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Arnaud Ramsay se confie au Really Mirror

Bonjour Arnaud Ramsay, lequel de vos articles préférez-vous ?

 

Arnaud Ramsay : Les articles sont par nature éphémères. Digérés et oubliés aussi vite qu’ils sont écrits. Ce n’est pas pour rien que le journal sert parfois à emballer le poisson ou fait office de papier cadeau ! André Gide a ainsi défini le journalisme : « J’appelle journalisme ce qui sera moins intéressant demain qu’aujourd’hui. » C’est donc la vérité du jour. Mais, évidemment, on s’y attache, à nos articles ! On s’implique, on s’identifie parfois. Je ne procède pas à un classement mais j’ai une tendresse pour une double page parue dans Le Journal du Dimanche avant la Coupe du monde de football 2018 en Russie et consacrée Aimé Jacquet, le sélectionneur des Bleus sacré avec eux pile vingt ans plus tôt.

Pourquoi cet article-là ? Parce qu’il mêle reportage in situ et mini-enquête pour connaître la nouvelle vie en Savoie de l’ermite. Parce que j’ai longtemps couvert l’équipe de France pour le bi-hebdomadaire France Football notamment. Parce que j’ai eu le plaisir d’accompagner Bixente Lizarazu et Youri Djorkaeff dans l’aventure d’une autobiographie publiée chez Grasset. Parce que le titre mondial de 1998 a décomplexé le sport français. Parce que leur victoire a apporté du bonheur au pays. Parce que les joueurs étaient très accessibles ; c’est après la Coupe du monde qu’ils sont devenus des peoples et ne se sont plus appartenus.

Aimé Jacquet est un taiseux, un généreux modeste dont les apparitions sont rares. Il refuse tout micro même pour parler de son ancien capitaine, Didier Deschamps, qui marche dans ses pas. Je savais que Robert Laffont, l’éditeur pour lequel j’avais publié les biographies d’Antoine Griezmann, Mourad Boudjellal ou Mathieu Bastareaud, s’apprêtait à ressortir, réactualisée d’une préface, les mémoires d’Aimé Jacquet, un carton écoulé à l’époque plus de 400 000 exemplaires, écrites dans la foulée du succès avec la complicité de Philippe Tournon, l’inextinguible chef de presse de l’équipe de France, ancien rédacteur en chef de L’Equipe. J’avais aussi appris au printemps 2018 que Jacquet devait honorer de sa présence un match organisé en son honneur dans son village natal de Sail-sous-Couzan, dans le Forez, près de Saint-Etienne. Le tout dans le stade Aimé Jacquet, sur cette pelouse où il a commencé comme gardien de but, gambadant sur cette herbe folle qui servait alors de pâturage aux vaches. Pas loin, la boucherie Jacquet, jadis tenue par son père, le strict Claudius, auquel petit il donnait un coup de main à l’heure de préparer la viande. J’ai sauté sur l’occasion et « vendu » le sujet au JDD.

Sur place, j’ai pu constater, même si les crochets restent suspendus à côté de la devanture, que la boucherie était devenue une pizzeria-crêperie ! J’ai pu suivre Aimé Jacquet toute la journée, l’observer, l’écouter, échanger. J’étais un spectateur privilégié, souriant de le voir happé par des enfants réclamant selfies et autographes, des gamins pas nés lors des deux coups de tête de Zidane en finale contre le Brésil un soir de 12 juillet. Il y a eu un match entre les anciennes gloires de Saint-Etienne, dont Jacquet a fièrement porté le maillot, et celles de l’équipe de France. Jacquet était sur le banc, blaguait, se levait, donnait des consignes. Il était dans son élément. Pas mal de champions avaient fait le déplacement dans ce petit coin de France, comme Lilian Thuram ou Christian Karembeu. Leurs mots faisaient comprendre l’importance de Jacquet, personnage de haute stature pourtant moqué avant la compétition pour son accent du terroir. Thuram l’appelle toujours « mon coach ». « Je lui suis redevable à vie », a-t-il ajouté.

Ce jeudi de l’Ascension, j’ai croisé la nounou des frères Jacquet, 90 printemps. « Mais ne dites pas mon âge ! », a-t-elle prié dans un éclat de rire. Puis il a fallu foncer vers Lyon, rendre la voiture de location, prendre le dernier TGV pour Paris, commencer l’article dans le train, mixer les éléments du reportage avec les témoignages de l’enquête. La double page centrale, assez « prestigieuse », envoyée le lendemain au rédacteur en chef, parution le dimanche matin dans le JDD. Découvrir son propre article dans le journal, décrypter la maquette, toucher l’encre et le papier, restent un plaisir sans cesse renouvelé. Impossible de s’en lasser. Une histoire d’ego mais pas seulement. Comble du bonheur, Bernard Pivot, fan de football, a apprécié le travail puisqu’il a tweeté : « « La vie cachée d’Aimé Jacquet » par Arnaud Ramsay, dans le JDD. Un scoop passionnant. La légendaire modestie d’un vrai grand homme du football. » Autant dire que ce tweet a fait ma journée…

 

Lequel de vos articles a eu le plus de retentissement ?

 

Arnaud Ramsay : Lorsque j’ai rencontré Nicolas Anelka, il était apprenti stagiaire au PSG, il n’avait pas 16 ans, il avait un duvet et des cheveux. Je le suivais pour XL, éphémère magazine à destination des jeunes lancé par le groupe L’Equipe pour lequel je pigeais. J’ai tout de suite senti que cet attaquant félin possédait un truc en plus, que sa timidité assimilée à tort à de l’arrogance cachait une ambition féroce, qu’il était un animal à sang froid. Je n’ai jamais perdu le contact avec Anelka, notre relation a largement dépassé le cadre professionnel. Je l’ai suivi dans ses clubs, de Londres à Madrid, de Manchester à Istanbul, de Shanghaï à Mumbai. Etant son seul interlocuteur médiatique, naturellement sans que je le lui demande ou que je le souhaite, j’en ai fait profiter les supports pour lesquels je travaillais, de France Football au Journal du Dimanche en passant par M6. Et ses interviews sans langue de bois ont systématiquement été reprises, suscitant souvent la polémique.

J’assume ma proximité avec Anelka, personnage très attachant, apprécié des joueurs, bien loin de l’image qu’il peut avoir mais c’est ainsi. En 2010, je suis rédacteur en chef chargé des sports à France Soir. Je viens de signer un livre de souvenirs avec Anelka et je suis envoyé en Afrique du Sud pour couvrir la Coupe du monde. Après trois échecs – Jacquet, on y revient, l’avait finalement écarté au dernier moment alors qu’il venait d’être champion d’Angleterre avec Arsenal – l’attaquant va enfin participer à l’événement. Mais tout va aller de travers pour cette triste sélection emmenée par un sélectionneur dépassé et sachant que Laurent Blanc allait lui succéder. L’Equipe dégaine alors sa fameuse Une, un photomontage où Anelka donne l’impression qu’il va boxer Raymond Domenech avec une insulte vulgaire et violente, « Va te faire enculer, sale fils de pute ! » Alors que j’étais censé ne pas travailler ce samedi (mon seul jour de repos car France Soir n’avait pas d’édition le dimanche), j’ai répondu à de dizaines et des dizaines d’interviews dans la journée, depuis la salle de presse érigée à Knysna. BeIn Sport, RMC, RTL, France Inter, duplex pour i-télé et BFM, des télévisions étrangères. Assez surréaliste car je me transformais à mon corps défendant en une sorte de porte-parole d’Anelka, essayant en tout cas d’expliquer comment on avait pu en arriver là, me méfiant aussi des mots brandis qui ne lui ressemblent pas, d’autant qu’il m’avait donné en « off » sa version.

Le paradoxe est que je suis partout mais que je n’ai rien à « vendre » puisque pas de journal donc pas d’article. Anelka est exclu des Bleus, le chef de l’Etat intervient, les joueurs font la grève de l’entraînement. Le dimanche, je continue de donner des interviews. Mon chef, Gilles Verdez, oui, le même qui fait des grimaces chez Cyril Hanouna, m’appelle. « On te voit partout, c’est bien. Mais pour France Soir, tu fais quoi ? » Finalement, je parviens à joindre Anelka. Je lui explique qu’il doit s’exprimer, que je parle à sa place et que ce n’est pas mon rôle. Je recueille ses propos, je publie dans l’après-midi le communiqué sur le site de France Soir où il revient sur l’incident dans le secret du vestiaire, accepte son exclusion et souhaite bonne chance à l’équipe de France (qui, c’est incroyable, pouvait encore se qualifier en battant l’Afrique du Sud). Et, sous la tente réservée aux journalistes de Knysna, cette station balnéaire où il faisait froid puisqu’en Afrique du Sud c’était l’hiver, j’ai prévenu l’AFP. L’agence en a fait immédiatement une dépêche, dont j’ai assuré le service après-vente !

 

 

Qu’aimeriez-vous voir se produire dans l’actualité pour pouvoir écrire l’article de votre vie ?

 

Arnaud Ramsay : La fin de la pandémie, que l’on puisse (entre autres, bien sûr) de nouveau voyager, bouger, se déplacer, rencontrer « en présentiel » plutôt qu’à distance derrière un écran. Le mouvement est pour moi l’essence du journalisme, du moins c’est pour ça que j’ai choisi ce métier, même si l’on peut évidemment réaliser un merveilleux reportage au bout de la rue.

La pandémie a hélas accéléré les réductions d’effectifs dans les médias, les plans sociaux se succèdent, la précarisation des journalistes s’accélère. C’est une réalité sans fin, un cercle vicieux. Acheter son quotidien devient un luxe, les kiosquiers se raréfient, la concurrence se dilue à force de concentration et de restrictions. On a l’impression que l’information est gratuite, que chacun est journaliste dès lors qu’il émet un avis sur les réseaux. C’est évidemment faux. Alors soyons fous j’aimerais que se produise une sorte de prise de conscience globale que l’information a un coût et que, pour soutenir la profession, la population se mette de nouveau à acheter et lire les journaux (même s’ils sont de plus en plus chers). Cela donnerait du confort et du répit aux journalistes, qui auront ainsi l’opportunité d’effectuer chaque jour l’article de leur vie…

L’invention de la machine à remonter le temps m’aiderait aussi afin d’exaucer ce que vous me demandez… On est parfois déçu de rencontrer ceux que l’on admire. Mais ça vaut le coup d’essayer, non ? Au sein de ma mythologie personnelle figurent, chacun dans son genre, Alfred Hitchcock et Mohamed Ali. Ils sont morts tous les deux. J’aurais rêvé les interviewer, cela aurait forcément donné un bon article ! Heureusement, Michael Jordan, mon troisième dieu, est toujours vivant. Il ne faut jamais désespérer… Pour le clin d’œil, plus jeune, je jouais au basket à l’ACBB, le club de Boulogne-Billancourt. En août 1985, Jordan, alors presque inconnu en Europe même s’il est champion olympique et vient de découvrir la NBA avec les Chicago Bulls, est à Paris à l’initiative de Nike, son sponsor. Et il effectue un crochet par Boulogne pour une séance d’entraînement avec les jeunes et un match exhibition avec Richard Dacoury et d’autres, devant 300 personnes. J’étais invité à assister à cette journée, en tant que membre de l’ACBB. Hélas j’étais en colonie de vacances. J’ai toujours la lettre d’invitation, signée du président de l’époque, désormais maire de Boulogne…

 

 

Merci Arnaud Ramsay

 

Merci Bertrand

 

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot

 


La rubrique The Really Mirror du blog de Bertrand Jouvenot réunit des interviews de journalistes destinées à leur donner l’occasion de révéler un peu plus qui se cache derrière leurs plumes.