sur les pratiques managériales. Certains managers, anxieux de ne plus avoir leurs collaborateurs sous la main toute la journée, ont renforcé les contrôles grâce à des outils digitaux permettant une traçabilité bien supérieure aux points de suivi qu’ils avaient pris l’habitude d’organiser en présentiel. Au contraire, d’autres ont d’emblée accordé davantage d’autonomie à leurs collaborateurs en se concentrant plus sur les résultats que sur la manière de les obtenir. Les accords varient, mais aujourd’hui les entreprises offrent la possibilité à leurs salariés de télétravailler en moyenne deux jours par semaine. Que constate-t-on avec maintenant plus de trois années de recul ? L’inscription d’un management hybride dans la durée passe nécessairement par le développement de l’autonomie au travail. Le renforcement du contrôle a été possible sur le court terme, mais n’est pas tenable à moyen ou long terme. L’autonomie au travail concerne les collaborateurs, mais aussi les équipes. Les managers sont formés depuis des décennies aux pratiques et aux postures à adopter pour favoriser l’autonomie de leurs collaborateurs. En revanche, ils sont souvent désarmés pour développer celle de leur équipe dans la mesure où, en général, peu de choses leur sont proposées en la matière. La méthodologie exposée dans mon ouvrage, le « Cercle vertueux de l’auto-organisation », ambitionne de combler cette lacune.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Eric Delavallée : Une équipe auto-organisée n’est ni une équipe hiérarchique ni une équipe auto-gérée. C’est une équipe au sein de laquelle les coéquipiers décident en toute autonomie de la manière d’organiser leur travail. Mais cette autonomie ne concerne ni ce sur quoi ils travaillent, ni le type et la quantité de ressources dont ils disposent pour réaliser leurs activités. L’autonomie d’une équipe auto-organisée s’arrête aux bornes de son organisation. Les objectifs et les ressources allouées pour les atteindre sont négociés en dehors de l’équipe avec son ou ses « clients ». L’équipe auto-organisée n’est donc pas auto-gérée. Cette distinction me semble fondamentale pour rendre l’approche réaliste.

Quand je rencontre un manager, pour savoir si son équipe est une bonne candidate à l’auto-organisation, je lui expose les six propositions suivantes : (1) Les membres de votre équipe ont besoin d’interagir les uns avec les autres (ils ne peuvent pas travailler chacun dans leur coin) (2) La performance de votre équipe ne se réduit pas à une somme de performances individuelles ; (3) L’activité de votre équipe est frappée par de nombreuses incertitudes ; (4) Les changements qui impactent votre équipe sont fréquents, nombreux et faiblement prévisibles ; (5) Les membres de votre équipe ont accès à des informations dont vous avez besoin (et que vous ne possédez pas) pour piloter la performance et organiser le travail ; (6) Les membres de votre équipe aspirent à l’autonomie et à la prise d’initiative. Plus le nombre de « oui » est important, plus l’auto-organisation est adaptée et intéressante pour l’équipe de ce manager.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Eric Delavallée : Le grand défi me semble se situer autour des technologies, et notamment de l’Intelligence Artificielle. Dans quelle mesure l’IA va-t-elle permettre de favoriser le développement et l’appropriation de l’auto-organisation au sein des équipes.

 

Merci Eric Delavallée

 

Merci Bertrand Jouvenot

 


Le livre : Misez sur l’autonomie de votre équipe, Eric Delavallée, DeBoeck Supérieur, 2024