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Faire équipe ne s’improvise pas, ça s’apprend

Dans son livre « Coacher une équipe avec la psychologie sociale  » (Eyrolles), Rodéric Maubras soutient que les dynamiques collectives doivent être accompagnées avec méthode, surtout à l’heure du télétravail, de la volatilité des effectifs et de la perte de sentiment d’appartenance. Interview.

 

Bonjour Rodéric Maubras, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Rodéric Maubras : Le livre est paru en 2020. Cela faisait alors 10 ans que j’accompagnais des équipes en difficulté. À force de rencontrer des collectifs professionnels de toutes strates hiérarchiques et de tous secteurs, je me suis aperçu que la plupart des personnes rencontrées ne savaient pas faire équipe. Les équipes fonctionnaient avant tout grâce à la bonne volonté de chacun et la capacité à normaliser les dysfonctionnements, faute de solutions pour y remédier.

Dans mes premières années de coach d’équipe, je me retrouvais à plusieurs reprises en difficulté pour accompagner ces collectifs professionnels. J’avais le sentiment soit de suivre une méthode non adaptée au problème de l’équipe, soit de construire mes interventions sans véritable stratégie. J’avais pourtant suivi de bonnes formations, mais la plupart du temps, elles donnaient l’impression qu’il fallait être le formateur pour appliquer avec succès leurs apports. Et cette idée de déployer des interventions plus stratégiques m’obsédait.

Jusqu’à ce que je retourne sur les bancs de l’université pour y rencontrer la psychologie sociale. J’ai découvert que des chercheurs étudiaient avec rigueur le fonctionnement des groupes depuis 150 ans ! Je me suis emparé avec frénésie de cette matière, et ai commencé à l’appliquer dans mes coachings d’équipe. J’ai ainsi développé une approche, une méthode et des stratégies adaptées à la dynamique spécifique de chaque groupe rencontré. Et j’ai constaté sur le terrain que les équipes faisaient bien plus de progrès, et que ces progrès étaient durables.

De là m’est venue l’envie de partager cette méthode et ces gestes techniques via l’ouvrage, mais également à travers une école de formation en coaching d’équipe et d’organisation que j’ai créée il y a 9 ans.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

R.M. : Sans doute les premières lignes de l’ouvrage :

« Quoi de plus difficile que de travailler en équipe ? Travailler cinq jours sur sept avec des personnes que nous n’avons pas choisies, dont les personnalités sont si différentes… devoir produire un résultat collectif dont notre avenir professionnel dépend en partie… Les difficultés à travailler en équipe concernent tous les secteurs, toutes les générations, tous les niveaux hiérarchiques. Et comme si cela ne suffisait pas, le monde professionnel du 21ème siècle arbore de nouvelles exigences vis-à-vis de ces collectifs professionnels. Il faut rester soudés malgré la généralisation du télétravail, rester motivés malgré l’incertitude du lendemain, rester efficaces malgré la sur-communication, rester constructifs malgré la volatilité du marché du travail… préserver l’esprit d’équipe coûte que coûte, alors qu’à bien y regarder la tendance nous pousse vers l’individualisme et le repli sur soi. Faire équipe n’est donc pas chose simple. Pourtant, nous n’avons jamais eu autant besoin de “savoir-faire ensemble”, les défis économiques, sociaux et environnementaux ne pourront être relevés que par l’action collective. »

J’ai écrit cela en 2020, mais rien n’a véritablement changé en 5 ans. Cela ne fait que renforcer ma conviction qu’il est impératif de faire connaître le coaching d’équipe au plus grand nombre, car c’est la seule forme d’accompagnement qui permet de traiter toutes ces difficultés.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

R.M. : Trois tendances me semblent essentielles :

La volatilité des effectifs. Les équipes sont de plus en plus des systèmes ouverts. Les entrées et sorties sont fréquentes, souvent même pendant une mission de coaching d’équipe. Cela bouleverse les dynamiques.

La dispersion des équipes. Le télétravail et le flex office font que beaucoup de collectifs ne se croisent presque plus physiquement. Le lien numérique devient prépondérant. Cela complexifie la régulation des différends, l’intérêt pour l’autre, et la capacité à “penser équipe”.

La perte du sentiment d’appartenance. Le projet d’entreprise, la mission commune, l’esprit d’équipe sont fragilisés par une accumulation de crises (Covid, incertitude politique, climat économique instable…). Les salariés se replient sur eux-mêmes.

Les entreprises investissent dans la qualité de vie au travail, mais ces mesures restent trop superficielles. Le gouvernement a d’ailleurs fait de la souffrance au travail une cause nationale en 2025. Le coaching d’équipe, qui aide le collectif à trouver ses propres solutions, reste encore trop peu sollicité, au profit de formations ou coachings individuels, pourtant inadaptés face à des problématiques collectives.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

R.M. : Ne pas renoncer au changement, même dans une période aussi complexe. Le collectif dispose d’un pouvoir de résilience inouï ! Pour peu qu’on lui donne les bonnes clés de lecture et un chemin de transformation progressif.

Que l’on soit dirigeant, manager, RH, coach, consultant ou psychologue du travail, chacun peut agir sur les dynamiques d’équipe quand elles deviennent dysfonctionnelles. C’est le but de ce livre : proposer des clés de compréhension et une méthode progressive pour développer une dynamique plus vertueuse, à la fois source d’épanouissement et de performance.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

R.M. : Œuvrer pour les générations de demain. Celles qui formeront les futurs collectifs professionnels… et qui sont aujourd’hui à l’école. Car “faire équipe” ne s’improvise pas, autant l’apprendre tôt !

C’est l’objet de l’association « Faire équipe à l’école », que je lance avec Frédéric Bablon, directeur d’académie de Haute-Savoie, avec qui j’ai écrit Piloter un établissement scolaire, s’appuyer sur la Force du collectif (ESF, 2024).

Nous voulons transmettre aux enseignants, directeurs et élèves les apports de la psychologie sociale sur le vivre-ensemble et le travail collectif. Conférences, ateliers, formations flash, coachings : nous agissons pour que chacun puisse expérimenter la puissance du collectif dès le plus jeune âge.

Merci Rodéric Maubras

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : Coacher une équipe avec la psychologie sociale, Rodéric Maubras, Eyrolles, 2020