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Managers sous pression ? Découvrez la méthode qui peut changer votre quotidien

Réorganisation, promotion, départ ou recrutement… Ce texte explore pourquoi les relations humaines sont devenues cruciales dans le changement en entreprise et comment la systémique offre des clés concrètes pour en faire un levier. Interview.

 

Bonjour Jacques-Antoine Malarewicz, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Jacques-Antoine Malarewicz : La première édition de ce livre date de 2000. Le tournant du siècle me semble correspondre, même avec le regard restreint qu’apporte l’espace d’une génération, à la convergence de plusieurs facteurs qui ont eux-mêmes encouragé le développement considérable, dans la société en général et dans l’entreprise en particulier, de ce qu’on appelle les pratiques de relation d’aide.
La baisse du seuil de perception de la douleur, qu’elle soit psychique ou physique, la place centrale qu’occupe dorénavant le traumatisme et, en conséquence, l’importance grandissante de la victimisation et de la plainte dans la construction de l’identité, l’effacement progressif du clivage entre vie privée et vie professionnelle encouragé par la promotion et l’omniprésence d’une culture de la récréation et des émotions… tous ces éléments concourent au fait que la souffrance, qui est également un vécu subjectif, tend à se banaliser dans la mesure où, en l’espèce, l’offre de réparation encourage la demande d’intervention, ainsi que… l’inverse.
Il en résulte — conséquence ou origine — que, entre bien d’autres exemples, le burn-out se banalise, les relations dites toxiques s’étendent en même temps que les pervers narcissiques sont constamment dénoncés. Tout ceci fait que nombreux sont ceux, de tous les âges, qui ont pour ambition de devenir coach ou psychothérapeute.
Dès lors, conséquence logique, l’usage des termes coach, coaching, psychothérapeute et psychothérapie concernent tous les aspects de l’existence et donc, trop souvent, entraîne une cacophonie qui ne fait qu’accentuer les incompréhensions. Malgré les efforts des pouvoirs publics, la qualité des professionnels concernés est loin d’être toujours au rendez-vous, il faut le souligner dans un contexte où il importe également de tendre vers une diminution du chômage.
Dans l’entreprise, le management se doit dorénavant d’être humain, sans que cette exigence soit réellement l’objet d’une réflexion, alors que les enjeux économiques et financiers ne cessent d’étendre leur emprise sur le quotidien et que la maltraitance gagne du terrain.
Après avoir pratiqué, pendant de nombreuses années, la thérapie familiale, avec d’autres auteurs il m’a semblé pertinent de réfléchir aux applications dans le monde de l’entreprise de ce qu’on appelait encore fréquemment l’École de Palo. De fait, chacun a de nombreux contacts avec une multitude de systèmes ou s’y trouve inclus. Ces systèmes obéissent à des règles précises avec, notamment, la prépondérance des mécanismes homéostasiques, c’est-à-dire ceux qui assurent la résistance au changement ce qui constitue l’essentiel des préoccupations de tous les responsables.
Il m’a également semblé, peut-être avec naïveté, que la prise en compte de la complexité des choses et de son corollaire, à savoir l’omniprésence de la pensée paradoxale, devait être mise en avant notamment et bien évidemment à propos de l’humain.
L’approche systémique cherche à éviter la simplification binaire, la modélisation outrancière et l’appauvrissement des certitudes qu’il ne convient pas de remettre en question. Cependant, il est indéniable que ces exigences constituent autant d’obstacles à sa mise en œuvre alors que la rentabilité, l’efficacité et les exigences financières gagnent en prégnance dans notre société.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Jacques-Antoine Malarewicz : Peut-être la p. 202, où je pose une question dont je n’avais pas mesuré la portée au moment de la parution : Qu’est-ce que construire ? De fait, cette interrogation en revient au lien que tout un chacun cherche à maintenir avec à la fois la réalité et la vérité.
Il est facile de constater que ce lien est malmené par un profond mouvement de relativisation trop longtemps porté par ce qu’on a appelé la pensée post-moderne. Même si cette pensée serait apparemment en reflux, elle a prôné une déconstruction générale de nombreuses valeurs jusqu’à entraîner une réaction violente et délétère, surtout au niveau politique, de certains de ses adversaires.
Ceci fait que l’idée de construire un savoir, même et surtout dans l’entreprise, est un enjeu fondamental qui ne peut être négligé non seulement d’un point de vue technique et technologique, mais également philosophique et moral. Ce en quoi il m’a toujours semblé que l’approche systémique, en incluant l’observateur dans le résultat de son observation, peut apporter un regard pertinent.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Jacques-Antoine Malarewicz : Une tendance peut être constatée, voire anticipée, elle peut alors inquiéter ou devoir être encouragée selon l’expérience et la réflexion de chacun.
Dans cette optique, ce qui m’inquiète est la confusion grandissante entre coaching et psychothérapie car elle participe d’un mélange des genres qui renvoie à des compétences différentes, des modes de rémunération divergents et des enjeux qui ne sont pas de même nature.
Ce qui me réjouit, sans pour autant tomber dans l’angélisme, est l’inventivité qu’impose toujours une période de crise, celle que nous traversons indéniablement, là où tous les possibles émergent. Comme l’a si bien dit Kierkegaard : « Ce que nous dit la philosophie est tout à fait vrai : la vie ne peut être comprise qu’à rebours. Mais ensuite nous oublions l’autre principe, qu’elle ne peut être vécue qu’en avant. »

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Jacques-Antoine Malarewicz : Même si cela peut sembler contradictoire avec le fait de promouvoir une approche comme la systémique, mon expérience de formateur et de superviseur me donne à penser qu’un bon professionnel, qu’il soit manager ou consultant, doit éviter de se laisser enfermer et endormir dans la paresse que procure l’adhésion inconditionnelle à une théorie.
Ce qui fait sa valeur, c’est-à-dire sa capacité à faire évoluer les choses, est dans l’adéquation entre sa personnalité et les références conceptuelles auxquelles il se réfère. De ce point de vue, l’expérience est fondamentale. Chacun sait qu’elle peut être décrite comme la succession d’erreurs et des réussites, tout aussi fécondes les unes que les autres.
Plus loin encore, la capacité d’improviser, à savoir celle de s’adapter à l’immédiateté des situations, est le contre-poids naturel de la froideur des théories, elle permet de ne pas être constamment prévisible et de gagner en créativité.
Autrement dit, le conseil serait : Soyez-vous-même et tout est alors possible… sauf n’importe quoi !

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Jacques-Antoine Malarewicz : Il est devenu banal de considérer que la relation au travail change. Des facteurs concrets participent à cette évolution comme l’émergence du télétravail et le développement de l’intelligence artificielle. Mais, d’autres éléments plus subjectifs, c’est-à-dire plus difficiles à saisir et à décrire, interviennent également comme l’individualisme et le glissement d’un consumérisme qui concernait d’abord les objets et les biens matériels — au prix d’une indéniable dégradation de l’environnement —, et se focalise de plus en plus sur les relations de chacun avec autrui — au prix d’une possible remise en question fondamentale de la relation avec le réel et donc de l’identité de chacun —. Cette évolution se concentre autour de deux éléments connexes : la valeur des informations, c’est-à-dire la consistance de la vérité malmenée depuis peu par les réseaux dits sociaux et, d’une certaine manière, depuis toujours par les sphères politiques, religieuses et économiques, et la construction de l’identité ce qui en revient à l’immédiat sentiment de réalité pour chaque individu. Cette évolution très actuelle concerne d’abord et avant tout les enfants et les adolescents. Une autre interrogation concerne le rapport au temps et à la durée. Il me semble que nous ayons besoin de reconquérir le plaisir de la patience, même celui de l’ennui ainsi que la plénitude du moyen et du long terme. Il n’est rien de plus violent que la disparition de ces dimensions de l’existence ce qui, dans la déconnexion avec les rythmes physiologiques, nous éloigne d’une dimension humaine, si souvent mise en valeur. L’appropriation de ces composantes fondamentales du lien avec la réalité — encore une fois — par les jeunes générations, notamment dans leurs liens au travail, va probablement avoir des conséquences importantes sur nos mentalités.

Merci Jacques-Antoine Malarewicz

Merci Bertrand Jouvenot

Le livre : , Pearson, 2017.