jouvenot.com

Bureaux, le pari du bien-être et de la performance

Les mutations du travail se sont manifestées par une évolution profonde des espaces de travail. Jean-Pierre Bouchez, a sollicite une quinzaine d’experts afin de réaliser une étude pluridisciplinaire mobilisant la sociologie, l’histoire, l’économie, l’organisation, le management. Interview de l’auteur et coordinateur du livre « Le travail et ses espaces: Le pari du bien-être et de la performance ».

 

Bonjour Jean-Pierre Bouchez, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Dans le contexte pandémique puis post pandémique, le sujet me paraissait naturel et quasiment incontournable. J’en ai saisi l’occasion de creuser le sujet en procédant à une double analyse, d’une part, à la fois  longitudinale, c’est-à-dire historique, contemporaine et prospective et d’autre part pluridisciplinaire, en mobilisant la sociologie, l’histoire, l’économie, l’organisation, le management et la culture.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Ce sont en réalité toutes les tentatives d’innovations spatiales à partir des années 1960 qui m’intéressent même si elles n’ont pas été toujours durables. La tendance en cours, notamment dans les grands groupes éclairés, est de déployer des espaces qualitativement attractifs, et même désirables  fondés sur les activités, et analogues à des « villes en miniature » avec leurs quartiers, me semble particulièrement prometteuse. Ils ont vocation à s’inscrire dans la durée.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Deux grandes tendances émergent et se confirment à mon sens.

La première se réfère précisément à ce que je viens d’évoquer, à savoir ces formes de « mini villes » qui se déploient surtout à partir des années 2000 dans certaines grandes organisations, sous la forme d’environnements spatiaux plus qualitatifs, interactifs, enrichis et diversifiés. Je pense en particulier aux espaces de type Activity Based Working, précisément fondés sur les activités des personnes. Reposant sur des principes analogues à ceux du flex office (notamment la non-territorialisation des bureaux), ce dispositif s’en distingue dans la mesure  où les usagers utilisent au cours de la journée les espaces dédiés précisément à leurs activités (individuelles ou collectives), en fonction de leurs besoins à un moment donné. Ce qui se traduit par une diversification des différents espaces aux usages spécifiques. Concrètement, on peut ainsi y distinguer : des « places publiques » (espace commun destiné aux réunions générales, aux fêtes d’entreprises, etc.) ; des « quartiers » (conçu pour de petits groupes de travailleurs qui doivent se côtoyer pendant de longues périodes pour réaliser des activités similaires et répétées, type comptabilité) ; des « établis » (destiné aux projets collaboratifs ponctuels et limités dans le temps) ;  des « bibliothèques » (petit espace communautaire dans lequel tout collaborateur peut accomplir des tâches ponctuelles ou peu structurées (lecture, recherche, écriture de code, etc.) ; des « alcôves » (zones tranquilles et privées dans lesquelles les employés peuvent récupérer, réfléchir et se détendre. Ce ne sont pas des espaces de travail au sens strict. Cette perspective me semble durable.

 

Et s’agissant de la seconde tendance ?

La seconde également  durable concerne le maintien de l’attractivité professionnelle des grandes agglomérations. Cela en dépit des tendances post-covid qui ont conduit certaines activités (exemple : les travailleurs professionnels du savoir), à se délocaliser sur le territoire dans des zones attractives (petites villes séduisantes, zones côtières, etc.). En réalité cette délocalisation s’est  simplement accélérée, comme cela a été confirmé par des chercheurs. De sorte que la notion d’exode apparait exagérée. Les agglomérations centrales dynamiques resteront durablement attractives. Cela en dépit de la montée des externalités négatives (bruit, pollution, couts immobiliers, fiscalité, etc.) et de certaines réserves symboliques (cas de la ville de Saint Francisco), ils constitueront toujours pour l’essentiel, des lieux de pouvoir et des centres de décisions. Ils contribueront à secréter cette « atmosphère » urbaine, intellectuelle, technologique, financière, favorable aux interactions formelles et informelles.

Deux réserves doivent être cependant soulignées : d’une part, n’oublions pas que les activités télétravaillables sont encore minoritaires (de l’ordre de 1/3) et d’autre part, l’usage des espaces qualitativement attractifs est souvent associé à de grands groupes possédant une notoriété établie, attracteurs de jeunes talents diplômés et localisés souvent dans de grandes agglomérations…

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet entretien, quel serait-il ?

Il est difficile de se limiter à un seul conseil dans la mesure où le livre s’adresse à un large lectorat : dirigeants, managers, consultants, mais aussi chercheurs et étudiants. Les premiers pourront y puiser des conseils stratégiques et opérationnels lors de réflexions et de préparations de chantiers d’aménagement de nouveaux environnements de travail. Les illustrations concrètes permettant notamment des éclairages utiles. Les chercheurs et les étudiants y trouveront des conseils en termes de sources académiques débouchant sur des résultats concrets. J’ai souhaité en effet aborder cet ouvrage en combinant des aspects pragmatiques souvent étayés par des travaux universitaires, pour accroitre la robustesse de mes propos.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Les sujets à venir prolongeront cette perspective. J’inscris en effet mes travaux dans le cadre des « New ways of Working », c’est-à-dire des nouvelles pratiques en cours et à venir au regard des nouveaux rapports au travail dans une perspective post-pandémique. L’observation attentive des comportements des nouvelles générations au travail  apparait de ce point de vue éclairant. De même, la recherche souvent complexe de la mise en œuvre effective d’organisations responsabilisantes et innovantes constitue également un sujet sensible qu’il importe d’observer et d’analyser avec attention.

 

Merci Jean-Pierre Bouchez,

 

Merci Bertrand

 

Le livre : Le travail et ses espaces: Le pari du bien-être et de la performance, Jean-Pierre BOUCHEZ, PhD, De Boeck Sup, 2023