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Bien gagner sa vie peut être difficile, surtout lorsqu’on ne sait pas (se) vendre

La pandémie mondiale nous a amenés à réinventer nos emplois. L’idée de devenir freelance a germé dans bien des têtes. Avant le grand saut, un guide rempli de témoignages de freelances, de méthodes et d’exercices pratiques vous sera utile. Pour vous accompagner dans le démarrage de cette aventure, nous avons l’interviewée Lise Slimane, auteur de Tout pour être freelance.

 

Bonjour Lise Slimane, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

De plus en plus de français rêvent d’indépendance et de liberté. En 2009, la naissance de l’auto-entreprise a facilité la création d’entreprise à moindre risque et plus d’un million de nos compatriotes ont adopté ce statut. De plus, la pandémie a accéléré l’intérêt des salariés pour un mode de travail plus libre, puisqu’ils ont pu goûter aux joies du télétravail. La certitude d’un CDI a également été remise en cause : c’est une fausse sécurité, qui peut être bouleversée par le moindre événement intrinsèque à l’entreprise-employeur ou à notre société.

 

Tous ces changements créent beaucoup d’intérêt autour du freelancing. Mais derrière les mythes et contenus édulcorés des réseaux sociaux se cache aussi une réalité douloureuse : bien gagner sa vie peut être difficile, surtout lorsqu’on ne sait pas (se) vendre.

 

Avec “Tout pour être freelance”, j’ai voulu préparer les curieux, les salariés et les néo-freelances dans leurs premiers pas afin de leur éviter bien des désillusions et, surtout, de leur offrir quelques outils pour réussir leur passage vers l’indépendance.

 

Mais le livre est aussi arrivé à un moment où, professionnellement, je me sentais prête à écrire sur le sujet. J’avais beaucoup à partager et tout garder à l’intérieur me donnait un sentiment d’implosion, comme si cette donnée était gaspillée alors qu’elle pourrait aider tellement d’entrepreneurs dans leurs parcours.

 

Je suis à mon compte depuis 2014, sous différentes formes. J’ai essuyé beaucoup de plâtres et j’aimerais éviter à d’autres de vivre les mêmes difficultés. J’ai également accompagné de nombreux indépendants individuellement, via mon organisme de formation, et j’ai pu remarquer que les écueils, erreurs et questionnements étaient les mêmes. À l’inverse, j’ai aussi noté que peu importe le métier exercé, certaines fondations communes permettaient d’avoir rapidement des résultats financiers (clients, rentabilité).

 

J’écris donc ce livre maintenant pour deux raisons :

– le marché de l’emploi semble tendre vers plus de freelancing : les talents ont envie d’être à leur compte, et les entreprises sont de plus en plus flexibles et ouvertes à des contrats de ce type (plutôt que le traditionnel CDI) ;

– je me sentais prête à écrire sur le sujet, à la fois parce que c’était cathartique pour moi de le faire mais aussi parce que j’avais suffisamment de bouteille pour créer un guide efficace et complet.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Dans ce livre, j’ai voulu infuser beaucoup d’humanité. Je voulais que les freelances puissent trouver du réconfort en cas de doutes. Se lancer à son compte peut apporter de la liberté, de l’alignement, de la joie au travail … mais aussi son lot de souffrances professionnelles.

 

Décider d’entreprendre c’est aussi s’embarquer dans un ascenseur émotionnel. On parle souvent d’échec ou de réussite, mais quid de l’immense quantité de courage qu’il faut pour entreprendre et affronter ces émotions ? Au travers d’anecdotes, d’humour et de mots rassurants, je voulais rassurer mais aussi dédramatiser ces périodes intenses.

 

Ce passage suivant est mon préféré, parce qu’il capture l’essence de tout le soutien et la bienveillance dont j’ai souhaité faire preuve envers les néo-freelances, en leur rappelant que le doute est normal. Ce n’est pas un échec que d’être humain :

 

Extrait du Chapitre 17 : S’accepter tel que l’on est est LE job principal (pages 256-257)

 

Les idées valent peu, mais l’exécution fera toute la différence. Rien n’avancera si tu laisses la procrastination, le perfectionnisme, la victimisation, ton syndrome de l’imposteur ou encore la peur de l’incertitude te freiner dans ton passage à l’action. Ton travail principal en freelance est donc de gérer ta propre psychologie afin d’avancer dans tes projets malgré les doutes.

(…)

 

Même si tu es ravie de te lancer en freelance et de travailler à ton compte, il y aura des aspects de ton quotidien qui ne te plairont pas forcément. De plus, tu vas évoluer au fil du temps et devoir transformer ton activité en conséquence pour qu’elle te ressemble davantage. Il y a donc des moments où la motivation ne sera pas au rendez-vous. Le bon équilibre consiste à travailler sur des projets qui te plaisent pour pouvoir tenir lors des moments difficiles et d’accepter les phases où tu ne seras pas totalement aligné mais où tu devras quand même fournir des efforts pour faire tourner ton activité.

 

Lorsque la motivation n’est plus là, la discipline doit prendre les devants !

 

C’est la même chose pour toutes les actions que tu entreprendras, dans ta vie personnelle ou professionnelle. La discipline est importante mais pour tenir sur la durée, il faut se reconnecter au sens que l’on donne à son travail.

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

Je suis avec intérêts 3 grandes tendances qui, selon moi, vont révolutionner nos façons de vivre et de travailler dans les décennies à venir : le développement des plateformes de freelancing, le nomadisme digital et les NFT (ou, plus globalement, les crypto monnaies et les technologies liées à la blockchain).

 

Il existe déjà de nombreuses plateformes, de type places de marché, qui relient des clients à des prestataires finaux. Grâce à elle, l’offre et la demande se rencontrent instantanément.
Certaines applications proposent des services managés. Dans ce cas, les tarifs sont fixés par l’intermédiaire et le client ne sélectionne pas le freelance de son choix. Cela mène mécaniquement à des prix bas, et à des missions “alimentaires”. C’est dans ce cas qu’on peut redouter la fameuse ubérisation de l’économie.

 

Mais à côté de cela, il existe aussi toute une catégorie de professionnels qui font le choix de l’indépendance pour la liberté qu’elle apporte. Je crois en cette tendance, qui sera certainement portée par les plateformes et les avancées de l’intelligence artificielle. Et si on pouvait se connecter, chaque matin, sur des plateformes et choisir les tâches que l’on souhaite effectuer par rapport à son expertise, ses envies et sa disponibilité ? Pour moi comme pour de nombreux professionnels, cela serait très stimulant.

 

Je crois aussi beaucoup au nomadisme digital, pour les salariés comme les indépendants. Avant la pandémie, les entreprises étaient réticentes face au télétravail. Elles ont dû s’adapter en urgence, et aujourd’hui elles perçoivent les avantages de ce mode de collaboration. Les craintes liées à l’absence de productivité sont également infondées : la plupart des études montrent qu’au contraire, le problème du télétravail consiste à ne pas savoir s’arrêter et à travailler … tout le monde. On ne se tourne pas les pouces lorsqu’on est à domicile, bien au contraire.

 

Grâce à cela, j’imagine qu’à l’avenir les professionnels vont réinvestir les campagnes et gagner en qualité de vie. Certains choisiront peut-être de déménager à l’étranger de façon ponctuelle ou pour s’y sédentariser. C’est le choix que j’ai fait ces dernières années, en travaillant depuis Bali, la Thaïlande, l’Espagne, le Nicaragua, Amsterdam, Singapour, Londres, la République Dominicaine ou encore … le Costa Rica où j’ai posé mes valises pour quelques temps. Le nomadisme digital me permet de choisir la communauté, le lieu et les loisirs que j’ai envie d’accueillir. Je n’ai plus l’impression de vivre pour mon travail. Cela bouleverse ma vision de ma carrière : elle est au service de ma vie personnelle.

 

Et demain, de nombreux professionnels pourront faire le choix d’un lieu aligné avec leurs aspirations. C’est très encourageant, et cela s’inscrit dans un contexte plus général de quête de sens au travail. Gagner notre vie n’est plus suffisant : nous souhaitons aussi nous accomplir et être heureux à chaque instant, plutôt que d’attendre les soirs et week-ends.

 

Enfin, je crois que les technologies telles que la blockchain et les cryptomonnaies vont faciliter le développement du freelancing, à une échelle mondiale. Avec les NFT par exemple, il est possible d’entrer en contrat avec des créatifs ou d’acheter des produits et services digitaux en quelques clics. Des marketplaces telles que Rarible rendent les transactions faciles, bien qu’aujourd’hui un peu coûteuses. Mais n’est-ce pas incroyable de pouvoir fixer les termes d’un contrat à distance, en quelques minutes ?

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

Il faut oser se lancer avant de se sentir prêt. Au démarrage, l’ampleur des tâches à réaliser peut effrayer, voire paralyser la prise de décision. Mais un freelance ne devrait pas se comparer à des entreprises déjà bien établies, qui ont des ressources et une équipe pour les soutenir dans leurs efforts commerciaux et marketing.

 

Il n’y a pas besoin d’avoir un beau logo, un site au design tiré à quatre épingles, des locaux en plein cœur de Paris ou des parutions dans la presse pour oser se lancer. Tout ce qu’il faut, c’est avoir des compétences à offrir, une proposition de valeur claire et une clientèle cible identifiée. Au démarrage, ces éléments seront des hypothèses. À l’image d’un scientifique, il faudra mener son enquête, poser des questions à son marché et certainement essuyer des refus … jusqu’à trouver la recette qui fonctionne pour soi et ses clients.

 

Les freelances qui réussissent à créer une activité rentable ne sont pas ceux qui identifient tout de suite l’offre qui va fonctionner. Ce sont ceux qui persévèrent, testent et modifient leurs modèles économiques et stratégies jusqu’à valider leurs projets.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Le transhumanisme. Je trouve le sujet tout autant fascinant que terrifiant, et je ne sais toujours pas quoi en penser. Néanmoins, peu importe mon opinion ou celle des autres … le futur est déjà là. Il suffit de voir les avancées de Neuralink d’Elon Musk) et ses implants cérébraux d’interfaces neuronales directes) pour se rendre compte que nous sommes à l’aube de grands changements. La réalité rattrape la science-fiction.

 

J’imagine qu’à l’image de mes grands-parents, la société dans laquelle je vivrais à 80 ans sera vraiment différente de celle que je connais aujourd’hui. J’ai bon espoir qu’elle sera meilleure en tous points, et pour le plus grand nombre.

 

Merci Lise Slimane

 

Merci Bertrand

 


Le livre : Lise Slimane, Tout pour être freelance, , Caliopea, 2021.