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Adieu la peur des autres, bonjour ChatGPT

Parce que la communication avec les machines transforme radicalement notre rapport aux autres, Louis de Diesbach explore comment, dans un monde où les relations humains-humains semblent de plus en plus difficiles, nous trouvons du réconfort et une forme de connexion inattendue avec des intelligences artificielles. Interview de l’auteur de « Bonjour ChatGPT » (Mardaga).

 

Bonjour Louis de Diesbach, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

 

 

Louis de Diesbach : Le livre émane d’une réflexion assez simple : pourquoi est-ce qu’une grande partie des individus, en ce compris moi-même, écrit “bonjour ChatGPT” ou “merci ChatGPT”, etc. ? Cela peut en effet sembler assez surprenant car nous ne disons pas bonjour ou merci à notre machine à café – et pourtant, des millions de personnes saluent, remercient, échangent avec un robot.

Dans un monde qui se délite, où le lien social se fragilise, j’ai voulu me pencher sur cette relation que les êtres humains tentent de vouloir créer avec une machine – à l’heure où les relations humains-humains semblent plus difficiles, plus éparses et plus polarisées que jamais. En 2024, on le sait, 46% de la population mondiale va voter, c’est du jamais vu dans l’histoire de la démocratie, que va-t-il se passer si cette population préfère échanger avec un robot qu’avec un humain ? Autrement dit : quel modèle de société allons-nous construire si nous échangeons avec des robots comme nous échangeons avec des humains. Ce livre, finalement, vient également rappeler quelque chose d’essentiel et pourtant souvent oublié : les questions liées à la technique, et à l’intelligence artificielle, ne sont pas tant technologiques que politiques, économiques, sociologiques, et philosophiques.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

L. D. : “Il y a donc une vraie responsabilité de celles et ceux qui fabriquent ces machines et qui font évoluer cette technique. Si 80 % de la population se retrouve, demain, à travailler avec une IA, quel impact y aura-t-il sur leur travail et la nature de celui-ci ? Si une très large majorité des utilisateurs de smartphones se retrouve à discuter avec un chatbot, comment devons-nous appréhender leur arrivée dans le monde, et contrôler leur développement ?

Alors que nous voyons le jugement d’autrui comme une inquisition infernale, comme s’il venait sonder notre intimité, la machine apparaît comme une solution miracle. Adieu peur des autres, crainte de la déception et autres syndromes de l’imposteur : avec mon ami virtuel, je peux simplement être moi-même et m’oublier dans cette absence de jugement et d’évaluation que je croyais percevoir dans le regard d’autrui.

Ce que nous fuyons en nous connectant, c’est la réalité de notre vulnérabilité. Qu’il est aisé de nier nos failles quand nous échangeons avec un robot, et il est bien plus simple d’échanger avec un ordinateur quand on veut fermer les yeux sur nos défauts.”

Dans ces mots se retrouve une grande partie de l’essence-même de l’ouvrage : une question politique et économique (la fabrication des machines, le rapport au travail) qui est toujours en même temps une question anthropologique, éthique et métaphysique (le rapport à autrui et à soi, la réalité de notre vulnérabilité)

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

L. D. : Les efforts régulatoire pour encadrer les développements technologiques. Je crois beaucoup dans le pouvoir de l’État (au sens philosophique, quasi-hobbesien du terme) et il me semble que l’élan donné par l’Union Européenne est très prometteur. Il y a eu le RGPD (certes controversé, mais néanmoins une petite révolution), suivi du combo DSA/DMA qui viennent d’entrer en application, et puis le déjà célèbre AI Act qui est en cours de peaufinement et de perfection – je trouve cette tendance très enthousiasmante et motivante.

On lit souvent que la régulation ne pourra jamais suivre le rythme de l’innovation et des développements technologiques : et si c’était faux ? Et s’il suffisait d’un changement de paradigme dans notre façon d’aborder la régulation ? L’approche basée sur les risques de l’UE (utilisée pour l’AI Act) est très intéressante. Est-elle parfaite ? Sûrement pas, mais elle va dans le bon sens, qui est notamment celui d’une collaboration régulateur/acteurs technologiques, et non pas d’une continuelle opposition un peu manichéenne, et certainement stérile.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

L. D. : De lire et de se renseigner. Certes, c’est génial si cette lecture peut amener ce lecteur ou cette lectrice à se plonger dans “Bonjour ChatGPT”, mais au-delà de ça, je pense que la lecture est un acte de résistance au numérique fabuleux ! C’est un acte où l’on refuse ce “toujours plus vite” ou “toujours plus efficace” imposé par la tech’ et où l’on accepte de prendre un moment pour aborder tel ou tel ouvrage avec le calme, la réflexion, et la patience nécessaires.

Parmi les nombreux conseils et approches que l’on mentionne quand on parle des prochaines étapes pour encadrer les évolutions technologiques, l’éducation aux médias et à l’information (et donc à l’esprit critique !) est presque toujours mentionnée. Cette éducation peut passer, entre autres, par des moments de lecture.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

L. D. : L’évolution de la question de l’éthique de la technologie en entreprise. Est-ce que l’éthique en entreprise doit nécessairement passer par le droit, ou bien est-il possible de penser des comités d’éthique qui auraient de vrais rôles, de vrais pouvoirs, et qui seraient plus que du marketing à la sauce “ethics-washing” (l’équivalent du greenwashing mais pour l’éthique) – la crédibilité de nos entreprises, et de leur rapport à la société civile, en dépend en partie !

 

Merci Louis de Diesbach

 

Merci Bertrand Jouvenot

 

Le livre : Bonjour ChatGPT, Louis de Diesbach, Mardaga, 2024.