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37 stratagèmes pour mater importuns et autres raseurs

Dans L’Art de moucher les fâcheux, un livre plein d’esprit, Julien Colliat décortique les techniques pour avoir toujours le bon mot et nous partage 37 stratagèmes pour remettre les fâcheux à leur place. Une œuvre de salubrité publique.

 

Bonjour Julien Colliat, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Julien Colliat : Historien de formation, j’ai publié en 2019 une Anthologie de la repartie. Fort de plusieurs années de recherches, il s’agit d’un recueil de répliques spirituelles prononcées par des gens célèbres ou oubliés depuis l’Antiquité. Lors des interventions publiques ou des rencontres avec les lecteurs, une question m’était systématiquement posée : existe-t-il des techniques pour améliorer sa repartie et trouver la bonne réplique au bon moment ? J’ai décidé d’en faire livre.

La repartie est un art et comme tout art, elle s’apprend et s’enseigne. Mon postulat est le suivant : chaque attaque verbale peut être contrée et même retournée contre son auteur, comme dans les sports de combat. Pour ce faire, il convient de bien identifier le point faible de l’attaque lancée par l’adversaire et d’appliquer la parade appropriée.

Pour forger ces techniques, j’ai étudié les mécanismes de centaines de réparties et j’ai identifié des procédés reproductibles. J’en ai tiré 37 stratagèmes, formulées à la manière des moralistes du XVIIIe siècle, qui aident à trouver la bonne riposte quand on veut remettre son interlocuteur à sa place. Quant au titre du livre, L’Art de moucher les fâcheux, c’est bien sûr un clin d’œil à Schopenhauer et son Art d’avoir toujours raison.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

« Quand on est la cible d’une critique venimeuse, il y a trois sortes de réactions possibles.

La première est de rendre coup pour coup. Même si notre riposte est proportionnée, cette tactique n’en comporte pas moins le risque de pousser notre détracteur à contre-attaquer à son tour, enclenchant ainsi une escalade verbale aux conséquences incertaines.

La deuxième tactique consiste à jouer l’indifférence. Un souverain mépris permet de disqualifier un sarcasme là où une dénégation est susceptible de lui accorder un semblant d’intérêt, donc de légitimité. Évidemment, le danger auquel s’expose tout silence est d’être moins perçu comme une marque de dédain que comme l’aveu d’un honteux sentiment de culpabilité.

Seule la troisième tactique permet de pallier les inconvénients des deux premières. Elle admet de ne pas riposter frontalement mais à revers, par l’ironie, afin de ne pas laisser à l’adversaire la possibilité de répliquer. Une manière subtile d’y parvenir est de dépister dans la critique un point avantageux qui puisse transformer celle-ci en compliment.

Le stratagème du lauréat est un moyen simple de la mettre en œuvre. On doit en faire l’usage lorsqu’un détracteur déterminé à fustiger un défaut ou à éreinter une action emprunte un superlatif pour donner à son attaque le maximum d’ampleur. Par exemple, un critique cherchant à offenser un dramaturge lui lance : « Votre pièce est la plus mauvaise depuis Sophocle. »

Associer un travers et un superlatif dans une même diatribe offre une parade commode pour l’offensé. Car quelque chose qui ne peut être dépassé, même dans le pire, devient de fait une qualité. Elle fait de celui qui en est accusé un lauréat, fût-ce d’une discipline décriée. En privilégiant le superlatif au reste de la pique, on convertira aisément la critique en éloge. Le dramaturge blâmé pour sa pièce pourra ainsi faire valoir à son détracteur : « N’est-ce pas précisément une bonne raison de la voir ? » »

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

J.C. : Je dois avouer que j’observe les nouvelles tendances avec une certaine circonspection, partant du principe que ce qui est à la page un jour finira forcément démodé. On peut profiter d’une nouvelle tendance de deux façons : soit en faisant partie des premiers à la suivre, un peu comme à la Bourse, soit en en prenant le contre-pied total. Aller à rebours d’une tendance, c’est non seulement le moyen d’attirer l’attention de ceux – car il y en a toujours – qui lui sont les plus hostiles, mais aussi miser sur la possibilité, voire la probabilité, d’être à l’initiative d’une contre-tendance qui supplantera un jour la première. Les modes agissant souvent par mouvement de balancier, le ringard d’hier devient parfois le branché de demain. Qui aurait cru il y a seulement dix ans que Léon ou Gaston deviendraient des prénoms à la mode ou que le pâté en croute serait tendance en 2023 ?

Dans le domaine de la communication, être à contre-courant des tendances du moment est un moyen efficace de sortir du lot. Avec l’essor des concours d’éloquence, une manière de parler en public, inspirée des plaidoiries d’avocats, a imposé son rythme, son phrasé et sa scansion. La maîtrise technique a pris le pas sur la singularité, avec pour résultat des discours un peu formatés et qui deviennent aussi inopérants sur le public que les éléments de langage et artifices d’orateur utilisés à profusion depuis des décennies par la classe politique.

Face au risque de lassitude, je pense que l’avenir est à une forme d’expression plus naturelle et spontanée, basée entre autres sur le parler-vrai et la capacité à capter l’attention par l’infra-verbal.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

J.C. : Il existe plusieurs règles d’or en matière de repartie qui sont énoncées dans l’introduction de mon livre. La plus importante concerne l’originalité de votre riposte. Gardez bien à l’esprit qu’une répartie cinglante est comme une allumette : on ne peut s’en servir qu’une seule fois. Interdisez-vous donc de réutiliser toute réplique célèbre ou déjà entendue. D’abord parce que si votre interlocuteur reconnaît l’emprunt, vous passerez pour un plagiaire ou un perroquet. Mais aussi parce que la force d’une repartie repose sur la spontanéité. Pour sonner juste, elle doit être forgée avec les propres mots de celui qui la prononce et correspondre à son caractère.

C’est la raison pour laquelle je n’ai pas proposé un simple guide contenant un éventail de réponses prêtes à l’emploi mais une martingale permettant d’identifier la figure de style ou de rhétorique adéquate pour contrer une attaque.

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

J.C. : Je travaille actuellement sur un roman qui a pour cadre l’Académie française du XVIIIe siècle. J’aimerais ensuite préparer une conférence sur un sujet qui me passionne depuis une vingtaine d’années : la généalogie des changements sociétaux depuis l’après-guerre.

 

Merci  Julien Colliat

 

Merci Bertrand Jouvenot

 


Le livre :  L’Art de moucher les fâcheux,  Julien Colliat, Poche 2023.