Au travail, osez l’humour !

L’humour n’a jamais été aussi essentiel pour le leadership et le management. Vanessa Marcié, auteur du Pouvoir de l’humour (Eyrolles) est convaincue qu’il constitue un outil puissant pour améliorer la cohésion d’équipe, la performance et la productivité au sein des entreprises. Interview.

Bonjour Vanessa Marcié, pourquoi écrire ce livre maintenant ?

Vanessa Marcié : Un livre est l’aboutissement d’une longue réflexion. Quand j’ai commencé mes recherches sur l’humour et le leadership, j’ai rencontré plusieurs personnes qui m’ont demandé : « Mais pourquoi tu n’écris pas un livre ? ». Je savais que l’idée n’était pas encore suffisamment mature. Aujourd’hui, oui. Depuis plusieurs années, je parle d’humour dans les médias et sur LinkedIn, et j’interviens en entreprise, ainsi que dans les business schools et les universités depuis 2019. Cela m’a permis d’affiner la méthode, de recueillir des exemples et des retours qui ont enrichi ma réflexion et permis de mieux structurer le livre pour qu’il serve d’outil aux managers.

Les entreprises sont également prêtes à explorer de nouvelles formes de leadership et de management. Il fut un temps où il fallait être sérieux pour être pris au sérieux. Aujourd’hui, de plus en plus de managers et de dirigeants reconnaissent le pouvoir de l’humour et sont conscients de ses nombreux bénéfices pour renforcer le leadership, améliorer la performance, la productivité et la cohésion d’équipe.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Vanessa Marcié : Il est difficile de résumer un livre en quelques mots, mais je pense que ce passage représente assez bien le message du livre : « L’humour est une force majeure et, en tant que telle, peut être utilisée pour inclure ou exclure. Choisissez avec sagesse. Votre intention est fondamentale et en dit long sur la personne, le leader que vous aspirez à être. » L’humour, oui, bien sûr, absolument même, mais il est important de prendre conscience que c’est un pouvoir qui implique une certaine responsabilité. Mais lorsqu’il est utilisé au service des autres, il devient incroyablement puissant.

Et ce passage est une bonne introduction au « Pouvoir de l’humour »

“« Je laisse mon sens de l’humour à la maison, il n’a pas sa place au travail », voilà ce qu’un manager dans une société internationale américaine de services techniques professionnels a partagé lors d’une présentation sur les bénéfices de l’humour en entreprise. Et le plus triste, c’est qu’il n’est pas le seul à laisser une partie vitale de sa personnalité à la porte de son bureau. Nombre d’entre nous pensent que nous effectuons chaque jour des tâches si sérieuses qu’elles nécessitent une attitude très sérieuse. Et, qu’évidemment, nous ne pouvons pas être pris au sérieux si nous n’avons pas l’air sérieux. Vous le croyez vraiment ? L’humour est un atout organisationnel sous-estimé et sous-utilisé, comme le révèle l’étude réalisée par LinkedIn auprès de 2.248 actifs français. En effet, pour plus de trois quarts des professionnels en France (78 %), l’humour est l’émotion la plus sous-estimée et la moins valorisée au travail. Il est vrai que dans de nombreux lieux de travail, le sérieux est attendu, promu et vénéré au point que nous devons tous laisser une partie de notre personnalité à la porte du bureau afin de nous conformer à ce qui est attendu de nous. Qui a établi cette norme de sérieux dans les organisations ? C’est une règle inconsciemment souscrite qui peut favoriser les cultures toxiques, l’épuisement professionnel et l’intimidation. Tous les jours, nous rencontrons des exemples de cultures toxiques où l’absentéisme et le burn-out règnent en maître. Selon une étude de l’Institut Sapiens de 2018, l’absentéisme, par exemple, a un coût et il n’est pas des moindres. Il atteint en France un taux de 4,72 % dans le secteur privé et de 8,34 % dans la fonction publique territoriale et il augmenterait régulièrement. Le coût moyen serait de 4.059 euros par an et par salarié (3.521 euros dans le privé et 6.223 euros dans le public). Multiplié par les 26,6 millions d’employés et de fonctionnaires du secteur privé, cela représente un peu plus de 107 milliards, soit l’équivalent du budget de l’Education nationale ou 4,7 % du PIB ! Qu’ont à voir ces chiffres avec le pouvoir de l’humour ? Dans la plupart des cas, ces résultats effarants seraient liés à des défaillances managériales ou, comme l’expliquent les auteurs de l’étude, à une conception « d’un autre âge » de l’organisation et des rapports au travail, qui provoquerait une perte croissante de sens des salariés et un manque de considération. Et ces défaillances seraient équivalentes, que l’organisation soit privée ou publique, une PME ou un géant du CAC 40. Les employés sous pression sont plus susceptibles de prendre des congés maladie. Mais l’humour, au travail comme dans la vie personnelle, a le pouvoir d’améliorer la santé en réduisant le stress et en renforçant l’immunité. Et ce ne sont là que quelques-uns des nombreux avantages de l’humour. Donc un lieu de travail plus amusant et moins stressant serait un excellent moyen d’améliorer la qualité de vie au travail. Je crois que nos lieux de travail devraient être l’équivalent adulte d’un terrain de jeu. Nous devrions pouvoir nous investir pleinement au bureau, être libres d’expérimenter, d’innover, d’être créatifs et de nous amuser. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas être très performants sans nous prendre trop au sérieux. Comme l’humoriste et ancien sénateur américain Al Franken, je crois que l’humour et le sérieux ne s’opposent pas. Bien au contraire ! Heureusement, au vu du nombre croissant de recherches, d’études de cas et d’articles sur l’humour, cette norme de sérieux dans les organisations semble évoluer. Le sujet de l’humour au travail intrigue, interpelle, et l’intérêt que lui portent les organisations nous prouve que nous sommes de plus en plus nombreux à revendiquer le droit d’être drôles sur notre lieu de travail et d’être nous-mêmes.”

Les tendances émergentes auxquelles vous croyez le plus ?

Vanessa Marcié : Je crois fermement à la recherche du plaisir au travail, lequel ne se limite plus à être une simple source de satisfaction financière. Les salariés cherchent à s’épanouir tant au travail qu’à l’extérieur.

Les phénomènes comme le « quiet quitting » et les problèmes de recrutement devraient inciter les entreprises à revoir leur stratégie de recrutement pour valoriser davantage les profils seniors, souvent mis de côté trop tôt et injustement, alors qu’ils apportent une immense valeur et un savoir-faire considérable.

L’entreprise de demain ne sera plus structurée de manière pyramidale, mais adoptera des formes multiples, reflétant la diversité et la richesse des individus qui la composent.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Vanessa Marcié : Osez l’humour !

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Vanessa Marcié : En un mot ? C’est difficile, mais si je devais choisir, je dirais : l’IA, et plus précisément son application au leadership et au management. Comment l’IA va transformer le manager d’aujourd’hui en leader de demain.

Et je croise les doigts pour que l’humain soit toujours en capacité de faire de l’humour dans le futur parce que chat GPT n’est pas prêt de remplacer Florence Foresti !

Merci Vanessa Marcié

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : Le pouvoir de l’humour, Vanessa Marcié, Eyrolles, 2022